ALBUM DE VILLA.RD DE HONNECOURT.
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jamais vu nos monuments français et qui a bien mal vu ceux de son
pays, nous dit des injures, celadiminue-t-il le mérite de ces œuvres?
« L'homme de génie, » ajoute M. Renan, « et l'ouvrier médiocre se
coudoient, à peine différents l'un de l'autre. » Mais puisqu'on ne les
connaît les uns et les autres que par leurs œuvres et non point par
des noms propres gravés sur ces œuvres, et que « cette foule est
silencieuse, » comment distinguer l'homme de génie cle l'ouvrier, et
comment savoir s'ils se coudoient? Et d'ailleurs ne dit-on pas plus
loin (1) : « Certes, ce qui faisait défaut, ce n'était ni le mouvement
ni l'esprit. L'activité qui régna parmi les architectes de cette époque
est quelque chose de prodigieux. Leur genre dévie, renfermée dans
une sorte cle collège ou de société à part, entretenait chez eux une
ardente émulation......Ce ne sont plus, en effet, ces efforts imper-
sonnels du onzième et du douzième siècle, où l'individualité de l'ar-
tiste est complètement voilée : ici chaque artiste a un nom, chacun
est jaloux cle son église, chacun y inscrit son nom et s'y fait enterrer.
L'Album de Villard est un témoignage incomparable de la vie et cle
la jeunesse d'imagination qui distinguaient alors nus artistes, et il
n'est pas en cela un monument isolé. » Il ne faut pas, j'en conviens,
attacher trop d'importance à ces contradictions, si étranges qu'elles
paraissent, dans une œuvre cle critique sérieuse. M. Renan est poëte,
et Ton doit permettre à sa plume de s'emporter quelquefois. Mais
quand il est question d'appréciations techniques ou de conséquences
tirées cle citations (je dis, citations cle monuments) erronées, il faut
bien rétablir les faits, qui ont la rigueur d'un problème géométrique
ou d'une date. M. Renan dit (2) que c'est au moment delà construc-
tion des églises Saint-Etienne de Caen, de Saint-Sernin de Toulouse,
de Notre-Dame de Poitiers, etc., qu'il faut placer l'acte vraiment
créateur cle l'architecture du moyen âge. Ce sont déjà, prétend-il, des
églises gothiques pour la forme générale, etc. * M. Renan aurait pu
mieux choisir. Saint-Etienne de Caen, l'Abbaye aux Hommes, est une
église dont il ne reste que quelques parties du onzième siècle, des
murs latéraux, le soubassement de la façade et des piles cle la nef. Au
douzième siècle, l'église fut presque totalement reconstruite, sauf le
chœur. Alors cette nef était couverte par une charpente apparente,
comme le sont encore quelques églises normandes d'Angleterre. Le
chœur fut bâti au treizième siècle ainsi que les clochers, et des
voûtes furent bandées sur la nef à la môme époque. L'église de l'Ab-
oi) P. 215.
(2) P. 211.
VII.
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jamais vu nos monuments français et qui a bien mal vu ceux de son
pays, nous dit des injures, celadiminue-t-il le mérite de ces œuvres?
« L'homme de génie, » ajoute M. Renan, « et l'ouvrier médiocre se
coudoient, à peine différents l'un de l'autre. » Mais puisqu'on ne les
connaît les uns et les autres que par leurs œuvres et non point par
des noms propres gravés sur ces œuvres, et que « cette foule est
silencieuse, » comment distinguer l'homme de génie cle l'ouvrier, et
comment savoir s'ils se coudoient? Et d'ailleurs ne dit-on pas plus
loin (1) : « Certes, ce qui faisait défaut, ce n'était ni le mouvement
ni l'esprit. L'activité qui régna parmi les architectes de cette époque
est quelque chose de prodigieux. Leur genre dévie, renfermée dans
une sorte cle collège ou de société à part, entretenait chez eux une
ardente émulation......Ce ne sont plus, en effet, ces efforts imper-
sonnels du onzième et du douzième siècle, où l'individualité de l'ar-
tiste est complètement voilée : ici chaque artiste a un nom, chacun
est jaloux cle son église, chacun y inscrit son nom et s'y fait enterrer.
L'Album de Villard est un témoignage incomparable de la vie et cle
la jeunesse d'imagination qui distinguaient alors nus artistes, et il
n'est pas en cela un monument isolé. » Il ne faut pas, j'en conviens,
attacher trop d'importance à ces contradictions, si étranges qu'elles
paraissent, dans une œuvre cle critique sérieuse. M. Renan est poëte,
et Ton doit permettre à sa plume de s'emporter quelquefois. Mais
quand il est question d'appréciations techniques ou de conséquences
tirées cle citations (je dis, citations cle monuments) erronées, il faut
bien rétablir les faits, qui ont la rigueur d'un problème géométrique
ou d'une date. M. Renan dit (2) que c'est au moment delà construc-
tion des églises Saint-Etienne de Caen, de Saint-Sernin de Toulouse,
de Notre-Dame de Poitiers, etc., qu'il faut placer l'acte vraiment
créateur cle l'architecture du moyen âge. Ce sont déjà, prétend-il, des
églises gothiques pour la forme générale, etc. * M. Renan aurait pu
mieux choisir. Saint-Etienne de Caen, l'Abbaye aux Hommes, est une
église dont il ne reste que quelques parties du onzième siècle, des
murs latéraux, le soubassement de la façade et des piles cle la nef. Au
douzième siècle, l'église fut presque totalement reconstruite, sauf le
chœur. Alors cette nef était couverte par une charpente apparente,
comme le sont encore quelques églises normandes d'Angleterre. Le
chœur fut bâti au treizième siècle ainsi que les clochers, et des
voûtes furent bandées sur la nef à la môme époque. L'église de l'Ab-
oi) P. 215.
(2) P. 211.
VII.