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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
riorité marquée sur la plupart de ses compatriotes et qu'il possédait
dans sa tète et dans ses doigts une trentaine de motifs pittoresques,
alors que les plus habiles parmi eux disposaient à peine de quinze
ou vingt de ces motifs; il espérait bien, d’ailleurs, pendant son
séjour en Europe, avoir encore enrichi sa mémoire et son fonds.
Sous une forme naïve, cette critique inconsciente de l’école japo-
naise et de ses formules no laisse pas de nous être applicable. Com-
bien de nos paysagistes semblent s’ôtre affublés d’œillères pour ne
pas voir les beautés de la nature et se condamnent à refaire sans
cesse le môme tableau ! Quiconque a suivi avec un peu d'attention
le mouvement de nos Salons peut compter y revoir chaque année
les mêmes plages, les memes chemins ou les mêmes carrières, les
mêmes meules espacées dans les mêmes sillons, les mêmes maisons,
que dis-je? les mêmes toits, peints invariablement par les mêmes
peintres ; tandis qu’avec un sens plus large et un esprit moins
fermé, chacun d’eux, en se laissant loucher par tout ce qui le tentait
dans la nature, aurait pu renouveler à la fois ses jouissances et son
talent. Entre les paysagistes contemporains — et parce qu’il est
mon ami, pourquoi ne le dirai-je pas? — Zuber, dans ses aqua-
relles, ses décorations ou scs tableaux, me parait le seul qui, avec
une égale supériorité, ait embrassé l’ensemble des beautés natu-
relles, en peignant tour à tour le Nord et le Midi, la mer, les champs,
les forêts, les villages et les villes, la plaine et la montagne, le soleil
et la brume, l’aube et le crépuscule, toutes les saisons, tous les effets,
tous les temps, en conservant à chacune de ces impressions diffé-
rentes son caractère et sa poésie.
C’est l’honneur de ce difficile et séduisant métier de paysagiste
de chercher à mettre dans cette diversité des aspects de la nature
autre chose qu’une copie sèche et d’en dégager le sens intime et
la vraie signification. Si discret que doive être pour lui le travail de
la composition, il existe cependant, et la subordination de tous les
éléments d’une œuvre à l’impression qu’il veut produire exige cette
constante intervention de son intelligence, qui seule fait la dignité
de l’art. Qu’il le veuille ou non, le peintre, s'il a quelque talent,
met quelque chose de lui-même, de ses sentiments, de son amour
pour la nature, dans les traits qu'il en choisit et que de son mieux
il s ingénie à manifester. Lorsqu’on face de la réalité il s’applique
à y accuser certaines formes, ou bien à en dégager des harmonies
indistinctes, il reste vis-à-vis d'elle à la fois respectueux et libre,
aussi heureux des admirations qu’elle lui inspire que des enseigne-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
riorité marquée sur la plupart de ses compatriotes et qu'il possédait
dans sa tète et dans ses doigts une trentaine de motifs pittoresques,
alors que les plus habiles parmi eux disposaient à peine de quinze
ou vingt de ces motifs; il espérait bien, d’ailleurs, pendant son
séjour en Europe, avoir encore enrichi sa mémoire et son fonds.
Sous une forme naïve, cette critique inconsciente de l’école japo-
naise et de ses formules no laisse pas de nous être applicable. Com-
bien de nos paysagistes semblent s’ôtre affublés d’œillères pour ne
pas voir les beautés de la nature et se condamnent à refaire sans
cesse le môme tableau ! Quiconque a suivi avec un peu d'attention
le mouvement de nos Salons peut compter y revoir chaque année
les mêmes plages, les memes chemins ou les mêmes carrières, les
mêmes meules espacées dans les mêmes sillons, les mêmes maisons,
que dis-je? les mêmes toits, peints invariablement par les mêmes
peintres ; tandis qu’avec un sens plus large et un esprit moins
fermé, chacun d’eux, en se laissant loucher par tout ce qui le tentait
dans la nature, aurait pu renouveler à la fois ses jouissances et son
talent. Entre les paysagistes contemporains — et parce qu’il est
mon ami, pourquoi ne le dirai-je pas? — Zuber, dans ses aqua-
relles, ses décorations ou scs tableaux, me parait le seul qui, avec
une égale supériorité, ait embrassé l’ensemble des beautés natu-
relles, en peignant tour à tour le Nord et le Midi, la mer, les champs,
les forêts, les villages et les villes, la plaine et la montagne, le soleil
et la brume, l’aube et le crépuscule, toutes les saisons, tous les effets,
tous les temps, en conservant à chacune de ces impressions diffé-
rentes son caractère et sa poésie.
C’est l’honneur de ce difficile et séduisant métier de paysagiste
de chercher à mettre dans cette diversité des aspects de la nature
autre chose qu’une copie sèche et d’en dégager le sens intime et
la vraie signification. Si discret que doive être pour lui le travail de
la composition, il existe cependant, et la subordination de tous les
éléments d’une œuvre à l’impression qu’il veut produire exige cette
constante intervention de son intelligence, qui seule fait la dignité
de l’art. Qu’il le veuille ou non, le peintre, s'il a quelque talent,
met quelque chose de lui-même, de ses sentiments, de son amour
pour la nature, dans les traits qu'il en choisit et que de son mieux
il s ingénie à manifester. Lorsqu’on face de la réalité il s’applique
à y accuser certaines formes, ou bien à en dégager des harmonies
indistinctes, il reste vis-à-vis d'elle à la fois respectueux et libre,
aussi heureux des admirations qu’elle lui inspire que des enseigne-