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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Par contre, le portrait du Comte Tolstoï, assis négligemment sur un
divan oriental, est conçu dans l’enveloppe d’une pénombre chaude,
en dehors du rayon direct de la lumière, qui n’atteint que la page
blanche d’un livre ouvert. C’est d’un art tout à fait consommé.
Le portrait du Grand-duc Paul Alexandrovitch, de M. Sérov,
tenant son cheval à la main, en tunique blanche et cuirasse d’or sur
le ciel clair, pour être une représentation officielle, n’en est pas
moins une peinture fort intelligemment comprise; mais l’artiste se
distingue surtout dans son portrait de Mme Botkine, de face, en robe
de crêpe et de satin jaune parsemée de roses, à demi assise sur un
canapé bleu japonais, avec beaucoup de souplesse et d’éclat, et surtout
dans la délicieuse figure de Mlk Mamontow, une fillette aux cheveux
courts, attardée à la table où elle se prépare à manger une pêche,
sous la lumière fine qui, venant du jardin, éclaire à contre-jour
son corsage rose et son petit visage enfantin aux joues rondes, aux
narines ouvertes, à la bouche gourmande, aux yeux noirs éveillés.
Dans cette salle et la voisine se trouvent plusieurs morceaux
du peintre Maliavine, qui s’attache de préférence aux sujets popu
laires. Ce sont des œuvres pleines de fougue et d’entrain. L’une
est une sorte de paysan drapé dans un large manteau comme un
spadassin de feuilleton, les mains gantées de vastes mouffles,
avec un visage énergiquement modelé; une autre, qu'on remarque
particulièrement, est Le Rire : il éclate joyeusement dans la pourpre
illuminée des robes d'une bande de faunesses d’un nouveau genre,
s’avançant sur un rang, en délire, épanouies comme des coquelicots
dans un grand pré montant. L’exécution est d’une audace folle, par-
fois très aventureuse, mais elle a une vaillance endiablée de vrai
peintre. Plus sage est la Jeune paysanne russe qui tourne sa tête de
face, debout, dans son caraco rouge, sur un fond de vagues frottis.
Si certaines parties sont volontairement traitées par une manière
large en une sorte de vaste aquarelle, d'autres sont vigoureusement
peintes et la tète est solidement construite et vivement modelée,
d’une brosse intelligente et hardie.
Un seul petit tableau, Les Espagnoles, nous permet ici de juger
du talent de M. Korovine, mais il est charmant de finesse, d’accords
sobres et délicats de tons, et aussi d’observation vive et spirituelle.
C'est aussi cette qualité d’analyse délicate, d’observation attentive
et cependant légère et sans lourdeur, qui caractérise le petit tableau
si vivant deM. Pasternac : La Veille de l'examen, intérieur finement
éclairé où quatre étudiants, en des poses abandonnées, se livrent à
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Par contre, le portrait du Comte Tolstoï, assis négligemment sur un
divan oriental, est conçu dans l’enveloppe d’une pénombre chaude,
en dehors du rayon direct de la lumière, qui n’atteint que la page
blanche d’un livre ouvert. C’est d’un art tout à fait consommé.
Le portrait du Grand-duc Paul Alexandrovitch, de M. Sérov,
tenant son cheval à la main, en tunique blanche et cuirasse d’or sur
le ciel clair, pour être une représentation officielle, n’en est pas
moins une peinture fort intelligemment comprise; mais l’artiste se
distingue surtout dans son portrait de Mme Botkine, de face, en robe
de crêpe et de satin jaune parsemée de roses, à demi assise sur un
canapé bleu japonais, avec beaucoup de souplesse et d’éclat, et surtout
dans la délicieuse figure de Mlk Mamontow, une fillette aux cheveux
courts, attardée à la table où elle se prépare à manger une pêche,
sous la lumière fine qui, venant du jardin, éclaire à contre-jour
son corsage rose et son petit visage enfantin aux joues rondes, aux
narines ouvertes, à la bouche gourmande, aux yeux noirs éveillés.
Dans cette salle et la voisine se trouvent plusieurs morceaux
du peintre Maliavine, qui s’attache de préférence aux sujets popu
laires. Ce sont des œuvres pleines de fougue et d’entrain. L’une
est une sorte de paysan drapé dans un large manteau comme un
spadassin de feuilleton, les mains gantées de vastes mouffles,
avec un visage énergiquement modelé; une autre, qu'on remarque
particulièrement, est Le Rire : il éclate joyeusement dans la pourpre
illuminée des robes d'une bande de faunesses d’un nouveau genre,
s’avançant sur un rang, en délire, épanouies comme des coquelicots
dans un grand pré montant. L’exécution est d’une audace folle, par-
fois très aventureuse, mais elle a une vaillance endiablée de vrai
peintre. Plus sage est la Jeune paysanne russe qui tourne sa tête de
face, debout, dans son caraco rouge, sur un fond de vagues frottis.
Si certaines parties sont volontairement traitées par une manière
large en une sorte de vaste aquarelle, d'autres sont vigoureusement
peintes et la tète est solidement construite et vivement modelée,
d’une brosse intelligente et hardie.
Un seul petit tableau, Les Espagnoles, nous permet ici de juger
du talent de M. Korovine, mais il est charmant de finesse, d’accords
sobres et délicats de tons, et aussi d’observation vive et spirituelle.
C'est aussi cette qualité d’analyse délicate, d’observation attentive
et cependant légère et sans lourdeur, qui caractérise le petit tableau
si vivant deM. Pasternac : La Veille de l'examen, intérieur finement
éclairé où quatre étudiants, en des poses abandonnées, se livrent à