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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Verrès n’ait recherchée, qu'il n’ait examinée, un seul objet qu’il
n’ait enlevé, quand il lui a plu h »
Pour ne parler que de l’argenterie, celle de Verrès était unique
au monde : vasques à reliefs d’or, surtouts décorés de figures en
argent d’une perfection exquise, plats énormes, vases, patères,
aiguières, brûle-parfums, le tout signé par les plus grands maîtres.
Aussi bien, quand le préteur convoitait une pièce, il n’admettait pas
qu’on lui refusât. L’orfèvrerie sicilienne était célèbre et nombreuse;
chaque famille un peu aisée possédait quelque échantillon précieux,
soit pour les cérémonies religieuses, soit pour la décoration de la
table. « Verrès passe-t-il par une ville, aussitôt il mande un des
principaux personnages, et lui donne l’ordre de faire apporter toutes
les pièces ciselées qui s’y trouvent. Il examine chaque morceau un à
un, choisit les meilleurs, en détache les ornements, et rend le reste
en offrant une indemnité. Souvent il faisait encore pis : à la table
même des riches Siciliens qui l’invitaient, et sous les yeux des
convives, il enlevait les reliefs des plus belles pièces et les emportait
avec lui.
« Quand il eut réuni tous ces ornements détachés, Verrès ouvrit
en plein Syracuse, dans le palais des Lois, un vaste atelier. Les
orfèvres et les ciseleurs siciliens les plus distingués eurent ordre de
s’y rendre, et, pendant huit mois entiers, ces reliefs furent réappliqués
sur des vases et des coupes d’or, avec une précision et un goût admi-
rables. Verrès lui-même dirigeait le travail de chaque ouvrier; tout
se faisait sous ses yeux. Il passait la meilleure partie du jour dans
ses ateliers, en négligé, c’est-à-dire sans toge cl en manteau grec,
dit Cicéron, qui se serait cru déshonoré de s’habiller à la modo de
ces petits Grecs. »
« Aussi la réputation de Verrès était faite. Le matin même de
son procès, au moment où le plus redoutable orateur du temps
allait plaider contre lui et conclure à une restitution énorme, il
allait voir quelques pièces rares d’argenterie chez son ami Sisenna.
Il s’approchait des dressoirs étincelants, prenait délicatement chaque
objet, l’examinait d’un œil passionné. Cependant les esclaves de la
maison ne le perdaient pas de vue et épiaient chacun de ses mouve-
ments1 2. »
Pour l’aider dans ses recherches, Verrès avait choisi deux
1. Cicéron, 2e et 4e Verrines; Coll, clc l’ancienne Rome, p. 20.
2. Id. ibid.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Verrès n’ait recherchée, qu'il n’ait examinée, un seul objet qu’il
n’ait enlevé, quand il lui a plu h »
Pour ne parler que de l’argenterie, celle de Verrès était unique
au monde : vasques à reliefs d’or, surtouts décorés de figures en
argent d’une perfection exquise, plats énormes, vases, patères,
aiguières, brûle-parfums, le tout signé par les plus grands maîtres.
Aussi bien, quand le préteur convoitait une pièce, il n’admettait pas
qu’on lui refusât. L’orfèvrerie sicilienne était célèbre et nombreuse;
chaque famille un peu aisée possédait quelque échantillon précieux,
soit pour les cérémonies religieuses, soit pour la décoration de la
table. « Verrès passe-t-il par une ville, aussitôt il mande un des
principaux personnages, et lui donne l’ordre de faire apporter toutes
les pièces ciselées qui s’y trouvent. Il examine chaque morceau un à
un, choisit les meilleurs, en détache les ornements, et rend le reste
en offrant une indemnité. Souvent il faisait encore pis : à la table
même des riches Siciliens qui l’invitaient, et sous les yeux des
convives, il enlevait les reliefs des plus belles pièces et les emportait
avec lui.
« Quand il eut réuni tous ces ornements détachés, Verrès ouvrit
en plein Syracuse, dans le palais des Lois, un vaste atelier. Les
orfèvres et les ciseleurs siciliens les plus distingués eurent ordre de
s’y rendre, et, pendant huit mois entiers, ces reliefs furent réappliqués
sur des vases et des coupes d’or, avec une précision et un goût admi-
rables. Verrès lui-même dirigeait le travail de chaque ouvrier; tout
se faisait sous ses yeux. Il passait la meilleure partie du jour dans
ses ateliers, en négligé, c’est-à-dire sans toge cl en manteau grec,
dit Cicéron, qui se serait cru déshonoré de s’habiller à la modo de
ces petits Grecs. »
« Aussi la réputation de Verrès était faite. Le matin même de
son procès, au moment où le plus redoutable orateur du temps
allait plaider contre lui et conclure à une restitution énorme, il
allait voir quelques pièces rares d’argenterie chez son ami Sisenna.
Il s’approchait des dressoirs étincelants, prenait délicatement chaque
objet, l’examinait d’un œil passionné. Cependant les esclaves de la
maison ne le perdaient pas de vue et épiaient chacun de ses mouve-
ments1 2. »
Pour l’aider dans ses recherches, Verrès avait choisi deux
1. Cicéron, 2e et 4e Verrines; Coll, clc l’ancienne Rome, p. 20.
2. Id. ibid.