ANDRÉ DE RIDDER: OTTO DIX
AUSZUG AUS EINEM ESSAY DER „SÉLECTION1, OKTOBER 1924
On songe à Rops, à Daumier, à Rouault, à Kokoschka,
à Kubin, à plusieurs de ses confrères allemands, qui peignent à sa
façon, caustiques et cyniques comme lui, avec les mêmes lignes sûres
et sans élan, minutieusement, avec les mêmes couleurs retenues, bien
enchâssées dans leurs contours, des mémorialistes contemporains, à
la fois véristes et mythiques. Et malgré tous ces souvenirs qui
s’évoquent à son propos, on ne l’oublie pas, dès qu’on l’a vu. Sa
personnalité s’impose fermement. On ne peut même plus prétendre
connaître l’âme allemande d’aujourd’hui lorsqu’on ne s’est pas
informé de cette œuvre.
Si l’art ancien n’a certes pas reculé devant quelques visions
sordides, allant même jusqu’au satanisme, il n’en est pas moins
vrai que Dix risque de demeurer célèbre à tout jamais comme le
peintre volontaire de la misère, de la déchéance, de la laideur et
du vice. Ce n’est pas accidentellement qu’il se trouve devant un
phénomène humain dégradant, mais à dessein qu’il va au-devant
de la série entière de nos crimes et de nos turpitudes, comme
quelqu’un qui entre dans un cloaque et se résout à le traverser
jusqu’au bout. Le laid constitue sa sphère propre, celle où il se meut
aussi naturellement et avec autant de conscience que d’autres artistes
dans un monde de beauté tout idéalisée. Il n’a cure d’embellir la
comédie humaine, ni même d’en adoucir les aspérités blessantes et
les durs éclats. Au contraire, le voilà qui creuse la ligne impure, le
caractère bestial, le geste avachi, qui corrode la couleur infâme,
le voilà qui saisit son sujet à vif et dénude les chairs purulentes,
ignorant toute retenue, libéré de tout scrupule. Plus que dans son
œuvre peinte, c’est dans l’ensemble déjà considérable de ses albums
de bois et d’eaux-fortes que Dix a exprimé la somme d’effroi qu’avec
son clair et métallique regard de visionnaire, il a puisée dans l’ob-
servation d’abord, dans la contemplation ensuite de notre monde
contemporain. A cet égard, son œuvre se présente comme éminem-
ment actuelle : telle qu’elle est, on ne la conçoit guère à distance,
elle ne dégage complètement tout son sens et toute sa valeur qu’en
fonction de notre temps, la guerre accomplie.
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AUSZUG AUS EINEM ESSAY DER „SÉLECTION1, OKTOBER 1924
On songe à Rops, à Daumier, à Rouault, à Kokoschka,
à Kubin, à plusieurs de ses confrères allemands, qui peignent à sa
façon, caustiques et cyniques comme lui, avec les mêmes lignes sûres
et sans élan, minutieusement, avec les mêmes couleurs retenues, bien
enchâssées dans leurs contours, des mémorialistes contemporains, à
la fois véristes et mythiques. Et malgré tous ces souvenirs qui
s’évoquent à son propos, on ne l’oublie pas, dès qu’on l’a vu. Sa
personnalité s’impose fermement. On ne peut même plus prétendre
connaître l’âme allemande d’aujourd’hui lorsqu’on ne s’est pas
informé de cette œuvre.
Si l’art ancien n’a certes pas reculé devant quelques visions
sordides, allant même jusqu’au satanisme, il n’en est pas moins
vrai que Dix risque de demeurer célèbre à tout jamais comme le
peintre volontaire de la misère, de la déchéance, de la laideur et
du vice. Ce n’est pas accidentellement qu’il se trouve devant un
phénomène humain dégradant, mais à dessein qu’il va au-devant
de la série entière de nos crimes et de nos turpitudes, comme
quelqu’un qui entre dans un cloaque et se résout à le traverser
jusqu’au bout. Le laid constitue sa sphère propre, celle où il se meut
aussi naturellement et avec autant de conscience que d’autres artistes
dans un monde de beauté tout idéalisée. Il n’a cure d’embellir la
comédie humaine, ni même d’en adoucir les aspérités blessantes et
les durs éclats. Au contraire, le voilà qui creuse la ligne impure, le
caractère bestial, le geste avachi, qui corrode la couleur infâme,
le voilà qui saisit son sujet à vif et dénude les chairs purulentes,
ignorant toute retenue, libéré de tout scrupule. Plus que dans son
œuvre peinte, c’est dans l’ensemble déjà considérable de ses albums
de bois et d’eaux-fortes que Dix a exprimé la somme d’effroi qu’avec
son clair et métallique regard de visionnaire, il a puisée dans l’ob-
servation d’abord, dans la contemplation ensuite de notre monde
contemporain. A cet égard, son œuvre se présente comme éminem-
ment actuelle : telle qu’elle est, on ne la conçoit guère à distance,
elle ne dégage complètement tout son sens et toute sa valeur qu’en
fonction de notre temps, la guerre accomplie.
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