Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
— 164 —

que nous possédions à Paris de gracieux ou
de fort, M. Charles Blanc aurait-il pu termi-
ner son article par cette phrase, juste en ap-
parence et punition méritée de notre inquali-
fiable indifférence : « L'école belge est, sous
le rapport de l'art, une sœur de la France,
une sœur qui était jadis l'aînée, mais qui est
devenue la cadette pour avoir mal exécuté le
testament de Rubens. »

Non, nous n'avons pas mal exécuté le tes-
tament de Rubens; seulement il ne naît pas
dans chaque siècle un Homère, un Charle-
magneou un Rubens, et les grands artistes pa-
raissent et disparaissent dans les nations par
boutades, comme des groupes d'étoiles qui
se montrent dans le-ciel sans cause connue et
s'éteignent de même. Ainsi en est-il pour la
France en ce moment ; il y a quelques années,
elle possédait une phalange de grands peintres
pouvant justifier la première place que ses
écrivains d'art lui assignent aujourd'hui avec
plus de légèreté que de modestie. Et puis, il
y a toujours quelque chose qui blesse à voir
juger sa propre cause, et, lors même que
cela est, à entendre se déclarer le premier du
monde en esprit, art, science ou courage.

Il y a quelques années, disions-nous, la
phalange artistique de la France était d'une
richesse hors ligne, mais où sont aujourd'hui
les Léopold Robert, les Horace Vernet, les
Delacroix, les Benouville, les Orsel, les De-
laroche, les Decamps, les Charlet, les Bellangé,
lesTroyon, lesScheffer, les Octave Blanchard,
les Flandrin, les Ingres... Ces noms glorieux
font partie del'histoire; ceux qui sont « char-
gés d'exécuter leur testament » comme dirait
M. Blanc, s'appellent Cogniet, Gérome, Pils,
Robert-Fleury, Comte, Cabanel, Hébert, Ivon,
Puvis de Chavannes, Couture, Muller, Fro-
mentin, Meissonier, Jalabert, Barrias, Cour-
bet, Millet, tous hommes de grand talent,
sans conteste, mais, à l'exception d'un ou
deux peut-être, hommes et non géants. Notre
intention n'est point d'apprécier ici une école
grande et belle dont nous sommes les pre-
miers admirateurs; c'est de nous qu'il s'agit :
comme nous l'avons dit plus haut, nous inter- |
jetons appel d'un jugement que nous croyons
ne pas mériter et nous venons porter notre
cause devant ceux qui ont visité sérieusement
la Belgique, puisque l'arène du monde où
nous devions combattre nous a été fermée par ,
notre faute. Que nos juges nous permettent de
rafraîchir leurs souvenirs et de les conduire
devant quelques chefs-d'œuvre de notre école
que nous aurions voulu voir briller dans l'im-
mortel concours.

La tombe de Wiertz est à peine fermée com-
me celle de Bellangé et comme celle de Flan-
drin , tous deux parmi les plus grands de leur
école, nous pouvons donc à bon droit l'intro-

duire dans la lice et demander si l'auteur du
Golgotha, du Patrocle, du Triptyque, de la
Puissance humaine, d'On se retrouve au ciel,
de la Chute des Anges et de tant d'autres belles
pages, nous pouvons demander si notre Wiertz
n'est pas un digne fils de Bubens; oublions
qu'il est notre contemporain, qu'il a vécu parmi
nous, que nous avons pu analyser de près ses
faiblesses comme homme, et disons que l'au-
teur de ces puissantes compositions doit être
compté parmi les génies modernes que l'art a
produits. Plus classique, grand coloriste, des-
sinateur sévère et pur, du sentiment le plus
noble et le plus profond, Gallait est-il donc
oublié? cette première page, petite par l'es-
pace et immense par la pensée, cette page que
nul de ceux qui l'ont vue n'oubliera jamais,
Montaigne visitant le Tasse, puis cette magis-
trale Abdication de Charles-Quint, et les Der-
niers moments d'Egmont, et les Derniers hom-
mages rendus à d'Egmont et de Homes, et la
Prise d'Antioche , autant de chefs-d'œuvre que
de toiles, tout cela n'est-il pas l'école belge?
— De Keyser, le maître de tant de jeunes et
brillants talents, l'auteur des Batailles de Woe-
ringen, et des Eperons, les premières nées par-
mi les œuvres de notre jeune école régénérée,
De Keyser serait-il mort pour l'art?allez voir
ce que le maître, dans sa maturité, trace sur
les murs du vestibule du musée d'Anvers, allez
voir les nobles têtes qu'il peint vaillamment,
là précisément où elles brillèrent autrefois
d'un si vif éclat, et dites-nous si celui qui
dirige avec tant d'amour et de talent l'illustre
académie d'Anvers a rien perdu de sa virilité
et de sa science; dites-nous si, au contraire,
cette admirable page ne sera pas la synthèse
de sa vie d'artiste et ne sera pas digne, com-
me les œuvres de Wiertz et celles de Gallait
d'un fils de Bubens? EtWappers, aujourd'hui
habitantdeParis, ne pouvait-il pas, lui aussi,
lorsqu'il n'avait pas encore fui sa patrie, être
nommé un héritier de Rubens? son Charles 1, sa
Révolution belge, son Bourgmestre de Leyde,
ne les avez-vous donc pas vus? Et Ernest
Slingeneyer dont le Vengeur est un digne en-
fant de Géricault, dont le Martyr est une des
meilleures toiles de sentiment modernes, —■
et ces joyaux signés M ad ou où la finesse, l'es-
prit, le dessin, le style, la composition ne
sauraient être portés plus loin — et cet hé-
ritier de Dou, au défaut de Rubens, dont
l'Angleterre couvre d'or les toiles, Dyckmans,
dont le nom peut-être ne vous est pas même
connu et dont les chefs-d'œuvre peuvent être
vus à la loupe — et encore ce mort regretté,
cet élève chéri de Leys, Joseph Lies, coloris-
te, peintrede cœur et d'esprit — et cet autre
élève de Leys, plein de vie et de sève, celui
qui se rapproche le plus du maître et dont le
coloris rappelle les miniaturistes du moyen-

