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— 84 —

séquemment plus ou moins répandu, mais en-
core une fois, ce ne sera pas un artiste dans
la signification du mot.

Les milliers de photographes forains qui
parcourent les marchés européens, exercent,
sans conteste, une industrie; ceux-là n'ont évi-
demment pas ledroit de s'intituler artistes. Ils
sont arrivés au dernier degré de l'échelle que
possède toute chose en ce monde. Il y a tou-
jours la transition de l'infiniment grand à l'in-
finiment petit dans les oeuvres humaines. Du
Raphaël des Madones au Raphaël du bâtiment,
il y a des peintres; du Racine d'Athalie jus-
qu'au perruquier André, il ya des poètes; de
la cime au ruisseau, il y a des splendeurs,
mais enfin vient un moment où tout art s'ar-
rête, où toute poésie expire, où toute gran-
deur disparaît pour faire place à une prose
vulgaire et brutale. Ce moment est arrivé
pour l'art de la photographie, aussitôt que
l'homme, afin de corriger, modifier, changer,
compléter le produit de cet art, appelle à son
secours l'industrie factice de lu retouche.

Si cela n'était pas compris comme un axio-
me deslinéà devenir une loi, ce serait ungrand
malheur, caria photographie marche à pas de
géant et il serait bon de commencer à s'en-
tendre sur le degré de reconnaissance et d'es-
time qui est dû à ceux qui s'y adonnent par
vocation ou par dévouement, et à ceux qui en
font l'objet d'une combinaison purement in-
dustrielle.

L'immense travail que M. Fierlanls vient
d'accomplir avec l'aide du gouvernement qui
a donné, à cette occasion, une preuve d'intel-
ligente initiative dont il faut lui savoir un gré
infini, est sans contredit ce qui s'est fait
de plus vaste en Europe. On a vu en An-
gleterre, en Allemagne et en France, de splen-
dides collections de photographies d'œuvres
peintes, maispresque toutes ont été, indépen-
damment des retouches particulières auxquel-
les elles ont été soumises, obtenues au moyen
de cartons, de dessins ou d'esquisses spécia-
lement préparées pour la circonstance et non
directement d'après Fœuvreoriginale; j'en ex-
cepte les petits tableaux de chevalet, et enco-
re ! Mais ici ce ne sont point des gravures, fai-
tes d'après les originaux que M. Fierlants a
clichées; ce n'est ni d'après des dessins faits ad
hoc, ni d'après des réductions, ni d'après des
cartons qu'il a travaillé, mais ce sont bien les
originaux eux-mêmes, quelque grands qu'ils
fussent, qui ont posé devant son objectif.Qu'on
se figure des toiles mesurant de mille à douze
cents pieds carrés telles que le Triomphe du
Christ, la Chute des anges et le Patrocle, placées
avec despeines aussi innombrables qu'infinies
devant le mystérieux et magique instrument,
dans des conditions particulières de lumière,
dejour, de perspective et de goût, conditions
dont lephotographeestseui juge. Ah ! combien
le malheureux est soumis à de délicates res-
ponsabilités! Ou le peintre reproche à celui-
ci l'insuccès de la reproduction et lui attribue
le peu de vogue de son tableau, ou bien c'est
le public qui s'écrie que le tableau est bien
supérieur à la reproduction. Le photographe
n'est presque jamais en état de satisfaire toutes
les parties intéressées, et, quand cela lui arrive,
iI est rare qu'on lui en tienne compte. Que de
difficultés aussi dans le rendu des empâte-
ments selon la lumière qui tombe ou glisse

sur l'œuvre, dans le rendu de certaines cou-
leurs rebelles encore à la morsure chimique,
dans la mise au point pour la loile dont les
dimensions n'ont point un équilibre parfait,
dans un millier de détails, enfin, auxquels les
photographes industriels prêtent peu d'at-
tention, sachant bien que la retouche feradis-
paraîlre tout cela et donnera au public une
épreuve qui sera au tableau ce qu'un écho
trouble et languissant est à un bruit sonore
et harmonieux.

Dans l'œuvre de Fierlants, tout est à l'état
de création. Les épaisseurs de la pâte, le
traînage ou l'enfoncement de la brosse, la
trame de la toile, Féraillure du panneau, les
crevasses du vernis , la patine dorée du temps,
l'exhubérante fraîcheur de certaines chairs
récemment peintes comme l'harmonie douce
et estompée de celles qu'il a peintes en Italie
il y a trente ans, les imperfections sous les-
quelles l'artiste a lui-même écrit qu'il revien-
drait, ses sublimes écarts d'imagination aux-
quelsfln pardonne bien volontiers, ses ins-
criptions hardies, sarcastiques, souvent bru-
tales, toujours significatives, ses hardiesses
encore incomprises, ses manies, ses bouta-
des, ses colères, tout y est, au moral comme
au physique; c'est l'artiste, c'est l'homme,
c'est le pinceau, la toile, l'huile, la peinture
mate, le crayon , la plume, c'est, en un mot,
l'incarnation splendide et rayonnante de
Wiertz.

