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•POUR-TOUS
ENCYCLOPEDIE E£ FARTTADUSTRIEL ET DECORA T/E
|3 ara visant tous les irvotS
FONDÉ PAR ÉMILE REIBER
Directeur: Henry GUÉDY, architecte (S. A. F.)
Litratrt&s-In^primeries réunies
Arvcienno.Maiso'n. Alore-l
PARIS
43e Année
7, rue Saint-Benoît \
1 AS i [ f —.’j Ut: -RÉSK=SI]ZIUSi3^^
l\/ï o v*r> t O /I
L’Art pour Tous — Numéro spécial — 2.
L’ŒUVRE DE LÉONARD DE VINCI
Nous préparons, pour les premiers mois du
deuxième semestre de l’année en cours, un
numéro spécial de Y Art pour Tous, dont le texte
et les planches seront entièrement consacrés à j
l’œuvre de Léonard de Vinci: comme peintre,
dessinateur et caricaturiste.
Nous donnerons prochainement la nomencla-
ture de nos planches ; toutes nos reproductions j
seront faites d’après les meilleurs dessins de l’il-
lustre maître.
Nous accepterons avec plaisir toutes les com-
munications, sur ce sujet que croiraient devoir 1
nous faire nos abonnés, soit pour des particula- !
rites, encore peu connues, de la vie du grand
artiste, soit qu’ils possèdent dans leurs collections j
des œuvres à signaler, dont nous pourrions faire
faire des reproductions.
H. G.
SALVATOR ROSA
Au moment où le Vésuve va faire éruption, il
sort d’abord de son cratère une colonne de
fumée noire comme de la suie, puis la fumée
rougit d’un rouge s,ombre, puis elle se violacé,
puis elle s’empourpre, puis elle devient rose,
comme l’aurore, et alors détonations, jcls de
feux, pierres rouges lancées en l’air, coups de
canon, coups de fusil, des bruits effroyables
comme si la terre élait un animal qui cric et le
ciel un monstre qui lui répond;... puis toutes
cesflammes s’assoupissent, lesbruits s’éteignenl,
les pierres rclombenL une à une;... le volcan
essaie encore quelques jets d’incendie, ensuite
tout se replonge dans l’obscurité et dans le si-
lence; il lait nuit, on n’entend plus rien, on ne
voit plus rien.
Voilà le portrait de Salvator Rosa.
La vie et lë caractère de cet homme sont une
éruption perpétuelle. Comme la fumée du vol-
can, son existence a passé par toutes les nuances
et les dégradations de couleur, sombre, san-
glante, blanche, étincelante; comme le volcan,
il a tonné, éclairé, détruit, épuré, fécondé;
comme le volcan, il a été le roi de l’incendie et
de la dévastation; enfin, comme le volcan, il
s’est éteint peu à peu, lançant de temps en temps
encore quelques flammes, et puis mourant et
s’affaiblissant par degrés, jusqu’à la nuit éternelle
et immense.
Cet homme a été tout : peintre,, poète, musi-
cien, joueur de luth, chanteur, improvisateur,
graveur, soldai, conspirateur, acteur, auteur
dramatique, et presque brigand; pauvre comme
Gilbert, riche comme un pape, républicain
comme Masaniello, voluptueux comme Sarda-
napale, stoïcien comme Epiclète, rieur comme
Démocrile, sombre comme Héraclite, orgueilleux
comme un beau cheval, colère comme la mer,
amoureux du monde, amoureux de la solitude,
Salvator, vie et caractère, est un des êtres les
plus complets qui aient jamais existé. Personne
n’a eu tant d’amis et tant d’ennemis; arrivé à
Rome dans la pleine efflorescence de l’école
étiolée et blafarde du poète Mazini, il l’écrasa
de ses foudroyantes épigrammes, et jeta au mi-
lieu de cette troupe rosée de bergers en houlette,
sa poésie, nue, brune, et musclée comme un
athlète qui va combattre. Elève de lui-même et
de la nature, le mot d'académie le met en fureur,
et, dès qu’il le voit quelque part, coup de pinceau,
de plume ou de langue, la satire ne se fait pas
attendre. — Un jeune chirurgien, plein de talent
comme’peintre, avait été rejeté par l’académie
de Saint-Luc. Salvator l’engage à mettre un ta-
bleau à la première exposition du Panthéon,
sans y inscrire son nom ; le tableau est exposé
cl obtient grand succès.—Connaissez-vous l’au-
teur? demande un académicien à Salvator.—
Oui, réplique celui-ci, c’est le jeune chirurgien
que l’académie a rejeté. Exclusion très impru-
dente, car, outre son talent de peintre, ce jeune
homme, comme chirurgien, eut pu donner des
leçons d’anatomie aux académiciens, et leur ap-
prendre à raccommoder les malheureux mem-
bres qu’ils disloquent sans cesse dans leurs j
tableaux.
Sa satire était la belle et noble satire, la sa-
tire qui part de l’âme, la satire de Juvénal, tout
autant que celle d’Horace; et, s’il faiL pleuvoir
ses nuées de traits mordants, c’estpour défendre ;
les statues de trois grandes divinités, c’est les \
bras tendus devant la trinilé terrestre, l’art, la
vérité, la vertu !
