RUDOLF ALT
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façon de travailler du «père Alt». Qu’on se représente un vieux mon-
sieur, à une partie d’échecs par correspondance, isolé devant une
petite table de bois peinte en noir, dans l’embrasure d'une fenêtre
où fleurissent quelques provinciaux pots de géraniums et d’azalées.
Tel apparaît M. Alt, lavant, à peu près de chic, une vue de Salzbourg
ou d’Innsbruck, — du reste autrefois bien faite une dizaine de fois
d'après nature, — avec une telle conscience et une mémoire si fidèle
que, réellement, il faut penser au tour de force de Durer émerveil-
lant ses proches à dessiner une à une, séparément, toutes les têtes
d’une foule selon des contours si précis, que, découpées, elles
s’inscrivaient l’une dans l’autre, de façon à ne laisser aucun vide.
Autour du vieil aquarelliste, tout est ancien ; ses cartons sont
bourrés d’études de sa jeunesse. M. L. Hevesi, qui les a ouverts
pour le compte de la jeune revue sécessionniste Ver sacrum et à
qui nous devons les renseignements biographiques de cet article,
y relève un arc de Titus de 1835, alors que le Forum n’était pas
déterré sous les buttes de gazon où erraient les buffles; un coucher
de soleil italien à l’huile, du 8 juillet 1842 ; des rochers avec plantes
méridionales, de Capri 1833; un Colisée datant du premier voyage
à Rome; un Orvieto; un grand Sienne avec une vaste vue sur les
campagnes, ombrées au premier plan, plus loin toutes gaies sous le
soleil toscan; un Venise avec les uniformes autrichiens de 1864.
Quant aux pièces récentes, elles s’enlèvent au fur et à mesure. Trois
coucous crient l’heure ensemble dans cet intérieur d’autrefois. De
temps en temps, l’artiste peint le n’importe quoi qui se présente de
sa fenêtre, et c’est justement cet amas de vieux fer qu’il a exposé
en 1896 et pour lequel les «jeunes » lui ont offert la couronne qu’il
garde dans sa chambrette de travail. Si le temps est beau, il tra-
vaille dehors, dans les rues ou sur les ponts les plus populeux, sans
se soucier d’aucun rassemblement, ou bien il va s’installer dans les
grands magasins de blanc qui font vis-à-vis à Saint-Etienne. Il ne
sait pas combien de fois il a déjà peint l’antique métropole ; la
première fois, ce fut à l’huile, en 1831 ; ce tableau est entré dans les
collections impériales. En homme rangé, fidèle à ses vieux amis età
ses vieilles habitudes, comme à ses vieux motifs, tous les vendredis
il se rend au Anzengruber Club, dont il est président, et duquel il se
ferait un gros scrupule de manquer une seule réunion... Bref, sa vie
et son intérieur sont ce qu’il est convenu d’appeler à la Dickens, mais
un seul écrivain, le Tchèque Neruda, a donné de ces existences bour-
geoises la modalité spécialement autrichienne, dans ses Contes de
XXV . — 3e PÉRIODE.
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façon de travailler du «père Alt». Qu’on se représente un vieux mon-
sieur, à une partie d’échecs par correspondance, isolé devant une
petite table de bois peinte en noir, dans l’embrasure d'une fenêtre
où fleurissent quelques provinciaux pots de géraniums et d’azalées.
Tel apparaît M. Alt, lavant, à peu près de chic, une vue de Salzbourg
ou d’Innsbruck, — du reste autrefois bien faite une dizaine de fois
d'après nature, — avec une telle conscience et une mémoire si fidèle
que, réellement, il faut penser au tour de force de Durer émerveil-
lant ses proches à dessiner une à une, séparément, toutes les têtes
d’une foule selon des contours si précis, que, découpées, elles
s’inscrivaient l’une dans l’autre, de façon à ne laisser aucun vide.
Autour du vieil aquarelliste, tout est ancien ; ses cartons sont
bourrés d’études de sa jeunesse. M. L. Hevesi, qui les a ouverts
pour le compte de la jeune revue sécessionniste Ver sacrum et à
qui nous devons les renseignements biographiques de cet article,
y relève un arc de Titus de 1835, alors que le Forum n’était pas
déterré sous les buttes de gazon où erraient les buffles; un coucher
de soleil italien à l’huile, du 8 juillet 1842 ; des rochers avec plantes
méridionales, de Capri 1833; un Colisée datant du premier voyage
à Rome; un Orvieto; un grand Sienne avec une vaste vue sur les
campagnes, ombrées au premier plan, plus loin toutes gaies sous le
soleil toscan; un Venise avec les uniformes autrichiens de 1864.
Quant aux pièces récentes, elles s’enlèvent au fur et à mesure. Trois
coucous crient l’heure ensemble dans cet intérieur d’autrefois. De
temps en temps, l’artiste peint le n’importe quoi qui se présente de
sa fenêtre, et c’est justement cet amas de vieux fer qu’il a exposé
en 1896 et pour lequel les «jeunes » lui ont offert la couronne qu’il
garde dans sa chambrette de travail. Si le temps est beau, il tra-
vaille dehors, dans les rues ou sur les ponts les plus populeux, sans
se soucier d’aucun rassemblement, ou bien il va s’installer dans les
grands magasins de blanc qui font vis-à-vis à Saint-Etienne. Il ne
sait pas combien de fois il a déjà peint l’antique métropole ; la
première fois, ce fut à l’huile, en 1831 ; ce tableau est entré dans les
collections impériales. En homme rangé, fidèle à ses vieux amis età
ses vieilles habitudes, comme à ses vieux motifs, tous les vendredis
il se rend au Anzengruber Club, dont il est président, et duquel il se
ferait un gros scrupule de manquer une seule réunion... Bref, sa vie
et son intérieur sont ce qu’il est convenu d’appeler à la Dickens, mais
un seul écrivain, le Tchèque Neruda, a donné de ces existences bour-
geoises la modalité spécialement autrichienne, dans ses Contes de
XXV . — 3e PÉRIODE.
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