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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 2,1.1899/​1900

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No. 14 (Novembre 1899)
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Ista, Georges: Le goût public
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https://doi.org/10.11588/diglit.34203#0074

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L'ART DECORATIF

formes étant l'émanation de goûts et de ten-
dances différents des nôtres, nous n'aboutirions,
dans cette voie, qu'à la froide stérilité des
pastiches sans âme et sans vie.
Puis ce fut, en Angleterre, la courageuse
tentative de William Morris et du petit groupe
d'artistes qui l'entourait. Ceux là, déterminant
nettement leur point de vue, s imposèrent le
devoir de créer, pour les objets d'usage courant,
des iormes simples et harmonieuses, accusant
franchement la destination de ces objets et les
matières employées à leur construction. Les
premiers temps furent durs; puis, lentement,
la raillerie et l'indifférence du début se cal-
mèrent, tandis que, de ci de là, les bonnes
volontés surgissaient; mais dans leur pays seule-
ment, car le Continent ignorait leurs tentatives
autant que si elles eussent eu lieu en la plus
lointaine des planètes: les vagues Renaissances
et les faux Louis XV sulhsaient toujours à
calmer nos plus grandes fringales de beauté.
Enfin, un beau jour, ces idées passèrent la
Manche, et sous le nom de meubles anglais,
de velours anglais, de papiers anglais, les pro-
duits de cet art s'installèrent chez nous, timide-
ment d'abord, puis, bientôt, partout et au
grand soleil. Faut-il s'en féliciter? Faut-il
s'en plaindre? L'avenir nous le dira, mais il


KELLER & REINER A BERLIN * CRÉDENCE EN
CHÊNE TEINTÉ AVEC APPLICATIONS EN FER

serait bien téméraire d'en vouloir juger au-
jourd'hui, car si ces nouveautés ont suscité
chez nous quelques chercheurs réellement
épris de la beauté simple et pure des formes
rationnelles, ce mouvement, transplanté dans
nos pays depuis quinze ans à peine, a dévié
déjà d'une façon stupéfiante. Sous des titres
prétentieux: genre anglais, style moderne,
style esthétique, on voit surgir de toutes
parts les formes les plus saugrenues, les lignes
les plus malencontreuses, les compositions les
plus vides de sens qu'il ait jamais été donné
de contempler à aucune époque. La mode,
cette chose futile et changeante qu'on appelle
la mode, la mode idiote, s'est emparé de la
noble tentative de quelques esprits d'élite.
Hélas! qu'en a-t-elle fait!!
Tous ceux pour qui le but suprême était,
hier encore, de copier plus ou moins mal les
planches que leur envoyait, périodiquement et
à bon compte, une publication quelconque, se
sont, du jour au lendemain, érigés en
et, sans connaître les lois les
plus essentielles de la composition décorative,
lont voir le jour à de prétendues créations, où
s'entremêlent, sans le moindre trait d'union, les
formes de jadis et quelques détails empruntés
aux plus médiocres des tentatives modernes,
(l'iris et le tournesol stylisés, par exemple, qui,
grâce à ces gens là, sont devenus déjà plus
rebattus que les rocailles Louis XV ou les car-
touches Renaissance.) Les matériaux employés
hors de propos, les lignes déformées sans raison,
les enchevêtrements de courbes abracadabrantes
s'étalant partout à tort et à travers, voilà tout
ce qu'ils ont tiré des idées simples et justes
qui avaient été le point de départ de William
Morris. Et le plus triste, c'est que le public
achète celà; et non seulement il l'achète, mais,
insuihsamment éclairé, il le confond avec les
tentatives sérieuses et réfléchies, tant et si bien
que si l'on n'y prend pas garde, et peut-être
même malgré qu'on y aura pris garde, le
goût des masses, toujours tenté par le clinquant
et le bon marché, Unira par préférer ces élucu-
brations aux créations vraiment rationnelles, et
replongera, pour combien de temps encore,
l'éclosion de la beauté vraie aux gouffres du
néant.
Puissé-je me montrer mauvais prophète; mais
il est un fait indéniable pour ceux qui s'occu-
pent effectivement et d'une façon sincère de
la mise en pratique des idées modernes: c'est
que le public ne s'est pas arraché au goût des
styles anciens sous l'influence d'idées précises
et raisonnées, mais par pur caprice, et simple-
ment pour suivre la mode. S'il a cessé d'aller
à reculons ou de piétiner sur place, s'il s'est

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