— 84 —
pèlerins, couverts d'iniquités, y entraient el en sortaient sains et saufs, je risquai d'y pénétrer, et il ne
m'arriva rien. » La tradition de ce bon Arabe nous encouragea, et en effet nous punies comme lui, et
malgré nos péchés, examiner tranquillement ce caveau.
Il est entièrement creusé dans la roche, dont on a laissé les pans coupés irrégulièrement, et sans autre
jour qu'une ouverture au sommet qui aboutit h la place où Mahomet, dit-on, fit sa prière. Il a seize pieds
de long sur huit de large. A droite est un petit autel en marbre, couvert d'ornements arabes, appelé le
Makan Souleiman, ou station de Salomon; un autre semblable sur la gauche, sculpté différemment,
appelé la station de David; enfin un renfoncement au nord forme une sorte de table, qui s'appelle la sta-
tion d'Elie. Une lampe éclaire ce sanctuaire, dont nous finies le dessin et un plan; nous dessinâmes
aussi l'intérieur de la mosquée, mais à dix pieds de hauteur seulement, car l'obscurité nous empêchait
de distinguer la voûte du dôme (i).
L'intérieur de cet édifice, comme celui des mosquées en général, réunit la grandeur à la simplicité; il
inspire le recueillement, si propre à la nature du culte musulman , qui est grave , silencieux et sans osten-
tation. La prière, chez ces peuples, paraît être plutôt l'expression d'un sentiment que l'accomplis-
sement d'un devoir. L'Arabe descend de sou chameau au milieu du désert; le Turc s'arrête sur la place
publique pour prier, sans attirer ni l'attention ni la curiosité. L'impiété, dans ce pays, serait un scandale,
sans que la ferveur y devînt pour cela un mérite; il suffit d'avoir passé quelques heures dans une mos-
quée pour s'en convaincre. Le silence y règne ainsi que le recueillement; il n'est interrompu ni par des
chants, ni par des quêtes, ni par le bruit des chaises ou par des conversations particulières. Quelques
versets du Koran sur la puissance de Dieu, sur la résignation dans le malheur, ou les devoirs de la charité,
sont les seuls ornements des murs. Mais, de toutes les mosquées que nous avons vues, il n'en est au-
cune d'aussi intéressante que celle-ci. Il y a quelque chose de singulier, de mystérieux dans celte roche
grossière, entourée de portiques de marbre, de grilles dorées, de tapis cle soie, el vénérée depuis tant de
siècles : richesse, élégance, grandeur, tout est réuni dans ce curieux monument. Lorsque nous en sortî-
mes, la lune, apparaissant au milieu des nuages, éclaira toute l'enceinte, et nous fit voir l'ensemble des
bâtiments de la mosquée, les arcades des oratoires, mêlées à des groupes d'arbres, et projetant de larges
ombres sur les marbres des parvis. On aurait pu se croire au milieu de ces demeures enchantées
décrites dans les contes arabes. Ce prestige ne dura pour nous qu'un moment, car notre guide, saisi tout
à coup de frayeur, nous entraînait vers la porte de l'enceinte. Sitôt que nous l'eûmes franchie, et que
nous nous trouvâmes hors de danger, nous nous arrêtâmes un moment pour recueillir nos idées; heu-
reux d'avoir pu pénétrer dans ce lieu si redoutable, plus heureux encore d'en être sortis, et, la tête pleine
de souvenirs arabes, nous répétâmes en chemin ce verset du chapitre xcvn du Koran : Oh ! qui pourra
comprendre combien a été excellente cette nuit, meilleure que mille mois (2) !
JÉRUSALEM (Planche LXX1, i57).
9, 10, 11. Vasque de Salomon.
Je n'ai point parlé de notre manière de vivre à Jérusalem; on s'imaginera facilement que les soirées
étaient occupées et avaient leurs distractions, après des journées d'un travail assidu et des courses archéo-
logiques fatigantes. Tantôt nous recevions les gens du pays qui pouvaient nous fournir des informations
sur notre excursion projetée au delà du Jourdain et de la mer Morte, pour compléter par le sud notre
voyage de la Décapole exécuté par le nord; tantôt c'était un Taak auquel je soumettais mon bras pour
y tatouer eu rouge et bleu ma qualité de pèlerin et l'année 1827, date de mon pèlerinage. Bientôt, sans
avoir épuisé les sujets d'étude de l'archéologue, nous avons calmé la curiosité du touriste et satis-
fait à toutes les obligations du pèlerin; il nous reste à visiter les environs de la ville sainte.
