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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
déclin. Il est assez difficile de se faire une idée tout à fait exacte de
l’enseignement de David. Si quelques-uns de ses élèves et médiocres
continuateurs — les Fabre, les Wicar, les Anatole Devosges, les
Flageoulot — poussèrent jusqu’à l'intransigeance la plus étroite
l’application de ses doctrines, il semble que lui-même ne fut pas
toujours le pédagogue sectaire que l’on pourrait se figurer. Si des
témoignages contemporains l’on cherche à dégager, à ce point de
vue particulier, une impression d’ensemble à peu près équitable, on
constate d’étranges contradictions. Sans doute son caractère autori-
taire et accapareur se fait toujours sentir ; il dira, par exemple, que
les écoles de Beaux-Arts sont inutiles et que son atelier est la meil-
leure école, et dans cette école c’est surtout au « flambeau de la
Raison » qu’il veut apprendre à ses élèves l’épuration des formes
et le secret de la beauté abstraite. Mais, d’autre part, s’il faut en
croire un témoin véridique et bien informé, l’honnête Delécluze,
lorsqu’il corrigeait les travaux de l’atelier et passait derrière les
chevalets, David savait discerner avec un libéralisme perspicace les
tendances et les aptitudes propres de chacun, et, tout en signalant
les défauts ou les dangers, tout en maintenant, bien entendu, la
« supériorité de l’antique », encourageait en somme dans le sens
de leur vocation véritable tous les talents originaux. « Tu mets la
charrue avant les bœufs », disait-il, par exemple, à ce « jeune
coloriste» qui devait être Granet, «mais c’est égal, fais comme tu
sens, copie comme tu vois, étudie comme tu l’entends, parce qu’un
peintre n’est réputé tel que par la qualité qu’il possède, quelle
qu’elle soit. Il vaut mieux faire de bonnes bambochades comme
Téniers que des tableaux d’histoire comme Lairesse... » Voilà
certes qui n’est pas d’un pédagogue sectaire, et, s’adressant au même
Granet, dont on expose au Grand Palais Y Intérieur d’une salle
d’asile qui le montre délicatement attentif au problème du clair-
obscur et du jeu des rayons et des ombres, il ajoutait : « Celui-là
a ses idées, il a son genre ; ce sera un coloriste ; il aime le clair-
obscur et les beaux effets de lumière. C'est bon, c’est bon, je suis
toujours content quand je m’aperçois qu’un homme a des goûts
bien prononcés ; tâchez de dessiner, mon cher Granet, mais suivez
votre idée. »
« Suivez votre idée »; certes, dans la bouche d’un tel maître,
voilà une belle parole. Il ne la disait pourtant pas à tous avec une
égale libéralité. J’ai déjà cité cette lettre à Wicar, 14 juin 1789, dans
laquelle il recommande le mépris du coloris comme une condition
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déclin. Il est assez difficile de se faire une idée tout à fait exacte de
l’enseignement de David. Si quelques-uns de ses élèves et médiocres
continuateurs — les Fabre, les Wicar, les Anatole Devosges, les
Flageoulot — poussèrent jusqu’à l'intransigeance la plus étroite
l’application de ses doctrines, il semble que lui-même ne fut pas
toujours le pédagogue sectaire que l’on pourrait se figurer. Si des
témoignages contemporains l’on cherche à dégager, à ce point de
vue particulier, une impression d’ensemble à peu près équitable, on
constate d’étranges contradictions. Sans doute son caractère autori-
taire et accapareur se fait toujours sentir ; il dira, par exemple, que
les écoles de Beaux-Arts sont inutiles et que son atelier est la meil-
leure école, et dans cette école c’est surtout au « flambeau de la
Raison » qu’il veut apprendre à ses élèves l’épuration des formes
et le secret de la beauté abstraite. Mais, d’autre part, s’il faut en
croire un témoin véridique et bien informé, l’honnête Delécluze,
lorsqu’il corrigeait les travaux de l’atelier et passait derrière les
chevalets, David savait discerner avec un libéralisme perspicace les
tendances et les aptitudes propres de chacun, et, tout en signalant
les défauts ou les dangers, tout en maintenant, bien entendu, la
« supériorité de l’antique », encourageait en somme dans le sens
de leur vocation véritable tous les talents originaux. « Tu mets la
charrue avant les bœufs », disait-il, par exemple, à ce « jeune
coloriste» qui devait être Granet, «mais c’est égal, fais comme tu
sens, copie comme tu vois, étudie comme tu l’entends, parce qu’un
peintre n’est réputé tel que par la qualité qu’il possède, quelle
qu’elle soit. Il vaut mieux faire de bonnes bambochades comme
Téniers que des tableaux d’histoire comme Lairesse... » Voilà
certes qui n’est pas d’un pédagogue sectaire, et, s’adressant au même
Granet, dont on expose au Grand Palais Y Intérieur d’une salle
d’asile qui le montre délicatement attentif au problème du clair-
obscur et du jeu des rayons et des ombres, il ajoutait : « Celui-là
a ses idées, il a son genre ; ce sera un coloriste ; il aime le clair-
obscur et les beaux effets de lumière. C'est bon, c’est bon, je suis
toujours content quand je m’aperçois qu’un homme a des goûts
bien prononcés ; tâchez de dessiner, mon cher Granet, mais suivez
votre idée. »
« Suivez votre idée »; certes, dans la bouche d’un tel maître,
voilà une belle parole. Il ne la disait pourtant pas à tous avec une
égale libéralité. J’ai déjà cité cette lettre à Wicar, 14 juin 1789, dans
laquelle il recommande le mépris du coloris comme une condition