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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
d’ailleurs, est relativement restreinte, et, nouvel avantage pour l’étude dont nous
parlions, elle est très nettement délimitée. On sait que les artistes troyens ont
poussé telle pointe vers la Lorraine, telle autre vers Fontainebleau, mais, dans
leur minutieuse enquête, nos archéologues explorateurs ont très bien senti la
limite idéale à laquelle devait s’arrêter leur champ d’investigation.
Cette école, si féconde et si bien délimitée, était en même temps très locale ;
j’entends qu’elle sortait de l’esprit même du pays qui la vit fleurir; ses pro-
ductions offrent des rapports évidemment avec celles des autres écoles contem-
poraines, rapports que ion constate toujours aisément lorsqu’on étudie l’esprit
général d’une époque, mais sans que l’on puisse affirmer ici que nous ayons
affaire à un dérivé de telle ou telle école provinciale ou étrangère. L’école
troyenne de sculpture allait garder son originalité pendant tout le temps de son
existence. Les influences qu’elle put recevoir du dehors produisirent dans le
milieu troyen quelque chose de tout spécial, et qui ne se répandit pas non plus
beaucoup au delà des limites de la province; tandis que, par exemple, si l’on
étudiait la sculpture en Normandie à la même époque, à Rouen, à Verneuil, à
Louviers, etc., il faudrait, dans les origines, faire une part assez importante aux
influences bourguignonnes, très sensibles dans certains monuments de cette
école. Si l’on étudiait, par contre, la sculpture en Touraine, il faudrait tenir
compte de ce que les-productions essentielles des maîtres tourangeaux étaient
dispersées de Rouen à La Rochelle, et de Nantes à Paris, et que l’importance
même des maîtres de ce pays, d'un Michel Colombe ou d'un Guillaume Régnault,
l’accueil fait à leur talent par les personnages les plus importants du royaume,
leur a permis, sans doute, d’exercer une influence assez générale. Il n’en va pas
ainsi à Troyes. Composée d’imagiers modestes, d’artisans ingénieux et féconds,
l’école s’est longtemps suffi à elle-même, et si, à un moment donné, elle a
ouvert ses portes aux influences étrangères, elle n’a guère exercé d’influence en
retour.
D’autre partasi les maîtres tourangeaux, par exemple, nous apparaissent
presque comme des individualités puissantes, exerçant autour d’eux une grande
influence sur tout l’art de leur temps, ils sont relativement isolés; et, sans
doute, n’est-ce pas seulement la faute des destructions si nous pouvons grouper
si peu d’œuvres analogues autour de la Vierge d’Olivet. A Troyes, au contraire,
à côté d’une œuvre d’un maître connu ou anonyme, comme l’admirable Sainte
Marthe de la Madeleine ou le retable de Larrivour, par Juliot, il y a toute une
échelle d’œuvres, intéressantes à des degrés différents, mais dont quelques-unes
sont très près de l’œuvre maîtresse. Telle cette Pitié de Bayel, que nous repro-
duisons ici et qui doit être mise, dans l’estime des amateurs d’art, tout près de
la Sainte Marthe de Troyes. De là la facilité de reconstituer des groupements
d’œuvres, même lorsque Ton ignore le nom du maître ou que, par prudence his-
torique, on ne veut pas mettre en tête de ce groupe un de ces noms fournis par
les archives, et qui n’ont pas encore pu rejoindre la série de leurs œuvres, peut-
être conservées cependant.
Cette école de sculpture offrait donc, à qui voulait en suivre le développe-
ment avec méthode, un champ d’expérience admirable, très fourni et presque
clos. La plus grande difficulté provenait de la profusion même des documents
qu’il fallait recueillir, juger et classer. Ce travail délicat de mise en œuvre, où
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d’ailleurs, est relativement restreinte, et, nouvel avantage pour l’étude dont nous
parlions, elle est très nettement délimitée. On sait que les artistes troyens ont
poussé telle pointe vers la Lorraine, telle autre vers Fontainebleau, mais, dans
leur minutieuse enquête, nos archéologues explorateurs ont très bien senti la
limite idéale à laquelle devait s’arrêter leur champ d’investigation.
Cette école, si féconde et si bien délimitée, était en même temps très locale ;
j’entends qu’elle sortait de l’esprit même du pays qui la vit fleurir; ses pro-
ductions offrent des rapports évidemment avec celles des autres écoles contem-
poraines, rapports que ion constate toujours aisément lorsqu’on étudie l’esprit
général d’une époque, mais sans que l’on puisse affirmer ici que nous ayons
affaire à un dérivé de telle ou telle école provinciale ou étrangère. L’école
troyenne de sculpture allait garder son originalité pendant tout le temps de son
existence. Les influences qu’elle put recevoir du dehors produisirent dans le
milieu troyen quelque chose de tout spécial, et qui ne se répandit pas non plus
beaucoup au delà des limites de la province; tandis que, par exemple, si l’on
étudiait la sculpture en Normandie à la même époque, à Rouen, à Verneuil, à
Louviers, etc., il faudrait, dans les origines, faire une part assez importante aux
influences bourguignonnes, très sensibles dans certains monuments de cette
école. Si l’on étudiait, par contre, la sculpture en Touraine, il faudrait tenir
compte de ce que les-productions essentielles des maîtres tourangeaux étaient
dispersées de Rouen à La Rochelle, et de Nantes à Paris, et que l’importance
même des maîtres de ce pays, d'un Michel Colombe ou d'un Guillaume Régnault,
l’accueil fait à leur talent par les personnages les plus importants du royaume,
leur a permis, sans doute, d’exercer une influence assez générale. Il n’en va pas
ainsi à Troyes. Composée d’imagiers modestes, d’artisans ingénieux et féconds,
l’école s’est longtemps suffi à elle-même, et si, à un moment donné, elle a
ouvert ses portes aux influences étrangères, elle n’a guère exercé d’influence en
retour.
D’autre partasi les maîtres tourangeaux, par exemple, nous apparaissent
presque comme des individualités puissantes, exerçant autour d’eux une grande
influence sur tout l’art de leur temps, ils sont relativement isolés; et, sans
doute, n’est-ce pas seulement la faute des destructions si nous pouvons grouper
si peu d’œuvres analogues autour de la Vierge d’Olivet. A Troyes, au contraire,
à côté d’une œuvre d’un maître connu ou anonyme, comme l’admirable Sainte
Marthe de la Madeleine ou le retable de Larrivour, par Juliot, il y a toute une
échelle d’œuvres, intéressantes à des degrés différents, mais dont quelques-unes
sont très près de l’œuvre maîtresse. Telle cette Pitié de Bayel, que nous repro-
duisons ici et qui doit être mise, dans l’estime des amateurs d’art, tout près de
la Sainte Marthe de Troyes. De là la facilité de reconstituer des groupements
d’œuvres, même lorsque Ton ignore le nom du maître ou que, par prudence his-
torique, on ne veut pas mettre en tête de ce groupe un de ces noms fournis par
les archives, et qui n’ont pas encore pu rejoindre la série de leurs œuvres, peut-
être conservées cependant.
Cette école de sculpture offrait donc, à qui voulait en suivre le développe-
ment avec méthode, un champ d’expérience admirable, très fourni et presque
clos. La plus grande difficulté provenait de la profusion même des documents
qu’il fallait recueillir, juger et classer. Ce travail délicat de mise en œuvre, où