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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
goût dans le choix des sujets. Mais ce choix fait, le photographe doit
abdiquer toute liberté. En face de lunature, il reste l'esclave du
soleil, d’un nuage qui passe, du motif qu’il a choisi, do la sensibilité
d’une plaque ou d’un papier, des procédés plus ou moins savants
auxquels il lui faut recourir, des hasards, plus ou moins heureux
dont il peut profiter. C’est son appareil qui voit pour lui, qui exécute
pour lui; c’est à l’aveuglette, avec des recettes transmises ou des
trouvailles accidentelles, qu’il Lire ses images, qu'il corrige ou qu’il
modifie les données que lui a procurées son objectif. Chez l’artiste,
au contraire, même en le supposant aussi scrupuleux qu’on voudra,
la liberté demeure entière. Quand il s’asseoit, c’est son sentiment
propre et son goût qui l’ont guidé ; il est, à tout moment, juge de son
travail, des moyens qu’il doit employer. 11 peut, à son gré, supprimer
ou déplacer tel détail qui le gêne, changer des distances, accentuer
une silhouette. Dans ces modifications réfléchies, il obéit à son idée,
à l’impression qu’il éprouve, à celle qu’il veut produire. Il est son
maître ; c’est son œil qui voit, sa main qui agit, son esprit qui la
guide ; en tout ce qu’il fait sa personnalité se marque ; tout ce que
fait le photographe est impersonnel. Quelles que soient les satisfac-
tions do ce dernier, il ne saurait soupçonner les suprêmes jouissances
que procurent à l’artiste ces longues heures passées dans la contem-
plation de la nature et les précieuses confidences qu’il reçoit d’elle.
Ce n’est pas non plus un des moindres bénéfices de l’existence du
paysagiste que de vivre, comme il fait, en contact familier avec la
partie restée vraiment saine de ces populations méridionales. A côté
des exploiteurs des villes, hôteliers cosmopolites, gargotiers, loueurs,
voituriers, portefaix, qui pressurent à qui mieux l’étranger, on aime
à retrouver les braves gens: pêcheurs, cultivateurs, jardiniers ou
fleuristes, qui peinent pour gagner leur modeste salaire. A frayer
avec eux, à s’intéresser à leur travaux, on gagne vite leur confiance.
Peu à peu, on se sent gagné soi-même par tout ce qu’ils montrent
de raison, de bonté, de dévouement dans leurs rapports entre eux.
En vous voyant, de leur côté, assidu à votre tâche, travaillant comme
eux tout le jour, ils sont attirés vers vous, vous adressent de naïves
questions sur votre profession, sur le pays que vous habitez, ses cul-
tures et ses ressources. Partout, dans les différents séjours que j’ai
faits le long de la côte et dans la montagne, à Giens comme à la
Pointe d’Antibes, et dans ces jolis coins des environs qui vous offrent
des excursions faciles ou des sujets d’étude variés, à Biot, à Ville-
neuve-Loubet, à Cagnes, à Saint-Paul ou dans ce patriarcal village
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goût dans le choix des sujets. Mais ce choix fait, le photographe doit
abdiquer toute liberté. En face de lunature, il reste l'esclave du
soleil, d’un nuage qui passe, du motif qu’il a choisi, do la sensibilité
d’une plaque ou d’un papier, des procédés plus ou moins savants
auxquels il lui faut recourir, des hasards, plus ou moins heureux
dont il peut profiter. C’est son appareil qui voit pour lui, qui exécute
pour lui; c’est à l’aveuglette, avec des recettes transmises ou des
trouvailles accidentelles, qu’il Lire ses images, qu'il corrige ou qu’il
modifie les données que lui a procurées son objectif. Chez l’artiste,
au contraire, même en le supposant aussi scrupuleux qu’on voudra,
la liberté demeure entière. Quand il s’asseoit, c’est son sentiment
propre et son goût qui l’ont guidé ; il est, à tout moment, juge de son
travail, des moyens qu’il doit employer. 11 peut, à son gré, supprimer
ou déplacer tel détail qui le gêne, changer des distances, accentuer
une silhouette. Dans ces modifications réfléchies, il obéit à son idée,
à l’impression qu’il éprouve, à celle qu’il veut produire. Il est son
maître ; c’est son œil qui voit, sa main qui agit, son esprit qui la
guide ; en tout ce qu’il fait sa personnalité se marque ; tout ce que
fait le photographe est impersonnel. Quelles que soient les satisfac-
tions do ce dernier, il ne saurait soupçonner les suprêmes jouissances
que procurent à l’artiste ces longues heures passées dans la contem-
plation de la nature et les précieuses confidences qu’il reçoit d’elle.
Ce n’est pas non plus un des moindres bénéfices de l’existence du
paysagiste que de vivre, comme il fait, en contact familier avec la
partie restée vraiment saine de ces populations méridionales. A côté
des exploiteurs des villes, hôteliers cosmopolites, gargotiers, loueurs,
voituriers, portefaix, qui pressurent à qui mieux l’étranger, on aime
à retrouver les braves gens: pêcheurs, cultivateurs, jardiniers ou
fleuristes, qui peinent pour gagner leur modeste salaire. A frayer
avec eux, à s’intéresser à leur travaux, on gagne vite leur confiance.
Peu à peu, on se sent gagné soi-même par tout ce qu’ils montrent
de raison, de bonté, de dévouement dans leurs rapports entre eux.
En vous voyant, de leur côté, assidu à votre tâche, travaillant comme
eux tout le jour, ils sont attirés vers vous, vous adressent de naïves
questions sur votre profession, sur le pays que vous habitez, ses cul-
tures et ses ressources. Partout, dans les différents séjours que j’ai
faits le long de la côte et dans la montagne, à Giens comme à la
Pointe d’Antibes, et dans ces jolis coins des environs qui vous offrent
des excursions faciles ou des sujets d’étude variés, à Biot, à Ville-
neuve-Loubet, à Cagnes, à Saint-Paul ou dans ce patriarcal village