Nous allons d'abord à Bethléem, qui est dans le voisinage. La tristesse de la contrée s'harmonise avec
la disposition de l'esprit : tout le pays traversé par la route offre cet aspect chauve et grisonnant auquel
(1) Mon père fit le dessin du sanctuaire, je dessinai l'intérieur de la mosquée; mais ce croquis, fait à la hâte, dans une demi-obscurité, m'a paru
trop incomplet pour le publier tel que je l'ai exécuté sur les lieux; il eût fallu l'arranger, c'est-à-dire le rendre d'imparfait, menteur; je l'ai supprimé.
(2) Cette description d'une exploration aventureuse a été lue par mon père dans la séance publique annuelle des quatre Académies du 30 avril 1831.
De ses souvenirs de voyage, celui-ci est le seul qu'il ait fixé sur le papier, et en l'introduisant ici j'ai voulu faire partager au lecteur mon regret d'avoir été
obligé de le suppléer. Je pourrais ajouter quelques traits à ce récit; il suffira d'en consigner un : le gardien de la mosquée d'Omar ne consentit à nous y intro-
duire que deux à la fois. Mon père fit le premier voyage avec M. Becker ; nous fîmes le second, M. Hall et moi. On conçoit les inquiétudes de ceux qui
restaient au logis. 11 m'était réservé de payer l'infidélité du gardien, et je voulais m'acquitter avec lui, au sortir de la mosquée, mais il était soupçonneux, et,
craignant de notre part une trahison pareille à la sienne, il exigea son salaire dans la mosquée même, qui plus est dans la crypte, et c'est sur l autel de
Salomon que retentirent les pièces d'or que je comptai et qu'il recompta une à une, en s'assurant de leur valeur.
pèlerins, couverts d'iniquités, y entraient el en sortaient sains et saufs, je risquai d'y pénétrer, et il ne
m'arriva rien. » La tradition de ce bon Arabe nous encouragea, et en effet nous punies comme lui, et
malgré nos péchés, examiner tranquillement ce caveau.
Il est entièrement creusé dans la roche, dont on a laissé les pans coupés irrégulièrement, et sans autre
jour qu'une ouverture au sommet qui aboutit h la place où Mahomet, dit-on, fit sa prière. Il a seize pieds
de long sur huit de large. A droite est un petit autel en marbre, couvert d'ornements arabes, appelé le
Makan Souleiman, ou station de Salomon; un autre semblable sur la gauche, sculpté différemment,
appelé la station de David; enfin un renfoncement au nord forme une sorte de table, qui s'appelle la sta-
tion d'Elie. Une lampe éclaire ce sanctuaire, dont nous finies le dessin et un plan; nous dessinâmes
aussi l'intérieur de la mosquée, mais à dix pieds de hauteur seulement, car l'obscurité nous empêchait
de distinguer la voûte du dôme (i).
