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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
années seulement, plus d’un seigneur anglais (milord Montcassel (?),
milord Hostacq (?), milord Portland et milord son fils, etc...) Ainsi
s’établissaient entre les portraitistes français et les portraitistes
anglais, des relations amicales et constantes, qui devaient encore
se multiplier dans les générations suivantes et qui expliquent, entre
les deux écoles, malgré les différences de tempéraments et d'habi-
tudes, tant de traits communs et d’influences réciproques.
La fécondité de Largillière et celle de Rigaud sont vraiment
incroyables. D’après les carnets de Rigaud qui nous restent (de 1601
à 1698), il peignait déjà de trente à quarante portraits par an, sans
compter les copies, et ne cessa, en vieillissant et devenant plus
célèbre, de devenir aussi plus habile et plus expéditif. On peut
évaluer à deux mille cinq cents, au bas mot, le nombre des portraits
qui sortirent de son atelier. Comment donc être surpris que tous ne
soient pas de la même qualité ? Et si l’on se rappelle que Rigaud
employait, pour l’aider, une dizaine d’élèves ayant pris sa manière,
et que tous ces élèves purent aussi travailler pour leur compte, on
ne s’étonnera point de la multitude des toiles qui ont le droit, ou
presque, de porter son nom dans toutes les collections de l’univers.
Il serait plus que téméraire de garantir l’authenticité de tous
les Largillière et de tous les Rigaud qui figurent sur les catalogues
des diverses expositions. Quelques-uns sont médiocres, la plupart
agréables et plusieurs excellents. Parmi les Largillière, on a pu
remarquer au Petit Palais un Portrait de femme en bergère (col-
lection Deutsch de la Meurthe) et un magistral Portrait d’homme
(collection Gérôme) et, parmi les Rigaud, les portraits du Cardinal
de Fleury (musée de Perpignan), du Régent (collection d’Anzac de
Lamartinie) et surtout du brillant, du joyeux président Gaspard de
Gueydan, en berger d’opéra, jouant de la musette dans la campagne.
Avec ses jeux extraordinaires de bleus tendres, de roses et d’argent,
cette toile, traitée en carton de tapisserie, par larges touches et
par aplats, montre bien comment ces grands peintres, toujours sou-
cieux des ensembles et du décor, brossaient expressément leurs toiles
pour le milieu riche et élégant dans lequel elles devaient occuper
une place voulue et définitive. Nous avions tous admiré cette peinture
typique, représentative de toute une société, au musée d’Aix; mais
combien elle prend ici plus de valeur, isolée, suspendue à la muraille,
sur un fond de tapisserie, au-dessus d’un mobilier solide et brillant,
non plus simple objet de curiosité dans le pêle-mêle d’une collection,
mais partie intégrante et active d’un intérieur habité et vivant !
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
années seulement, plus d’un seigneur anglais (milord Montcassel (?),
milord Hostacq (?), milord Portland et milord son fils, etc...) Ainsi
s’établissaient entre les portraitistes français et les portraitistes
anglais, des relations amicales et constantes, qui devaient encore
se multiplier dans les générations suivantes et qui expliquent, entre
les deux écoles, malgré les différences de tempéraments et d'habi-
tudes, tant de traits communs et d’influences réciproques.
La fécondité de Largillière et celle de Rigaud sont vraiment
incroyables. D’après les carnets de Rigaud qui nous restent (de 1601
à 1698), il peignait déjà de trente à quarante portraits par an, sans
compter les copies, et ne cessa, en vieillissant et devenant plus
célèbre, de devenir aussi plus habile et plus expéditif. On peut
évaluer à deux mille cinq cents, au bas mot, le nombre des portraits
qui sortirent de son atelier. Comment donc être surpris que tous ne
soient pas de la même qualité ? Et si l’on se rappelle que Rigaud
employait, pour l’aider, une dizaine d’élèves ayant pris sa manière,
et que tous ces élèves purent aussi travailler pour leur compte, on
ne s’étonnera point de la multitude des toiles qui ont le droit, ou
presque, de porter son nom dans toutes les collections de l’univers.
Il serait plus que téméraire de garantir l’authenticité de tous
les Largillière et de tous les Rigaud qui figurent sur les catalogues
des diverses expositions. Quelques-uns sont médiocres, la plupart
agréables et plusieurs excellents. Parmi les Largillière, on a pu
remarquer au Petit Palais un Portrait de femme en bergère (col-
lection Deutsch de la Meurthe) et un magistral Portrait d’homme
(collection Gérôme) et, parmi les Rigaud, les portraits du Cardinal
de Fleury (musée de Perpignan), du Régent (collection d’Anzac de
Lamartinie) et surtout du brillant, du joyeux président Gaspard de
Gueydan, en berger d’opéra, jouant de la musette dans la campagne.
Avec ses jeux extraordinaires de bleus tendres, de roses et d’argent,
cette toile, traitée en carton de tapisserie, par larges touches et
par aplats, montre bien comment ces grands peintres, toujours sou-
cieux des ensembles et du décor, brossaient expressément leurs toiles
pour le milieu riche et élégant dans lequel elles devaient occuper
une place voulue et définitive. Nous avions tous admiré cette peinture
typique, représentative de toute une société, au musée d’Aix; mais
combien elle prend ici plus de valeur, isolée, suspendue à la muraille,
sur un fond de tapisserie, au-dessus d’un mobilier solide et brillant,
non plus simple objet de curiosité dans le pêle-mêle d’une collection,
mais partie intégrante et active d’un intérieur habité et vivant !