âge, l'anversois Lagye — et notre grand ani-
malier, dontles toiles ont les places d'honneur
dans les cabinets des rois et des princes, le
vétéran Verboeckhoven? N'avez-vous donc ja-
mais rencontré non plus, dans vos excursions,
ce petit chef-d'œuvre d'Eugène De Block, si
connu des amateurs, Ce qu'une mère peut
souffrir? De Block, un vrai flamand d'au-
trefois, un coloriste de l'école de Rubens?...
Voilà pour les absents, et maintenant, M. Ch.
Blanc, avez-vous été juste pour les présents?
Vous connaissez et appréciez Leys qui a fait
acte de patriotisme en ne fuyant pas la solen-
nelle occasion offerte à tous les peuples; il
ne faut donc pas que nous vantions ici celui
qui, selon beaucoup d'entre les vôtres, est un
composé deDùrer, d'Hoibein, de Van Orley, de
Schoen et du vieux Breughel ; rester original
en rappelant des noms pareils, en voilà assez
pour la gloire d'un homme; à Pauwels, le jeune
et brillant professeurdeWeimar, vous refusez
le style; permettez-nous de ne pas être de cet
avis; bien au contraire, selon nous, c'est par
le style surtout que brille Pauwels; organisa-
tion profondément poétique, d'un sentiment
exquis, il rend avec un talent remarquable
les émotions de son âme et vient d'en donner
u ne preuve nouvelle dans une grande page tirée
de l'histoire américaine actuelle, l'Abolition
de l'esclavage, toile colossale remplie de feu,
de cœur et traitée de main de maître. Son
coloris est attristé par des tons noirs, dites-
vous? dans la Veuve de d'Arlevelde et les Pros-
crits du ducd'Albe, rappelez-vous que vous
êtes en présence d'une veuve et d'orphelins,
d'une part, et, de l'autre, n'avez-vous pas
compris que ce voile de deuil répandu sur
l'Escaut brumeux, que ces teintes neutres et
sombres sont en harmonie intime et nécessaire
avec ce qui se passe dans le cœur des mal-
heureux proscrits; qu'auriez-vous dit d'un so-
leil splendide, de robes aux couleurs vives et
éclatantes accompagnant ceux qui voyaient
toutes leurs espérances de bonheur fuir avec
les sillons que trace la barque de l'exil? Mais
pouvez-vous, sans injustice, ne pas admirer
le riche coloris des Gantois devant Philippe le
Hardi, et pouvez-vous passer sous silence ce
bijou de délicatesse, de grâce, de style, de
composition bien comprise, où la finesse et
la beauté du coloris sont toutes vénitiennes
et qu'on appelle la Vocation de Ste Claire?

Vous reprochez à Guffens auquel nom vous
nous permettrez d'ajouter celui de Swerts puis-
que ces deux vaillants artistes ne font pour
ainsi dire qu'un corps et qu'une âme, vous
leur reprochez de faire des Christ et des Ma-
dones comme on en voit partout et qui sem-
blent sortir de l'atelier de Flandrin. Les ado-
rables têtes de Christ que peint Guffens, non-
seulement on ne les voit point partout, mais
 
Annotationen