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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Belles années de la jeunesse! vous avez bien mérité qu’on vous
garde un fidèle souvenir, car c’est à vous que nous devons ce qui
est resté de meilleur en nous.
Le salon de la direction, sous M.Ingres, était sérieux et simple;
il n’était imposant que par la personnalité du maître, honoré et
visité par les illustrations de tous les pays, qui ne passaient pas par
Rome sans venir saluer le chef de l'école française. C’est ainsi que
nous eûmes la bonne fortune d’entendre Fanny Mendelssohn, la
sœur du grand compositeur, jouer à M. Ingres quelques-unes des
plus belles pages de son frère : cette audition eut lieu sous le vesti-
bule, au milieu d’un public nombreux, une après-midi de printemps,
en face de la villa Borghése et des pins d’Italie dorés par les derniers
rayons du soleil.
C’est encore vers cette époque que Mme Viardot, en voyage de
noces, vint voir M. Ingres avec son mari, et qu’un soir nous eûmes
la joie de lui entendre chanter bien des choses impressionnantes, e
surtout une romance de je ne sais qui, très belle, se terminant par
une phrase que je n’ai jamais oubliée : « Il savait bien que sa
compagne serait fidèle au malheur! », partant des notes les plus
graves pour s’épanouir, aux derniers mots, dans les notes les plus
éclatantes de cette incomparable voix.
Par un scrupule d’exactitude, nous avons adressé à Mme Viardot
la prière de compléter nos souvenirs; nous lui sommes infiniment
reconnaissant de la charmante lettre qu’elle a bien voulu nous écrire :
Cher monsieur Hébert,
243, boulevard Saint-Germain,
13 février 1901.
Je me souviens parfaitement de ce que j’ai chanté à l’Académie de
France, à Rome. C’était, entre autres choses, La Fiancée du Brigand, qui
commence par : « Je l’ai suivi dans la montagne.... »
Cette romance est de ma sœur, Mme Malibran. Ce même soir, M. Ingres
m’à demandé de chanter l’air de Freischütz. Mais il n’y avait pas de
musique; un jeune homme s’est offert à me l’accompagner par cœur tant
bien que mal. Cela a été très bien. Je n’ai su que longtemps après le nom
de ce jeune homme... Charles Gounod.
C’était, en effet, mon voyage de noces, en 1840.
Je suis charmée de l’occasion qui me permet de vous exprimer mes
vifs sentiments d’admiration.
Pauline Viardot.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Belles années de la jeunesse! vous avez bien mérité qu’on vous
garde un fidèle souvenir, car c’est à vous que nous devons ce qui
est resté de meilleur en nous.
Le salon de la direction, sous M.Ingres, était sérieux et simple;
il n’était imposant que par la personnalité du maître, honoré et
visité par les illustrations de tous les pays, qui ne passaient pas par
Rome sans venir saluer le chef de l'école française. C’est ainsi que
nous eûmes la bonne fortune d’entendre Fanny Mendelssohn, la
sœur du grand compositeur, jouer à M. Ingres quelques-unes des
plus belles pages de son frère : cette audition eut lieu sous le vesti-
bule, au milieu d’un public nombreux, une après-midi de printemps,
en face de la villa Borghése et des pins d’Italie dorés par les derniers
rayons du soleil.
C’est encore vers cette époque que Mme Viardot, en voyage de
noces, vint voir M. Ingres avec son mari, et qu’un soir nous eûmes
la joie de lui entendre chanter bien des choses impressionnantes, e
surtout une romance de je ne sais qui, très belle, se terminant par
une phrase que je n’ai jamais oubliée : « Il savait bien que sa
compagne serait fidèle au malheur! », partant des notes les plus
graves pour s’épanouir, aux derniers mots, dans les notes les plus
éclatantes de cette incomparable voix.
Par un scrupule d’exactitude, nous avons adressé à Mme Viardot
la prière de compléter nos souvenirs; nous lui sommes infiniment
reconnaissant de la charmante lettre qu’elle a bien voulu nous écrire :
Cher monsieur Hébert,
243, boulevard Saint-Germain,
13 février 1901.
Je me souviens parfaitement de ce que j’ai chanté à l’Académie de
France, à Rome. C’était, entre autres choses, La Fiancée du Brigand, qui
commence par : « Je l’ai suivi dans la montagne.... »
Cette romance est de ma sœur, Mme Malibran. Ce même soir, M. Ingres
m’à demandé de chanter l’air de Freischütz. Mais il n’y avait pas de
musique; un jeune homme s’est offert à me l’accompagner par cœur tant
bien que mal. Cela a été très bien. Je n’ai su que longtemps après le nom
de ce jeune homme... Charles Gounod.
C’était, en effet, mon voyage de noces, en 1840.
Je suis charmée de l’occasion qui me permet de vous exprimer mes
vifs sentiments d’admiration.
Pauline Viardot.