REMBRANDT
IV
dont tout son cœur et son cerveau débordent. C'est admirable! Ah! le
grand homme !
Vingt ans après, nous le retrouvons dans les Syndics des Drapiers. Il
s'est assagi. Peut-être se souvenait-il des critiques qui avaient osé se pro-
duire devant la Ronde de nuit : — on lui avait, dit-on, parmi d'autres
griefs, violemment reproché de n'avoir pas fait ses personnages ressem-
blants ; — peut-être aussi le sujet se prête-t-il moins à la fougue de l'au-
teur que la sortie tumultueuse d'une corporation en armes, évidemment
assez mal disciplinée : ici, plus d' « emballement ». Nous nous trouvons
simplement devant six bourgeois discourant autour d'une table. Mais
quelle perfection d'exécution, quelle maîtrise consommée! Quelle inten-
sité de vie! C'est la nature elle-même, vivante, saine et forte. C'est un
pur chef-d'œuvre.
Si l'exposition d'Amsterdam fut riche en portraits de premier ordre,
elle possédait peu de tableaux où le nu jouât un rôle considérable. D'ail-
leurs, cette source inépuisable où puisèrent, pour leur plus grande gloire,
Athènes et l'Italie, — j'allais oublier Rubens! — ne paraît pas avoir
attiré vivement le grand peintre hollandais. Les causes de cette appa-
rente indifférence, il serait trop long de les rechercher. En fait de nu,
nous n'avons guère trouvé là que l'étincelante Belhsabée de la collection
Steengracht, cette petite merveille qui dans notre souvenir était demeurée
comme une perle ; ajoutez-y un Christ mal dessiné, peu intéressant, mal-
gré sa couleur admirable : il ne restera, quelques dessins à part, que deux
ou trois menus morceaux, de médiocre autorité. Pour juger le maître, il
nous faudrait voir la Danaé de Saint-Pétersbourg, ou revenir au Louvre,
dans la salle La Caze. Je ne connais la Danaé que par une copie : — ce
doit être un chef-d'œuvre; — mais je connais bien notre tableau du
Louvre. J'étais au musée le jour de l'inauguration de la galerie léguée par
le grand collectionneur, et jamais je n'oublierai l'impression que fit sur
moi cette peinture étonnante. Mon vieux maître, Robert Fleury, vint à
passer, et tous deux nous nous écriâmes : « C'est le plus beau tableau du
Louvre ! »
IV
dont tout son cœur et son cerveau débordent. C'est admirable! Ah! le
grand homme !
Vingt ans après, nous le retrouvons dans les Syndics des Drapiers. Il
s'est assagi. Peut-être se souvenait-il des critiques qui avaient osé se pro-
duire devant la Ronde de nuit : — on lui avait, dit-on, parmi d'autres
griefs, violemment reproché de n'avoir pas fait ses personnages ressem-
blants ; — peut-être aussi le sujet se prête-t-il moins à la fougue de l'au-
teur que la sortie tumultueuse d'une corporation en armes, évidemment
assez mal disciplinée : ici, plus d' « emballement ». Nous nous trouvons
simplement devant six bourgeois discourant autour d'une table. Mais
quelle perfection d'exécution, quelle maîtrise consommée! Quelle inten-
sité de vie! C'est la nature elle-même, vivante, saine et forte. C'est un
pur chef-d'œuvre.
Si l'exposition d'Amsterdam fut riche en portraits de premier ordre,
elle possédait peu de tableaux où le nu jouât un rôle considérable. D'ail-
leurs, cette source inépuisable où puisèrent, pour leur plus grande gloire,
Athènes et l'Italie, — j'allais oublier Rubens! — ne paraît pas avoir
attiré vivement le grand peintre hollandais. Les causes de cette appa-
rente indifférence, il serait trop long de les rechercher. En fait de nu,
nous n'avons guère trouvé là que l'étincelante Belhsabée de la collection
Steengracht, cette petite merveille qui dans notre souvenir était demeurée
comme une perle ; ajoutez-y un Christ mal dessiné, peu intéressant, mal-
gré sa couleur admirable : il ne restera, quelques dessins à part, que deux
ou trois menus morceaux, de médiocre autorité. Pour juger le maître, il
nous faudrait voir la Danaé de Saint-Pétersbourg, ou revenir au Louvre,
dans la salle La Caze. Je ne connais la Danaé que par une copie : — ce
doit être un chef-d'œuvre; — mais je connais bien notre tableau du
Louvre. J'étais au musée le jour de l'inauguration de la galerie léguée par
le grand collectionneur, et jamais je n'oublierai l'impression que fit sur
moi cette peinture étonnante. Mon vieux maître, Robert Fleury, vint à
passer, et tous deux nous nous écriâmes : « C'est le plus beau tableau du
Louvre ! »