L'ART DÉCORATIF
MARÉ 1901
GEORGES D'ESPAGNAT
?E sens de la grande décoration semble assez
ü_, rare chez nous pour qu'on doive signaler
à l'attention du public toute œuvre où il apparaît.
Même au milieu d'inexpériences, d'exagérations,
de partis-pris, c'est toujours le signe d'un esprit
bien organisé, d'un tempérament robuste et fe-
cond. La surprise de découvrir en M. d'Espagnat
une conception large et vraiment neuve du décor
a naguère poussé M. Octave Maus à célébrer
ailleurs les débuts de cet artiste; le contente-
ment de le voir affirmer ses qualités natives fait
que nous en parlons aujourd'hui dans cette
revue.
M. Georges d'Espagnat est un vrai & jeune )),
et cette épithète si ridicule quand elle est arborée
par des barbons de cinquante ans lui convient
comme une exquise parure. Il porte très crâne-
ment aussi son titre d'« indépendant )), et, dans
plusieurs expositions, à Paris, à Bruxelles, à
Londres, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à
Stockholm, ses témérités, pour ce qu'elles révé-
laient de force réelle, lui valurent de chaudes
sympathies. M. d'Espagnat, malgré son indé-
pendance, se range pourtant lui-même parmi
les impressionnistes, il se recommande de
Renoir et de Claude Monet, il est moins attentif
au dessin qu'à la couleur, il pratique la division
du ton, il cherche à traduire l'éblouissement du
plein air. Il est profondément épris de vérité et
de modernité.
A la grande nature un peu classique de
Corot, un peu romantique de Théodore Rous-
seau et de Dupré, les impressionnistes préfé-
rèrent le pittoresque plus étroit de la banlieue
parisienne. Les bords de la Seine à Meudon ou
à Bougival, les rives de la Marne à Nogent, les
villas, les guinguettes, les tonnelles, le mouve-
ment des canots satisfaisaient mieux leur curio-
sité de réalistes à la Goncourt. Il y avait dans
tout cela le dégingandé, la vulgarité joyeuse et
piquante, le papillottement de clartés, de ver-
dures et d'eaux, les délicatesses d'atmosphère
et les brusques dissonances dont s'enchantait
leur goût révolutionnaire. Depuis l'admirable
Manet jusqu'à Luce et Signac, avec des mérites
inégaux et divers, tous ont reproduit cette na-
ture équivoque, et tous, insoucieux du choix et
' Les reproductions accompagnant cet article
ont été faites d'après les photographies gracieuse-
ment mises à notre disposition par M. Durand-
Ruel, propriétaire ou éditeur des œuvres de
M- Georges d'Espagnat.
de l'arrangement, l'ont aimée pour son manque un chapeau de paille, sur une chair moite et
de tenue. Mise en toile, arabesque, équilibre pulpeuse, faire chanter suavement deux couleurs
GEORGES D'ESPAGNAT
PANNEAUX DËCOKATtFS
AU CHATEAU DE B.
des masses, harmonie des lignes, autant de
choses à négliger. Ce qu'il fallait, c'était noter
un frisson de lumière, un reflet de feuillage sur
ou les faire spirituellement «hurler)). Tout en
appréciant les Renoir si clairs, si voluptueux,
si riches de vie instinctive et nerveuse, les
Sisley fins et frissonnants, la subtilité magique
de Monet et la sincérité de Pissarro, on peut
bien dire que les impressionnistes ne se sont
jamais inquiétés de la composition. Quelques-
uns réalisèrent des harmonies colorées, aucun
ne poursuivit l'harmonie linéaire. Et vraiment
on regrette qu'à l'acuité de la vision, au vif
sentiment de la lumière ils n'aient pas joint le
sens des ensembles, la préoccupation du carac-
tère et du style. On le regrettera davantage
encore quand le temps aura fané dans l'œuvre
des meilleurs la vivacité des teints, la fleur char-
mante du coloris.
Cette absence de composition est mainte-
nant reconnue par tous. Les confrontations de la
Centennale à la récente Exposition Universelle
ont dessillé les yeux des moins clairvoyants.