Je ne connais pas de défauts à Wiertz; il
n'a guères que des imperfections dans le goût,
lesquelles ne sont pas affaire de tempérament
mais de circonstances. Ces imperfections se
voient mieux dans les photographies; celles-ci
constituent une exeellenteleçon; elles font voir
que dans ledomaine de la peinture il existe des
lois qui perdent toute leur valeur dès qu'elles
sont appliquées au dessin ou à la inonochromie,
Certes, cela n'est pas neuf, mais il est curieux
de constater la chose à propos de Wiertz, lui
qui con naissait si bien la théorie du co-
loris; quelques-unes de ses œuvres peintes,
aujourd'hui photographiées, fontvoir toute la
solidité de ses jugements sur les mystères de
la couleur dont il a lui-même subi les exigen-
ces. Je serais même tenté de croire que ce
que je prends pour des imperfections ne sont
que le résultat de la mise hors des conditions
premières de la composition du peintre. Que
d'œuvres de Rubens paraissent fautives au-

J jourd'hui dans certaines de leurs parties, uni-
quement parcequ'elles ne sont plus placées
dans les conditions de perspective pour les-
quelles elles ont été faites.
Je viens d'insister sur les qualités d'ensem-

■ ble du beau travail de M. Fierlants; ce ne
sera que juste de prouver cette opinion, si elle
avait besoin de l'être, par l'examen isolé de
quelques-unes des planches de la collection.

Le panneau d'honneur de la photographie,
à l'exposition universelle, a été consacré à

; M. Fierlants (.1). Sur le fond s'étale l'œuvre

j de Wiertz représenté par 36 planches, les
autres n'étant point encore préparées pour

(i) Il n'est question, dans le présent article, que de
l'oeuvre de Wiertz. Le Journal des Beaux-Arts s'occupe-
ra, dans un autre article, de l'exposition générale deM.
Fierlants, ainsi que de celle de plusieurs de nos artistes
photographes.

l'ouverture de l'exposition. Au milieu du pan-
neau , légitime hommage rendu au génie de
l'artiste, se fait remarquer, entre tous, le fa-
meux triptyque, un des premiers et des plus
beaux tableaux du peintre. Comme on le sait,
cette précieuse composition a beaucoup souf-
fert et sa surface est véritablement labourée,
surtout dans les fonds, de petits sillons for-
més par le resserrement des corps gras de la
peinture. La photographie impitoyable a ren-
du les défectuosités, mais elle a aussi rendu
l'admirable grandeur de la composition, la
pureté du dessin et (est-ce un effet d'illusion
ou de souvenir?) ce coloris chaud, doré, que
l'on dirait emprunté aux plus beaux vénitiens.
Le beau corps du Christ, l'inénarrable têtedela
Vierge, ce Satan et cette Eve qui ont toute la
valeur d'un poème, ressortent avec un har-
monieux relief et donnent à l'ensemble une
puissance magique ; on dirait un vaste dessin
de la main de l'artiste , traité avec toutes les
exigences voulues, force dans les parties
principales, modération dans les parties in-
termédiaires, indécision et légèreté clans les
accessoires. Je ne crois pas qu'irsoit pos-
sible d'adresser à M. Fierlants un éloge plus
juste et plus mérité. C'est celui que formulait
ces jours derniers un des plus grands peintres
français de l'époque devant cette planche
d'une si intelligente exécution.

Une autre planche d'une dimension consi-
dérable (60 c. sur 41 c.) et d'un effet saisis-
sant, est cette noble peinture: La puissance
humaine n'a pas de limites. On dirait une de
ces gravures lumineuses, en manière noire,
d'Earlom; c'est puissant, moelleux et d'une
finesse extrême de tons; ici le sujet contri-
bue à faire admirer le travail. On sait que
c'est d'après le procédé de peinture mate in-
venté par Wiertz, que ce tableau a été peint.
On devine, en quelque sorte, le procédé même
dans l'œuvre photographique qui rend, du
reste, cette magnifique scène avec un charme
d'effets dont aucune description ne saurait
rendre compte.

Le Sommeil de la Vierge est d'une suavité
merveilleuse de tons et forme un ensemble
Raphaëlesque. Il semble que la couleur bis-
trée de la planche, plus forte que celle de
l'œuvre originale qui estun carton aux crayons
noir et blanc, rehausse le mérite de celle-ci.
J'ignore si les épreuves de l'œuvre de Wiertz
peuvent être livrées séparément au public;
dans ce cas, le Sommeil de la Vierge aura un
immense succès non moins que le.; On sere-
1 trouve au ciel, ravissant poème qui réunit
toutes les grâces de la noble et belle âme du
peintre et qui est, à coup sûr, une des pages
les plus suaves de l'école belge contempo-
raine. Cette page est reproduite par M. Fier-
lants dans des conditions exceptionnelles de
réussite.

Je dois me borner à signaler en courant :
Une seconde après la mort, photographie
puissante et colorée; la Jeune sorcière, le
' chef-d'œuvre de la collection comme photo-
graphie; le Patrocle, excellemment réussi ; la
Lutte homérique, moins heureuse comme gam-
me générale; 1'Inhumationprécipitée, superbe
horreur d'une effrayante crudité de reproduc-
tion; Vattenle; les deux jeunes filles; la toilette,
planche d'un flou estompé des plus mystérieux
et des plus chauds; l'Enfant brûlé; le Suicide;
 
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