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— 160 —

du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse, nou-
vellement bâtis d'après les plans de M. de
Rietgen et richement et ingénieusement dé-
corés par M. Welter. Le même artiste est
l'auteur des beaux dessins des tapis dont plu-
sieurs ont été brodés par les dames de Wei-
mar. On s'aperçoit que partout, jusque dans
les moindres détails, même du mobilier, une
connaissance profonde du style du château
a été secondée par le vrai goût du beau et la
volonté d'ajouter à tout cela un confort royal.
Honneur au prince qui, par la restauration
de la Wartbourg, d'un château si important
dans l'histoire de la civilisation de l'Allema-
gne, s'est érigé à lui-même le plus noble des
monuments. Honneur aux artistes qui ont su
réaliser ses intentions d'une manière aussi
complète; honneur au prince, honneur aux
artistes, car tous ont bien mérité de la patrie !

Le Grand-Duc avait fixé le 28 Août, jour
de naissance de Goethe, pour la fête anniver-
saire de la Wartbourg. La bannière grand-
ducale flottait au haut des créneaux du bef-
froi, saluant les hôtes qui affluaient de toutes
parts. La fête s'ouvrit par un office divin dans
la chapelle, nouvellement décorée et ornée
de vitraux peints par M. Welter aux frais de
S. M. la reine de Prusse, sœur du souverain
de Weimar. Le grand-duc, la grande-duches-
se, leurs enfants et autant d'invités que la
chapelle en pouvait contenir, assistèrent à ce
service solennel, pendant qu'un autre minis-
tre prêchait dans la grande cour du château,
devant l'immensefoulequi s'y était rassemblée
pour la fêle. Le chevalier Franz Liszt, maître
de chapelle du grand-duc, maintenant abbé
romain et attaché à la cour papale, était venu
de Rome pour faire exécuter à la Wartbourg
sa grande composition « La légende de Sle
Elisabeth » dont les paroles sont d'Otto Ro-
quetti. Il dirigea, dans la grande salle du
château, une répétition générale de cette œu-
vre faite exprès pour la fête. J'y ai assisté,
mais comment juger, après une seule audi-
tion, les beautés d'une telle composition ?
L'abbé Liszt est adhérent de ce que nous ap-
pelons « la musique de l'avenir » et il a tou-
jours été protecteur enthousiaste de Richard
Wagner. Wagner a frayé cette nouvelle voie
en donnant des preuves de son génie dans les
opéras Lohengrin, Tannhauser, Tristan et
Iseulde, et dans une trilogie musicale, les Ni-
belungen, qui n'a pas encore été mise en scè-
ne. Elle est destinée à l'ouverture de la nou-
velle salle d'opéra que le roi de Bavière va
faire bâtir à Munich, dans le but principal d'y
faire exécuter les compositions dramatiques
deson ami, Richard Wagner. On sait que celui-
ci, est, enmêrae temps,lepoèledesesopéras.

Un temps superbe a favorisé la fête. De la
hauteur où se trouve le château, on ne pou-

vait se rassasier de contempler les beautés
qui l'environnent; je n'en connais point de
pareilles en Allemagne, car où voit-on des
lignes aussi douces formées par les sommets
des montagnes? et la fraîche parure des bois
et des riches forêts dans lesquels un soleil
splendide prodiguait, aussi loin que l'œil
pouvait les apercevoir, les jeux capricieux de
sa divine lumière?

Au château, grand dîner gala auquel assis-
taient les hôtes du grand-duc et les artistes
qui avaient contribué, de l'une ou de l'autre
manière, à la restauration du château. Puis
la grande-duchesse offrit, en souvenir de la
fête anniversaire, un riche service en argent
à M. de Rietgen, l'architecte de la Wartbourg
ainsi qu'à M. von Arnswald, marjordôme en
chef du château. Sur ces entrefaites, la salle
du banquet, transformée en salle de concert,
s'était remplie de monde; les dames étaient
en grande parure; chacun était frappé de
l'effet magique de l'ornementation baignée
dans une mer de lumière; il fallait quelque
temps pour s'habituer à ce spectacle et reve-
nir de son étonnement. Au fond l'orchestre
en estrade, puis le chœur des dames. Celles-
ci toutes en blanc, dans la fraîcheur et l'éclat
de la jeunesse; partout, dans la salle, les
plus gracieuses ou les plus riches toilettes,
c'était un aspect magnifique. Liszt apparut :
en soutane, collerette blanche, gants noirs. Sa
longue chevelure raide et grisonnante faisait
ressortir ses traits spirituels et beaucoup plus
marqués que lorsque nous l'avions vu la der-
nière fois; c'était un buste antique, du plus
beau type de caractère ascétique. Tous les
yeux étaient fixés sur lui, il semblait le soleil
autour duquel tout gravitait. Enfin entra la
famille grand-ducale et tous se levèrent en
signe de respect.