L'intérieur de cet édifice, comme celui des mosquées en général, réunit la grandeur à la simplicité; il
inspire le recueillement, si propre à la nature du culte musulman , qui est grave , silencieux et sans osten-
tation. La prière, chez ces peuples, paraît être plutôt l'expression d'un sentiment que l'accomplis-
sement d'un devoir. L'Arabe descend de sou chameau au milieu du désert; le Turc s'arrête sur la place
publique pour prier, sans attirer ni l'attention ni la curiosité. L'impiété, dans ce pays, serait un scandale,
sans que la ferveur y devînt pour cela un mérite; il suffit d'avoir passé quelques heures dans une mos-
quée pour s'en convaincre. Le silence y règne ainsi que le recueillement; il n'est interrompu ni par des
chants, ni par des quêtes, ni par le bruit des chaises ou par des conversations particulières. Quelques
versets du Koran sur la puissance de Dieu, sur la résignation dans le malheur, ou les devoirs de la charité,
sont les seuls ornements des murs. Mais, de toutes les mosquées que nous avons vues, il n'en est au-
cune d'aussi intéressante que celle-ci. Il y a quelque chose de singulier, de mystérieux dans celte roche
grossière, entourée de portiques de marbre, de grilles dorées, de tapis cle soie, el vénérée depuis tant de
siècles : richesse, élégance, grandeur, tout est réuni dans ce curieux monument. Lorsque nous en sortî-
mes, la lune, apparaissant au milieu des nuages, éclaira toute l'enceinte, et nous fit voir l'ensemble des
bâtiments de la mosquée, les arcades des oratoires, mêlées à des groupes d'arbres, et projetant de larges
ombres sur les marbres des parvis. On aurait pu se croire au milieu de ces demeures enchantées
décrites dans les contes arabes. Ce prestige ne dura pour nous qu'un moment, car notre guide, saisi tout
à coup de frayeur, nous entraînait vers la porte de l'enceinte. Sitôt que nous l'eûmes franchie, et que
nous nous trouvâmes hors de danger, nous nous arrêtâmes un moment pour recueillir nos idées; heu-
reux d'avoir pu pénétrer dans ce lieu si redoutable, plus heureux encore d'en être sortis, et, la tête pleine
de souvenirs arabes, nous répétâmes en chemin ce verset du chapitre xcvn du Koran : Oh ! qui pourra
comprendre combien a été excellente cette nuit, meilleure que mille mois (2) !
JÉRUSALEM (Planche LXX1, i57).
9, 10, 11. Vasque de Salomon.
Je n'ai point parlé de notre manière de vivre à Jérusalem; on s'imaginera facilement que les soirées
étaient occupées et avaient leurs distractions, après des journées d'un travail assidu et des courses archéo-
logiques fatigantes. Tantôt nous recevions les gens du pays qui pouvaient nous fournir des informations
sur notre excursion projetée au delà du Jourdain et de la mer Morte, pour compléter par le sud notre
voyage de la Décapole exécuté par le nord; tantôt c'était un Taak auquel je soumettais mon bras pour
y tatouer eu rouge et bleu ma qualité de pèlerin et l'année 1827, date de mon pèlerinage. Bientôt, sans
avoir épuisé les sujets d'étude de l'archéologue, nous avons calmé la curiosité du touriste et satis-
fait à toutes les obligations du pèlerin; il nous reste à visiter les environs de la ville sainte.
Nous allons d'abord à Bethléem, qui est dans le voisinage. La tristesse de la contrée s'harmonise avec
la disposition de l'esprit : tout le pays traversé par la route offre cet aspect chauve et grisonnant auquel
(1) Mon père fit le dessin du sanctuaire, je dessinai l'intérieur de la mosquée; mais ce croquis, fait à la hâte, dans une demi-obscurité, m'a paru
trop incomplet pour le publier tel que je l'ai exécuté sur les lieux; il eût fallu l'arranger, c'est-à-dire le rendre d'imparfait, menteur; je l'ai supprimé.
(2) Cette description d'une exploration aventureuse a été lue par mon père dans la séance publique annuelle des quatre Académies du 30 avril 1831.
De ses souvenirs de voyage, celui-ci est le seul qu'il ait fixé sur le papier, et en l'introduisant ici j'ai voulu faire partager au lecteur mon regret d'avoir été
obligé de le suppléer. Je pourrais ajouter quelques traits à ce récit; il suffira d'en consigner un : le gardien de la mosquée d'Omar ne consentit à nous y intro-
duire que deux à la fois. Mon père fit le premier voyage avec M. Becker ; nous fîmes le second, M. Hall et moi. On conçoit les inquiétudes de ceux qui
restaient au logis. 11 m'était réservé de payer l'infidélité du gardien, et je voulais m'acquitter avec lui, au sortir de la mosquée, mais il était soupçonneux, et,
craignant de notre part une trahison pareille à la sienne, il exigea son salaire dans la mosquée même, qui plus est dans la crypte, et c'est sur l autel de
Salomon que retentirent les pièces d'or que je comptai et qu'il recompta une à une, en s'assurant de leur valeur.