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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 25.1901

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Nr. 4
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Hébert, Ernest: La villa Médicis en 1840: souvenirs d'un pensionnaire
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https://doi.org/10.11588/diglit.24807#0286

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266

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

J’arrivai en janvier 1840 à Rome, où mes camarades de promo-
tion m’avaient précédé : Gruyère, sculpteur; Vauthier, graveur en
médailles; Gounod, musicien, et Lefnel, architecte, qui fut pour
Gounod et pour moi plus qu’un ami dévoué pendant notre pension
et jusqu’à la lin de sa vie. Je fus tout de suite présenté à M. Ingres,
qui me reçut avec sa bonté cordiale et me fit installer dans une
chambre au haut d’un des campaniles, d’où l’on avait une vue magni-
fique sur Rome ; mais ce panorama grandiose ne me produisit alors
aucun effet : je regardais sans voir. Ce ne fut que plus tard que les
voiles tombèrent et que je sentis la beauté de ce que j’avais devant
les yeux. Toutefois, dès les premiers jours, je m’aperçus de la puis-
sante influence qu’avait notre directeur, non seulement sur les pen-
sionnaires de l’Académie, mais aussi sur tous les artistes français
ou étrangers qui l’avaient suivi à Rome, pour y vivre encore sous
sa loi. Ses élèves étaient là en grand nombre, tous fidèles et dévoués
au culte du maître. Moi aussi, malgré mes belles résolutions de jeune
idiot sûr de sa voie, malgré les railleries du public éclairé de ce
temps-là, malgré les post-scriptum de mon cousin Beyle (Stendhal),
qui ne m’écrivait jamais sans ajouter : « Prenez garde à la couleur
chocolat! », moi aussi je me sentis peu à peu enveloppé, conquis,
par le charme austère de cet homme si grand par le talent, si simple
dans sa vie privée, qui ne lisait qu’Homère et n’aimait que les Grecs
et Raphaël, dont il savait parler en homme de leur race; moi aussi,
je ne tardai donc pas à le suivre dans sa route hautaine, vers un
beau idéal bien différent de celui que j’avais rêvé avant ma con-
version.

Le moment de penser à mon envoi de première année étant
venu, conseillé par mes camarades, je pris pour modèle un débar-
deur du Tibre qui avait posé pour M. Ingres; il se nommait
Mastrillo et ressemblait plus à un gorille qu’à un homme. J’en fis
quelques croquis dans l’esprit de ce qui se faisait autour de moi, et
enfin je traçai sur le mur de mon atelier, d’après ces dessins, une
figure grande comme nature, représentant un berger antique avec
une peau de bête sur les épaules et l’air farouche à la mode.

Ce projet, exécuté au fusain, rehaussé de quelques touches de
crayon blanc, avec ses bonnes ombres lourdes et ses contours angu-
leux, sembla plaire aux camarades, comme une profession de foi
des plus significatives. Je fus donc encouragé à le montrer à M. le
directeur, dont je devais avoir, selon le règlement, l’approbation
avant de l’exécuter sur la toile. Seulement, on me recommanda de
 
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