Le concert commença : c'est en vain que
nous essaierions de dépeindre l'effet fantasti-
que que faisait l'abbé Liszt, tout en noir, indi-
quant la mesure les bras étendus, avec une
mobilité surprenante, planant pour ainsi dire,
comme un spectre au dessus des groupes du
chœur aux blancs vêtements. On sentait que
l'enthousiasme du maestro se communiquait
à l'orchestre et aux chanteurs; ils se surpas-
sèrent dans l'exécution de cette œuvre magis-
trale dont je reconnus et sentis mieux les
beautés à cette seconde audition. Les soli fu-
rent admirablement dits : la cantatrice repré-
sentant Sle Elisabeth et les autres chanteurs
avaient compris avec leur âme les intentions
du compositeur et ils ne perdirent rien de
leur force ni de leur entrain, malgré la cha-
leur étouffante qui régnait dans la salle. Le
succès du concert, enfin, a été complet ainsi
que le triomphe du compositeur. Les louan-
ges qu'on lui a prodiguées n'étaient pas

factices, elles étaient justement méritées.

Quelle fut la surprise de l'auditoire enthou-
siasmé, lorsque, en sortant de la salle de
concert, on vit les sommets des montagnes
qui bornent l'horizon , illuminés ou s'enflam-
mant graduellement, pendant que des cortè'
ges aux flambeaux serpentaient dans les val-
lées, se perdant dans les forêts qu'ils remplis-
saientd'une lumière magique; en même temps
le château s'éclairait de temps en temps de
feux de Bengale de diverses couleurs.

Le lendemain , dans la matinée, on arran-
gea un concert à Reinhartsbrunn , et, dans
l'après midi, il y eut grande fête d'enfants
donnée par la grande-duchesse à laWartbourg.
Quelques milliers d'enfants, fillettes et gar-
çons, y étaient rassemblés, tous en habit de
fête, les filles enrobe blanche, leurs têtes
ornées de couronnes cle fleurs et de lierre,
les garçons portant leurs bannières, des arcs
et des arbalètes. Musique en tête, tous chan-
tant en chœur, conduits par leurs maîtres et
leurs maîtresses, ils arrivèrent en cortège
dans l'immense cour de la Wartbourg où ils
furent reçus par la grande-duchesse. Après
la réception, ils reprirent l'ordre dans lequel
ils étaient venus et descendirent dans une vaste
prairie, au pied de la montagne du château;
on avait dressé là des tentes , planté des per-
ches et établi des cibles pour les différents
tirs. Il y eut d'abord régal de chocolat, de
pâtisseries et de confitures de toutes sor-
tes ; puis les groupes se réunirent et l'on com-
mença les jeux. C'était un coup-d'œil enchan-
teur que de voir les ébats de cette nombreuse
foule d'enfants; rien de plus ravissant que
de contempler la joie pure de ces cœurs
innocents; eux seuls jouissaient encore delà
vraie poésie de la vie, hélas! si fugitive et si
vite disparue pour toujours. Quand le soleil
couchant dora de ses derniers rayons les cîmes
des montagnes et les créneaux du vieux burg,
la musique, les chansons, les cris d'allégres-
se cessèrent ; tous les enfants se réunirent au-
tour d'un trône élevé au milieu de la place
destinée aux réjouissances. C'était le bouquet
de la fête, une distribution solennelle de prix
aux vainqueurs des jeux. Une fille charmante,
représentants10 Elisabeth et entourée de gno-
mes portant les prix, prit place sur le trône
pour distribuer les récompenses et s'acquitta
de sa tâche avec une grâce infinie ; les fanfa-
res se mêlaient aux cris de joie. Encore une
ronde en cortège autour de la prairie et puis
cette touchante et brillante phalange se reti-
ra pour le repos. Le souvenir d'une telle fête
leur restera; ils en parleront encore dans
leurs vieux jours, lorsque le temps aura ar-
genté leurs blondes chevelures, ils en parle-
ront comme d'un jour d'or pur dans leur
simple vie..... Z.
 
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