Certains artistes, un peu précipitamment peut-
être, pour reconquérir le style, sont remontés
d'un coup à la peinture noire et au pay-
sage historique; d'autres, sans abandonner l'es-
prit et les théories impressionnistes, y ont
ajouté la recherche et l'amour de l'eurythmie.
Georges d'Espagnat compte parmi ces derniers.
Impressionniste, il l'est de goût et de volonté,
mais il sait ordonner une œuvre Dans cette
campagne aux portes de Paris où ses aînés ne
rencontraient que des effets de lumière, il dé-
couvre de larges perspectives, de belles formes,
des agencements heureux. La confusion grâce
à lui s'organise, les masses se dégagent et se
balancent, les lignes heurtées s'assouplissent et
se combinent pour d'amples harmonies. De plus
les cartons rapidement tachés au fond de la
boîte « à pouce )), les cadres de proportions
modestes font place à des toiles immenses. Avec
sa fougue juvénile, M. d'Espagnat a déjà couvert
un nombre respectable de mètres carrés.
« L'agréable Campagne R qui pare la villa de
M. Georges Viau, à Villennes, mesure y mètres
sur 2'",8o. La «Terrasse du bord de l'eau )), dans
l'appartement du même, à Paris, offre, elle
aussi, des dimensions honnêtes. Pour le château
de Bénavent, dans l'Indre, l'artiste a exécuté
17 panneaux et pour l'hôtel de M. Joseph
Durand-Ruel, rue de Rome, l'ornementation de
neuf portes, soit 63 motifs. Ajoutez à cela
« l'Après-midi d'été )) et « l'Après-midi d'au-
tomne )), le « Déjeuner sur l'herbe )), le « Bain )),
la « Pêche à la ligne )), d'autres panneaux en-
core, le « Paravent pour la chambre des enfants )),
qui appartient à M. Goupy, des tableaux de
chevalet, paysages, figures, natures-mortes, des
fusains et des sanguines, et vous imaginerez la
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GEORGES D'ESPAGNAT
?E sens de la grande décoration semble assez
ü_, rare chez nous pour qu'on doive signaler
à l'attention du public toute œuvre où il apparaît.
Même au milieu d'inexpériences, d'exagérations,
de partis-pris, c'est toujours le signe d'un esprit
bien organisé, d'un tempérament robuste et fe-
cond. La surprise de découvrir en M. d'Espagnat
une conception large et vraiment neuve du décor
a naguère poussé M. Octave Maus à célébrer
ailleurs les débuts de cet artiste; le contente-
ment de le voir affirmer ses qualités natives fait
que nous en parlons aujourd'hui dans cette
revue.
M. Georges d'Espagnat est un vrai & jeune )),
et cette épithète si ridicule quand elle est arborée
par des barbons de cinquante ans lui convient
comme une exquise parure. Il porte très crâne-
ment aussi son titre d'« indépendant )), et, dans
plusieurs expositions, à Paris, à Bruxelles, à
Londres, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à
Stockholm, ses témérités, pour ce qu'elles révé-
laient de force réelle, lui valurent de chaudes
sympathies. M. d'Espagnat, malgré son indé-
pendance, se range pourtant lui-même parmi
les impressionnistes, il se recommande de
Renoir et de Claude Monet, il est moins attentif
au dessin qu'à la couleur, il pratique la division
du ton, il cherche à traduire l'éblouissement du
plein air. Il est profondément épris de vérité et
de modernité.
