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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 3,1.1900/​1901

DOI issue:
No. 28 (Janvier 1901)
DOI article:
Thomas, Albert: Un décorateur: E. Bonnencontre
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https://doi.org/10.11588/diglit.34205#0176

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L'ART DECORATIF

mante, têts les sculpteurs Dampt, Alexandre
Charpentier, Desbois, i'architecte Plumet, ies
dessinateurs Tony Seimersheim, Félix Aubert;
d'autres comme le peintre Bonnencontre nous
donnent aujourd'hui les prémices d'un talent
aimable et fleurant le meilleur parfum de France.
Les travaux décoratifs de M. Bonnencontre
sont encore peu nombreux. Indépendamment
de trois grandes peintures exécutées pour
la salle des Fêtes de l'Exposition universelle,
— une représentation allégorique du Far-West,
dans une des tribunes, et deux paysages, dans
un des vestibules d'accès, — ils ne comptent
guère qu'une demi-douzaine de toiles achevées.
Mais ces œuvres sont sages et solides, ont la
tenue, l'élégance stricte et nerveuse, la grâce
précise. Au milieu de paysages habilement com-
posés, elles mettent en scène des figures qui
personnihent les saisons, les brumes, les brises
ou les fleurs. Symbolisme peu compliqué, pré-
texte aux imaginations ies plus riantes. M.
Bonnencontre est un sympathique, un charmeur,
et sa séduction s'exerce par la femme. Celle
qu'il nous présente est de tous points délicieuse.
Elle rappelle d'abord les créations des primitifs
italiens, les vierges des Botticelli, des Pérugini,
des Giotto, si délicatement jolies avec leur fin
visage, leurs yeux longs, leur bouche arquée
par le plus suave sourire; elle semble aussi
quelque peu cousine des énigmatiques personnes
que Burne Jones et ses émules font errer dans
les lointains de la légende et du rêve. Sans
doute, elle n'a pas l'attrait divin des pre-
mières et leur rayonnement spirituel, mais elle
n'emprunte guère aux secondes que le vête-
ment. Les bandeaux, la tunique aux plis mul-
tipliés, voilà ce qui la rapproche surtout des
images conçues par les préraphaélistes an-
glais. Elle n'est point pâle, anguleuse, exté-
nuée, un sang riche coule en ses veines, anime
doucement son teint de perle, rougit la pulpe
vive de ses lèvres, aucune maigreur ne dépare
le galbe pur de ses formes. Jamais délicatesse
ne fut plus saine, ni gracilité plus robuste. M.
Bonnencontre répudie à raison, dans le dessin,
toute prétention à la naïveté. Feindre les gau-
cheries des vieux peintres lui semble un artifice
misérable. Autant les inexpériences, les mal-
adresses de ceux-ci peuvent être touchantes,
autant l'affectation en paraît ridicule et niaise.
Dans toutes choses il n'y a rien de plus agaçant
que la fausse ingénuité. Aussi la petite femme
de M. Bonnencontre n'est-elle pas atteinte
d'ankylose, n'offre-t-elle aucun symptôme d'hié-

ratisme; elle se montre toujours souple et har-
monieuse, dans l'intégrité de ses proportions et
de ses lignes. Comme sa joliesse, son âme n'est
ni inquiétante ni morbide. Elle ne renferme pas
les secrets de la vie et de la mort, ne se tend
pas éperdument vers Fau-delà, mais sereine, un
peu passive, elle reflète la joie et la tristesse des
choses, au gré des heures, des jours et des sai-
sons. Cette fine et gracieuse figure, c'est une éma-
nation de la nature, une fée charmantequi résume
dans sa pensée et dans sa chair la fraîcheur des
feuillages, la limpidité des ciels, l'haleine des
corolles et des brises, l'enlaçante souplesse des
eaux. Pas de mystère, pas d'énigme, pas d'équi-
voque symbolisme, seule une interprétation, un
peu trop élégante peut-être, un peu trop mon-
daine, des beautés et des harmonies naturelles.
Je n'aime point le tarabiscotage, je déplore
la manie de signification, de symbole qui s'est
emparée de nos artistes, qui leur fait prodiguer
dans leurs œuvres ies plus menues les intentions
mystico-philosophiques. Cela devient insuppor-
table. On ne peut se risquer dans un apparte-
ment «modem-style)) sans voir soudainement
surgir des moindres objets, pieds de lampe,
encriers, porte-allumettes, sonnettes de table,
de petites femmes émaciées, contractées, diabo-
liques et baudelairiennes qui semblent prêtes à
déclamer, comme le fait à tout propos l'héroïne
de Willy: «Je suis la Sphynge, je suis l'Isis,
l'Hiëratique, l'Immarcessible! )) Mais vraiment je
ne saurais médire de la figure créée par M.
Bonnencontre, elle n'est ni compliquée, ni pé-
dante; elle n'a pas le genre «maîtresse d'es-
thètes )) et sa silhouette distinguée, sa grâce
longue et sinueuse, qui serait sans doute dé-
placée sur un chenet ou une boite à pastilles,
convient tout à fait à la grande décoration.
Les œuvres qu'elle fleurit de son charme
sont, je l'ai dit, jusqu'à ce jour assez rares. C'est
« le Lit de la cigale )) du Salon de 1896, première
toile où l'artiste, délivré des besognes infé-
rieures, dessins pour les illustrés et peintures en
vue de l'exportation, essaye timidement sa note
aimable et poétique; puis, c'est au Champ-de-
Mars, l'année suivante, une importante composi-
tion qui le montre en pleine possession de sa
manière et de ses procédés décoratifs. Le sujet
de cette œuvre, joli, légèrement archaïque,
semble l'invention d'un Charles d'Orléans ou
d'un Remy Belleau : « L'Automne enlève à l'Eté
son manteau de verdure )). En tunique mauve,
avec un geste de persuasive coquetterie, la dame
de l'Automne dépossède la dame charmante de

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