A PROPOS DU TRÉSOR DE BOSCO REALE
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constellé d’acier. Et, comme si ce n’était pas encore assez, le voilà
qui met à nu son bras droit orné d’un bracelet d’or s’enroulant dans
une torsade d'ivoire. Puis, après s’ètre fouillé la mâchoire avec un
cure-dents d’argent : « Mes amis, fait-il, je ne me sentais pas encore
« on goût do vous rejoindre; mais mon absence vous eût fait languir,
« et j’ai coupé court à mon amusement. »
Alors commence le festin le plus excentrique, chef-d’œuvre de
1 imagination du cuisinier d’un pareil maître. Et Trimalchion fait
défiler toute sa vaisselle, verrerie en cristal de roche, surtouts de
Corinthe, argenterie ciselée avec le nom du maître et le poids du
métal gravés sur chaque pièce', bassins d’argent pour parfumer les
pieds des convives, squelette d’argent articulé, qu’un esclave fait
mouvoir, ce qui provoque chez Trimalchion un accès de lyrisme
sur la fragilité de la vie et la nécessité de jouir de l’heure présente2.
Tables, réchauds, plateaux, tout est pour le moins en argent massif,
jusqu’au vase intime que Trimalchion demande en faisant craquer
ses doigts, et que des eunuques lui présentent majestueusement.
« L’orfèvrerie, dit-il, j’en raffole. J’ai des coupes qui tiennent une
urne3, un peu plus, un peu moins; on y voit comment Cassandre
égorgea ses enfants; les cadavres sont si bien jetés, qu’on les croi-
rait naturels. J’ai une aiguière que Mys a léguée à mon patron;
c'est Dédale qui enferme Niobé dans le cheval de Troie. J’ai aussi
des coupes qui représentent les combats d’Hcrmeros et de Pétracte.
tout cela bien massif et d'un bon poids, cl c’est bien à moi, voyez-
vous; je ne le céderais à aucun prix. »
Inutile de cherchera comprendre le galimatias du personnage,
qui brouille tout, estropie les noms, les faits cl les époques. Mais
le portrait n’est-il pas curieux?
Ioul à l’heure, Cicéron nous montrait Verrès enlevant les orne-
ments de l’orfèvrerie sicilienne et les faisant appliquer sur des
vases neufs. En effet Yemblema, c’est-à-dire le relief placé au centre
des patères et formant leur décor essentiel, était toujours travaillé
séparément par le maître, puis soudé sur le fond; le lecteur se
rappellera qu’une des phiales de Bosco Reale porte sous le pied la
L In quarum marginibus nomen Trimalchionis inscriptum erat et argenti
pondus. Les mêmes indications figurent, comme on sait, sur les pièces de liosco
Reale.
-• ^ oir l’excellente notice de M. de Villefosse, Gazette des Beaux-Arts, 3e pér.,
t. XIII, p. îoo.
3. L urne équivaut à 13 litres environ.
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constellé d’acier. Et, comme si ce n’était pas encore assez, le voilà
qui met à nu son bras droit orné d’un bracelet d’or s’enroulant dans
une torsade d'ivoire. Puis, après s’ètre fouillé la mâchoire avec un
cure-dents d’argent : « Mes amis, fait-il, je ne me sentais pas encore
« on goût do vous rejoindre; mais mon absence vous eût fait languir,
« et j’ai coupé court à mon amusement. »
Alors commence le festin le plus excentrique, chef-d’œuvre de
1 imagination du cuisinier d’un pareil maître. Et Trimalchion fait
défiler toute sa vaisselle, verrerie en cristal de roche, surtouts de
Corinthe, argenterie ciselée avec le nom du maître et le poids du
métal gravés sur chaque pièce', bassins d’argent pour parfumer les
pieds des convives, squelette d’argent articulé, qu’un esclave fait
mouvoir, ce qui provoque chez Trimalchion un accès de lyrisme
sur la fragilité de la vie et la nécessité de jouir de l’heure présente2.
Tables, réchauds, plateaux, tout est pour le moins en argent massif,
jusqu’au vase intime que Trimalchion demande en faisant craquer
ses doigts, et que des eunuques lui présentent majestueusement.
« L’orfèvrerie, dit-il, j’en raffole. J’ai des coupes qui tiennent une
urne3, un peu plus, un peu moins; on y voit comment Cassandre
égorgea ses enfants; les cadavres sont si bien jetés, qu’on les croi-
rait naturels. J’ai une aiguière que Mys a léguée à mon patron;
c'est Dédale qui enferme Niobé dans le cheval de Troie. J’ai aussi
des coupes qui représentent les combats d’Hcrmeros et de Pétracte.
tout cela bien massif et d'un bon poids, cl c’est bien à moi, voyez-
vous; je ne le céderais à aucun prix. »
Inutile de cherchera comprendre le galimatias du personnage,
qui brouille tout, estropie les noms, les faits cl les époques. Mais
le portrait n’est-il pas curieux?
Ioul à l’heure, Cicéron nous montrait Verrès enlevant les orne-
ments de l’orfèvrerie sicilienne et les faisant appliquer sur des
vases neufs. En effet Yemblema, c’est-à-dire le relief placé au centre
des patères et formant leur décor essentiel, était toujours travaillé
séparément par le maître, puis soudé sur le fond; le lecteur se
rappellera qu’une des phiales de Bosco Reale porte sous le pied la
L In quarum marginibus nomen Trimalchionis inscriptum erat et argenti
pondus. Les mêmes indications figurent, comme on sait, sur les pièces de liosco
Reale.
-• ^ oir l’excellente notice de M. de Villefosse, Gazette des Beaux-Arts, 3e pér.,
t. XIII, p. îoo.
3. L urne équivaut à 13 litres environ.