FÉVRIER 1901
DELAGRANGE JARDINIÈRE (COLIN & C"- ËD.)
vous a des airs revêches, ironiques ou pédants.
Les cendriers, les baguiers, ies sonnettes
prennent des figures diaboliques, exigent des
silhouettes de vampires et de goules; tel vide-
poche s'intitule «envoûtement)), «perdition))
ou «cauchemar)), et telle hllette malingre qui
se penche éperdument sur le gouffre d'un
encrier signifie le vertige de l'âme devant le
néant. Lorsque tant d'artistes s'attardent aux
extravagances de cette sorte, M. Bouval pour-
suit la saine raison. Il ne considère point la
femme comme un être de mystère et de damna-
tion, mais comme une créature infiniment plas-
tique, plaisante et douce à voir, dont il pourra
tirer les meilleurs effets ornementaux. Et l'in-
térêt du corps douillet, aux souples rondeurs,
aux minces attaches, il sait le subordonner à
l'intérêt de l'objet à décorer.
En même temps que M Bouval, le même
éditeur a su s'attacher d'autres artistes intéres-
sants, par exemple M. James Vibert (qui mo-
dela, outre ses curieux étains, certains bronzes
fort aimables, baguiers, cendriers, vide-poches
où des nymphes sommeillent dans des feuilles
de nénuphar) et surtout un ancien peintre,
M. Chalon. M. Chalon est un des espoirs de
l'art appliqué. Les premiers ouvrages sortis de
ses mains ont de la personnalité et de l'inattendu.
Seulement ils rappellent plus encore le colo-
riste qu'ils n'affirment le sculpteur. L'exacti-
tude des proportions est assez fréquemment
sacrifiée à l'intention de sveltesse, de gracile
élégance; puis la volonté d'adaptation à l'objet
n'est pas toujours victorieuse. Je n'en veux
pour preuve que le vase reproduit dans ces
pages; la figure de profil, auréolée de mar-
guerites, ne fait point corps avec la masse
essentielle, elle n'y tient par aucun lien logique,
elle y est arbitrairement collée. Elle a quelques
prétentions symboliques. Symbole bien trans-
parent sans doute; elle se nomme «la Reine
des Prés )). De même un encrier est étiqueté
«Pensées)), un grand plateau «les Parfums)).
Ce dernier d'ailleurs est un objet fort agréable.
Dans la vasque brodée de fleurettes d'or, des
patines vertes et bleues et des reliefs légers
traduisent un remous de fumées odorantes ;
une volute s'élève au centre, enlace une petite
Parisienne, nue, effilée, qui dresse son joli corps,
ses jambes minces, ses hanches étroites, ses seins
menus, sourit, baisse mollement ses paupières
et tord les bras d'un long geste enivré.
D'une conception piquante, d'un modelé ex-
trêmement vif, l'œuvrette témoigne du plus
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DELAGRANGE JARDINIÈRE (COLIN & C"- ËD.)
vous a des airs revêches, ironiques ou pédants.
Les cendriers, les baguiers, ies sonnettes
prennent des figures diaboliques, exigent des
silhouettes de vampires et de goules; tel vide-
poche s'intitule «envoûtement)), «perdition))
ou «cauchemar)), et telle hllette malingre qui
se penche éperdument sur le gouffre d'un
encrier signifie le vertige de l'âme devant le
néant. Lorsque tant d'artistes s'attardent aux
extravagances de cette sorte, M. Bouval pour-
suit la saine raison. Il ne considère point la
femme comme un être de mystère et de damna-
tion, mais comme une créature infiniment plas-
tique, plaisante et douce à voir, dont il pourra
tirer les meilleurs effets ornementaux. Et l'in-
térêt du corps douillet, aux souples rondeurs,
aux minces attaches, il sait le subordonner à
l'intérêt de l'objet à décorer.
En même temps que M Bouval, le même
éditeur a su s'attacher d'autres artistes intéres-
sants, par exemple M. James Vibert (qui mo-
dela, outre ses curieux étains, certains bronzes
fort aimables, baguiers, cendriers, vide-poches
où des nymphes sommeillent dans des feuilles
de nénuphar) et surtout un ancien peintre,
M. Chalon. M. Chalon est un des espoirs de
l'art appliqué. Les premiers ouvrages sortis de
ses mains ont de la personnalité et de l'inattendu.
Seulement ils rappellent plus encore le colo-
riste qu'ils n'affirment le sculpteur. L'exacti-
tude des proportions est assez fréquemment
sacrifiée à l'intention de sveltesse, de gracile
élégance; puis la volonté d'adaptation à l'objet
n'est pas toujours victorieuse. Je n'en veux
pour preuve que le vase reproduit dans ces
pages; la figure de profil, auréolée de mar-
guerites, ne fait point corps avec la masse
essentielle, elle n'y tient par aucun lien logique,
elle y est arbitrairement collée. Elle a quelques
prétentions symboliques. Symbole bien trans-
parent sans doute; elle se nomme «la Reine
des Prés )). De même un encrier est étiqueté
«Pensées)), un grand plateau «les Parfums)).
Ce dernier d'ailleurs est un objet fort agréable.
Dans la vasque brodée de fleurettes d'or, des
patines vertes et bleues et des reliefs légers
traduisent un remous de fumées odorantes ;
une volute s'élève au centre, enlace une petite
Parisienne, nue, effilée, qui dresse son joli corps,
ses jambes minces, ses hanches étroites, ses seins
menus, sourit, baisse mollement ses paupières
et tord les bras d'un long geste enivré.
D'une conception piquante, d'un modelé ex-
trêmement vif, l'œuvrette témoigne du plus
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