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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
yeux ne s'oublie plus. Dans ce kakémono, un des plus beaux qu’on
ait exposés, d’une si extraordinaire puissance visionnaire, d’une
couleur si profonde, où passent des lueurs et des irisations de
pierre précieuse, où vibre toute la gamme des vert bleu, des amé-
thystes, des tons passionnés et mystérieux, nous voyons le dernier
reflet de ces combats (xive siècle). Nagataka, sans atteindre les
sommets des x' et xi° siècles, est l’Orcagna de cette grande lignée,
dont il est un des derniers représentants. Yeshin (xe siècle), un
des premiers, en est le Fra Angelico. C’est à tort que l’on a
donné trop souvent ce nom à Chôdensu, puissant observateur, créa-
teur d’une galerie étonnante de portraits, dans sa vaste série des
Arliats’ du Daitokuji, dont nous avons pu voir quelques spécimens
au pavillon; son œuvre n’a point la suavité religieuse, la virginale
candeur, la délicatesse printanière du grand Italien. Une joie, une
sérénité pareilles nous enchantent dans les clairs kakémonos du
moine Yeshin. Les visions éblouissantes des tendres divinités fémi-
nines, des célestes musiciennes, des radieuses apparitions de grâce
et de bonheur, qui visitaient ses veilles et peuplaient pour lui les
solitudes du lac Biwa, étaient trop brillantes, trop spirituelles pour
la matérialité de la couleur. L’or pur en lins réseaux décoratifs
pouvait seul rendre la paisible splendeur de ses rêves.
Le troisième de ces trois grands poètes religieux, Nobuzané,
appartient déjà à une autre époque. A côté de Yeshin et des succes-
seurs des Ivosé, Motomitsu avait fondé une école purement japo-
naise, celle de Kasuga, dont sortit l’école Tosa. Elle fut nettement
séculière. C’est à elle que nous devons l’invention des makimonos,
ces longs rouleaux de dessins et de peintures d’un transport si facile
par ces temps troublés (xic-xue siècles). Dans l’histoire des temples,
les scènes de la vie guerrière et aristocratique, dans les légendes et
les caricatures qui les remplissent, tout le génie d’observation et
d’humour des Japonais, un sentiment dramatique intense se révè-
lent pour la première fois. Le Japon s’est libéré des influences
étrangères. Indifférent aux traditions et à la civilisation précieuses
qui, à Kioto, s’amollissent de plus en plus entre les mains énervées
des derniers Foujiwara, séparé pour des siècles de tout contact avec
la Chine livrée aux Tartares, ignorant de la renaissance Soung, déjà
en décadence, qu’il ne connaîtra que plus tard, au xv' siècle, il se
tourne vers les réalités de sa vie. Plusieurs causes collaborent à la
fois à le détacher du passé La religion se transforme. Le bouddhisme,
1. Les ascètes.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
yeux ne s'oublie plus. Dans ce kakémono, un des plus beaux qu’on
ait exposés, d’une si extraordinaire puissance visionnaire, d’une
couleur si profonde, où passent des lueurs et des irisations de
pierre précieuse, où vibre toute la gamme des vert bleu, des amé-
thystes, des tons passionnés et mystérieux, nous voyons le dernier
reflet de ces combats (xive siècle). Nagataka, sans atteindre les
sommets des x' et xi° siècles, est l’Orcagna de cette grande lignée,
dont il est un des derniers représentants. Yeshin (xe siècle), un
des premiers, en est le Fra Angelico. C’est à tort que l’on a
donné trop souvent ce nom à Chôdensu, puissant observateur, créa-
teur d’une galerie étonnante de portraits, dans sa vaste série des
Arliats’ du Daitokuji, dont nous avons pu voir quelques spécimens
au pavillon; son œuvre n’a point la suavité religieuse, la virginale
candeur, la délicatesse printanière du grand Italien. Une joie, une
sérénité pareilles nous enchantent dans les clairs kakémonos du
moine Yeshin. Les visions éblouissantes des tendres divinités fémi-
nines, des célestes musiciennes, des radieuses apparitions de grâce
et de bonheur, qui visitaient ses veilles et peuplaient pour lui les
solitudes du lac Biwa, étaient trop brillantes, trop spirituelles pour
la matérialité de la couleur. L’or pur en lins réseaux décoratifs
pouvait seul rendre la paisible splendeur de ses rêves.
Le troisième de ces trois grands poètes religieux, Nobuzané,
appartient déjà à une autre époque. A côté de Yeshin et des succes-
seurs des Ivosé, Motomitsu avait fondé une école purement japo-
naise, celle de Kasuga, dont sortit l’école Tosa. Elle fut nettement
séculière. C’est à elle que nous devons l’invention des makimonos,
ces longs rouleaux de dessins et de peintures d’un transport si facile
par ces temps troublés (xic-xue siècles). Dans l’histoire des temples,
les scènes de la vie guerrière et aristocratique, dans les légendes et
les caricatures qui les remplissent, tout le génie d’observation et
d’humour des Japonais, un sentiment dramatique intense se révè-
lent pour la première fois. Le Japon s’est libéré des influences
étrangères. Indifférent aux traditions et à la civilisation précieuses
qui, à Kioto, s’amollissent de plus en plus entre les mains énervées
des derniers Foujiwara, séparé pour des siècles de tout contact avec
la Chine livrée aux Tartares, ignorant de la renaissance Soung, déjà
en décadence, qu’il ne connaîtra que plus tard, au xv' siècle, il se
tourne vers les réalités de sa vie. Plusieurs causes collaborent à la
fois à le détacher du passé La religion se transforme. Le bouddhisme,
1. Les ascètes.