A la grande nature un peu classique de
Corot, un peu romantique de Théodore Rous-
seau et de Dupré, les impressionnistes préfé-
rèrent le pittoresque plus étroit de la banlieue
parisienne. Les bords de la Seine à Meudon ou
à Bougival, les rives de la Marne à Nogent, les
villas, les guinguettes, les tonnelles, le mouve-
ment des canots satisfaisaient mieux leur curio-
sité de réalistes à la Goncourt. Il y avait dans
tout cela le dégingandé, la vulgarité joyeuse et
piquante, le papillottement de clartés, de ver-
dures et d'eaux, les délicatesses d'atmosphère
et les brusques dissonances dont s'enchantait
leur goût révolutionnaire. Depuis l'admirable
Manet jusqu'à Luce et Signac, avec des mérites
inégaux et divers, tous ont reproduit cette na-
ture équivoque, et tous, insoucieux du choix et
' Les reproductions accompagnant cet article
ont été faites d'après les photographies gracieuse-
ment mises à notre disposition par M. Durand-
Ruel, propriétaire ou éditeur des œuvres de
M- Georges d'Espagnat.
de l'arrangement, l'ont aimée pour son manque un chapeau de paille, sur une chair moite et
de tenue. Mise en toile, arabesque, équilibre pulpeuse, faire chanter suavement deux couleurs
GEORGES D'ESPAGNAT
PANNEAUX DËCOKATtFS
AU CHATEAU DE B.
des masses, harmonie des lignes, autant de
choses à négliger. Ce qu'il fallait, c'était noter
un frisson de lumière, un reflet de feuillage sur
ou les faire spirituellement «hurler)). Tout en
appréciant les Renoir si clairs, si voluptueux,
si riches de vie instinctive et nerveuse, les
Sisley fins et frissonnants, la subtilité magique
de Monet et la sincérité de Pissarro, on peut
bien dire que les impressionnistes ne se sont
jamais inquiétés de la composition. Quelques-
uns réalisèrent des harmonies colorées, aucun
ne poursuivit l'harmonie linéaire. Et vraiment
on regrette qu'à l'acuité de la vision, au vif
sentiment de la lumière ils n'aient pas joint le
sens des ensembles, la préoccupation du carac-
tère et du style. On le regrettera davantage
encore quand le temps aura fané dans l'œuvre
des meilleurs la vivacité des teints, la fleur char-
mante du coloris.
Cette absence de composition est mainte-
nant reconnue par tous. Les confrontations de la
Centennale à la récente Exposition Universelle
ont dessillé les yeux des moins clairvoyants.
Certains artistes, un peu précipitamment peut-
être, pour reconquérir le style, sont remontés
d'un coup à la peinture noire et au pay-
sage historique; d'autres, sans abandonner l'es-
prit et les théories impressionnistes, y ont
ajouté la recherche et l'amour de l'eurythmie.
Georges d'Espagnat compte parmi ces derniers.
Impressionniste, il l'est de goût et de volonté,
mais il sait ordonner une œuvre Dans cette
campagne aux portes de Paris où ses aînés ne
rencontraient que des effets de lumière, il dé-
couvre de larges perspectives, de belles formes,
des agencements heureux. La confusion grâce
à lui s'organise, les masses se dégagent et se
balancent, les lignes heurtées s'assouplissent et
se combinent pour d'amples harmonies. De plus
les cartons rapidement tachés au fond de la
boîte « à pouce )), les cadres de proportions
modestes font place à des toiles immenses. Avec
sa fougue juvénile, M. d'Espagnat a déjà couvert
un nombre respectable de mètres carrés.
« L'agréable Campagne R qui pare la villa de
M. Georges Viau, à Villennes, mesure y mètres
sur 2'",8o. La «Terrasse du bord de l'eau )), dans
l'appartement du même, à Paris, offre, elle
aussi, des dimensions honnêtes. Pour le château
de Bénavent, dans l'Indre, l'artiste a exécuté
17 panneaux et pour l'hôtel de M. Joseph
Durand-Ruel, rue de Rome, l'ornementation de
neuf portes, soit 63 motifs. Ajoutez à cela
« l'Après-midi d'été )) et « l'Après-midi d'au-
tomne )), le « Déjeuner sur l'herbe )), le « Bain )),
la « Pêche à la ligne )), d'autres panneaux en-
core, le « Paravent pour la chambre des enfants )),
qui appartient à M. Goupy, des tableaux de
chevalet, paysages, figures, natures-mortes, des
fusains et des sanguines, et vous imaginerez la
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