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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Quel qu’en soit l’auteur, l’œuvre est admirable, digne d’être com-
parée aux plus belles œuvres contemporaines dans les Flandres et
en Italie. Rien de plus naïvement pieux, de plus simplement aimable
que le visage de la Vierge, rien de plus candidement enfantin que le
bambin bénissant, de plus adorable dans leurs mouvements sou-
ples, leurs gestes fervents, leurs physionomies tendres, que les
quatre groupes d’anges, s’élevant, trois par trois, par un rythme
symétrique, aux côtés de la Vierge, et que les deux anges, dans la
hauteur, soutenant la couronne d’or au-dessus de sa tète. L'illu-
mination surtout est merveilleuse. C’est avec une délicatesse savante,
dont on ne trouverait guère alors d’autres exemples, qu’autour des
cercles polychromes remplaçant la mandorla traditionnelle une
lumière céleste, infiniment, judicieusement, délicieusement nuan-
cée, caresse, pénètre, éclaire ou décolore les longues tuniques des
anges, les blancheurs fraîches de leurs visages ravis et de leurs
mains fines. La vision est paradisiaque, d’un lyrisme exquis et
tendre.
Dans les panneaux latéraux, garnis d’épaisses tentures à
bandes rouges et vertes, c’est, au contraire, un jour étoutfé d'inté-
rieur, où les figures, fortement modelées, saillent presque comme
des bas-reliefs colorés. Par la vigueur du dessin, la distinction du
modelé, la richesse des colorations, la franchise des expressions,
la sincérité des portraits, c’est une œuvre magistrale et qui
forme une suite vraiment instructive au travail identique de
Froment, antérieur de vingt-cinq ans, qui lui fait face. Sur deux
points différents du territoire, c’est bien l’affirmation du même
génie, jaillissant des mêmes sources, procédant par les mêmes
moyens.
Ce chef-d’œuvre serait-il le produit d’une école locale ? ITélas!
nous en sommes encore aux ignorances profondes sur ce qui se
passa, au xve siècle, dans le Bourbonnais et l’Auvergne, où le duc
Jean de Berry avait laissé tant de monuments et de traditions
d’art, où ses successeurs, les princes de Bourbon et de Mont-
pensier, souvent alliés aux maisons italiennes, se signalèrent aussi
par leur dilettantisme passionné. Benedetto Ghirlandajo, Fauteur
d’une Nativité dans la chapelle d’Aigueperse, ne fut pas sans doute le
seul artiste étranger qu’ils appelèrent, et Andrea Mantegna, l’auteur
du Saint Sébastien au même endroit, le seul étranger dont ils firent
venir les œuvres. « J’entrevois certainement, disait mélancolique-
ment P. Mantz, que ces confins de l'Auvergne et du Bourbonnais
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Quel qu’en soit l’auteur, l’œuvre est admirable, digne d’être com-
parée aux plus belles œuvres contemporaines dans les Flandres et
en Italie. Rien de plus naïvement pieux, de plus simplement aimable
que le visage de la Vierge, rien de plus candidement enfantin que le
bambin bénissant, de plus adorable dans leurs mouvements sou-
ples, leurs gestes fervents, leurs physionomies tendres, que les
quatre groupes d’anges, s’élevant, trois par trois, par un rythme
symétrique, aux côtés de la Vierge, et que les deux anges, dans la
hauteur, soutenant la couronne d’or au-dessus de sa tète. L'illu-
mination surtout est merveilleuse. C’est avec une délicatesse savante,
dont on ne trouverait guère alors d’autres exemples, qu’autour des
cercles polychromes remplaçant la mandorla traditionnelle une
lumière céleste, infiniment, judicieusement, délicieusement nuan-
cée, caresse, pénètre, éclaire ou décolore les longues tuniques des
anges, les blancheurs fraîches de leurs visages ravis et de leurs
mains fines. La vision est paradisiaque, d’un lyrisme exquis et
tendre.
Dans les panneaux latéraux, garnis d’épaisses tentures à
bandes rouges et vertes, c’est, au contraire, un jour étoutfé d'inté-
rieur, où les figures, fortement modelées, saillent presque comme
des bas-reliefs colorés. Par la vigueur du dessin, la distinction du
modelé, la richesse des colorations, la franchise des expressions,
la sincérité des portraits, c’est une œuvre magistrale et qui
forme une suite vraiment instructive au travail identique de
Froment, antérieur de vingt-cinq ans, qui lui fait face. Sur deux
points différents du territoire, c’est bien l’affirmation du même
génie, jaillissant des mêmes sources, procédant par les mêmes
moyens.
Ce chef-d’œuvre serait-il le produit d’une école locale ? ITélas!
nous en sommes encore aux ignorances profondes sur ce qui se
passa, au xve siècle, dans le Bourbonnais et l’Auvergne, où le duc
Jean de Berry avait laissé tant de monuments et de traditions
d’art, où ses successeurs, les princes de Bourbon et de Mont-
pensier, souvent alliés aux maisons italiennes, se signalèrent aussi
par leur dilettantisme passionné. Benedetto Ghirlandajo, Fauteur
d’une Nativité dans la chapelle d’Aigueperse, ne fut pas sans doute le
seul artiste étranger qu’ils appelèrent, et Andrea Mantegna, l’auteur
du Saint Sébastien au même endroit, le seul étranger dont ils firent
venir les œuvres. « J’entrevois certainement, disait mélancolique-
ment P. Mantz, que ces confins de l'Auvergne et du Bourbonnais