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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ces aquarelles, qui datent de 1860 et atteignirent, dans une vente
récente, des prix très élevés, représentent Sidonia et Clara von Bork,
les héroïnes enchantées du roman fantastique du pasteur pomé-
ranien Meinhold. D’autres, telles que Y Été vert et les Joueurs de tric-
trac, ou encore le dessin à la plume des Filles du Roi, représentent
simplement des personnages aux gais atours, parmi des pelouses
vertes ou de vastes parcs fleuris. Dans le même temps, le jeune
artiste, qui avait sa vie à gagner, obtenait, avec l’appui de Rossetti,
la commande de vitraux d’église et dessinait quelques-unes de ces
compositions religieuses qui sont parmi les meilleures de son
œuvre. Cependant, il vivait on une fréquentation étroite et dans un
échange constant d’idées avec Rossetti et William Morris, qui avait
rejoint à Londres son camarade d’Oxford. Les trois amis se ma-
rièrent ià quelques mois les uns des autres, et, en 1860, Burne-Jones
installait dans son appartement de garçon la jeune femme qu’il
avait connue enfant à Birmingham, et avec laquelle il s’était fiancé
lorsqu'il était parti pour Londres en 1856. Le petit cercle était
animé d’une singulière activité. Burne-Jones dessinait des illus-
trations au crayon et à la plume pour le Paradis terrestre que
Morris écrivait alors, et peignait en s’inspirant des vers que lui
lisait Algernon Swinburne. Désireux de renouer les traditions du
goût perdues dans les arts industriels et de ramener le beau dans
la vie quotidienne et au foyer du peuple, William Morris fondait,
en 1861, la fameuse entreprise qui porte son nom et à laquelle l’art
décoratif doit sa renaissance en Angleterre. Rossetti et Burne-Jones
furent ses associés. Burne-Jones dessinait des carreaux de faïence,
composait des modèles de tapisseries et des cartons de verrières
qui étaient exécutées sous la direction de Morris. Deux autres
peintres de talent, Madox Brown et llolman Hunt, se joignirent au
petit cénacle et partagèrent les efforts de ses affiliés. Ils se mirent,
eux aussi, à peindre et à composer des vitraux, tandis qu’un troi-
sième et encore plus grand artiste, G.-J. Watts, soutenait ces jeunes
de sa sympathie et de ses encouragements. Dès l’abord, ce maître
illustre — qui heureusement vit encore parmi nous et est en pleine
production — conçut la plus haute opinion des dispositions de
Burne-Jones; ses bienveillantes critiques eurent la plus heureuse
influence sur le jeune artiste, qui passa quelques mois chez lui, à
Little Holland House. « C’est Watts, a écrit Burne-Jones, qui
m’obligea à serrer mon dessin ». Le groupe comptait encore un
autre membre qui, quoique n’étant pas peintre lui-même, a eu plus
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ces aquarelles, qui datent de 1860 et atteignirent, dans une vente
récente, des prix très élevés, représentent Sidonia et Clara von Bork,
les héroïnes enchantées du roman fantastique du pasteur pomé-
ranien Meinhold. D’autres, telles que Y Été vert et les Joueurs de tric-
trac, ou encore le dessin à la plume des Filles du Roi, représentent
simplement des personnages aux gais atours, parmi des pelouses
vertes ou de vastes parcs fleuris. Dans le même temps, le jeune
artiste, qui avait sa vie à gagner, obtenait, avec l’appui de Rossetti,
la commande de vitraux d’église et dessinait quelques-unes de ces
compositions religieuses qui sont parmi les meilleures de son
œuvre. Cependant, il vivait on une fréquentation étroite et dans un
échange constant d’idées avec Rossetti et William Morris, qui avait
rejoint à Londres son camarade d’Oxford. Les trois amis se ma-
rièrent ià quelques mois les uns des autres, et, en 1860, Burne-Jones
installait dans son appartement de garçon la jeune femme qu’il
avait connue enfant à Birmingham, et avec laquelle il s’était fiancé
lorsqu'il était parti pour Londres en 1856. Le petit cercle était
animé d’une singulière activité. Burne-Jones dessinait des illus-
trations au crayon et à la plume pour le Paradis terrestre que
Morris écrivait alors, et peignait en s’inspirant des vers que lui
lisait Algernon Swinburne. Désireux de renouer les traditions du
goût perdues dans les arts industriels et de ramener le beau dans
la vie quotidienne et au foyer du peuple, William Morris fondait,
en 1861, la fameuse entreprise qui porte son nom et à laquelle l’art
décoratif doit sa renaissance en Angleterre. Rossetti et Burne-Jones
furent ses associés. Burne-Jones dessinait des carreaux de faïence,
composait des modèles de tapisseries et des cartons de verrières
qui étaient exécutées sous la direction de Morris. Deux autres
peintres de talent, Madox Brown et llolman Hunt, se joignirent au
petit cénacle et partagèrent les efforts de ses affiliés. Ils se mirent,
eux aussi, à peindre et à composer des vitraux, tandis qu’un troi-
sième et encore plus grand artiste, G.-J. Watts, soutenait ces jeunes
de sa sympathie et de ses encouragements. Dès l’abord, ce maître
illustre — qui heureusement vit encore parmi nous et est en pleine
production — conçut la plus haute opinion des dispositions de
Burne-Jones; ses bienveillantes critiques eurent la plus heureuse
influence sur le jeune artiste, qui passa quelques mois chez lui, à
Little Holland House. « C’est Watts, a écrit Burne-Jones, qui
m’obligea à serrer mon dessin ». Le groupe comptait encore un
autre membre qui, quoique n’étant pas peintre lui-même, a eu plus