Je ne sais rien de si noble, de si emporté et
de si étrange que l’orgueil de Salvator Rosa;
J c’est eet orgueil qui lui fit toujours haïr et rejeter
1 le titre de dépendant d’un prince, litre qu’nmbi-
j donnaient les grands peintres de celle époque;
! c’est cet orgueil, qui ne pouvait pas souffrir la
j moindre critique sur ses ouvrages; dès qu’on le
| touchait là, tout son corps tressaillait, comme
i s’il n’avait pas eu de première peau. — Son
! meilleur ami, B. Ricinrdi, lui avait demandé un
j tableau. Salvator lui en ayant envoyé un où il
j n'y avait que deux figures, Riciardi se plaignit.
! — Je suis confondu, lui écrit le peintre, qu’une
j télé comme la vôtre ail attendu jusqu’à ce jour
j pour savoir ce que vaut Salvator et de quel ca-
! ractère il est en amitié; me voici forcé de croire
que vous m’avez fait des reproches, parce que
| vous mesavez volre obligé ; si cela est, jesouffrirai
toutes vos paroles, mais jusqu’aux limites de la
! dignité, vous rappelant que ni vous ni moi nous
j ne sommes des dieux, et que si pour moi vous
, êtes un grand homme, je prétends aussi être
quelque chose auprès des autres. Quand même,
! au lieu de deux figures, je ne vous en aurais en-
voyé qu’une seule de ma main, j’aurais cru que
■ cela suffisait pour vous contenter, et pour servir
de pendant, non seulement aux ridicules bam-
boches de votre galerie, mais, vive Dieu! à tout
' tableau des premiers peintres du monde. Ri-
j ciardi ! Riciardi! vous m’avez offensé mortelle-
\ ment; ne m’accusez plus.ainsi d’ingratitude, de
calcul, ou je vous montrerai toujours les dents,
i si non pour vous mordre, au moins pour me dé-
j fendre.
Puis il ajoute doucement, après ccs rudes pa-
roles : — Je vous dirai de plus, mon ami, que
i depuis quelque temps j’éprouve tant de fatigue
à travailler, que, pour ne pas perdre le goût de
1 mon art, je ne choisis que des sujets faciles et
! composés de peu de figures.
Cette lettre n’est-elle pas un admirable mé-
lange d’irritabilité orgueilleuse, de conscience
J du génie et de boulé?
L’envie tourne contre les' grands hommes,
même leurs qualités; el la supériorité de Sal-
vator, dans les petits paysages, fil dénigrer ses
j compositions historiques. De toutes parts, on
lui demandait des quadretti, et pas une com-
mande de grands tableaux. Un jour, un très riche
j cardinal entra chez lui pour lui acheter quel-
ques-uns de ses ouvrages, et, se promenant
dans l’atelier, il ne s’arrêtait que devant lesqua-
i dretli; Salvator murmurait entre ses dents :
sëmpre paesi piccoli ( toujours des petits tableaux).
A la fin, le cardinal, laissant tomber un regard
sur une peinture historique, en demanda négli-
gemment le prix ; Salvator répondit impétueu-
sement : un million !
Une autre fois, un prince romain, parcourant sa
galerie, s’arrêta devant un de ses paysages, et
s’écria : « Salvator mio, je suis grandement tenté
d’acheter ce tableau, dilcs-unoi son dernier prix.
Deux cents écus ! répond négligemment Salva-
lor. Deux cents écus! Corpo di bacco! Nous
parlerons de cela une autre fois. »
Le prince partit; mais, deux jours après, il
revint et demanda encore le prix.
— Trois cents écus.
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS. — N» 219.
•POUR-TOUS
ENCYCLOPEDIE E£ FARTTADUSTRIEL ET DECORA T/E
|3 ara visant tous les irvotS
FONDÉ PAR ÉMILE REIBER
Directeur: Henry GUÉDY, architecte (S. A. F.)
Litratrt&s-In^primeries réunies
Arvcienno.Maiso'n. Alore-l
PARIS
43e Année
7, rue Saint-Benoît \
1 AS i [ f —.’j Ut: -RÉSK=SI]ZIUSi3^^
l\/ï o v*r> t O /I
L’Art pour Tous — Numéro spécial — 2.
L’ŒUVRE DE LÉONARD DE VINCI
Nous préparons, pour les premiers mois du
deuxième semestre de l’année en cours, un
numéro spécial de Y Art pour Tous, dont le texte
et les planches seront entièrement consacrés à j
l’œuvre de Léonard de Vinci: comme peintre,
dessinateur et caricaturiste.
Nous donnerons prochainement la nomencla-
ture de nos planches ; toutes nos reproductions j
seront faites d’après les meilleurs dessins de l’il-
lustre maître.
Nous accepterons avec plaisir toutes les com-
munications, sur ce sujet que croiraient devoir 1
nous faire nos abonnés, soit pour des particula- !
rites, encore peu connues, de la vie du grand
artiste, soit qu’ils possèdent dans leurs collections j
des œuvres à signaler, dont nous pourrions faire
faire des reproductions.
H. G.
SALVATOR ROSA
Au moment où le Vésuve va faire éruption, il
sort d’abord de son cratère une colonne de
fumée noire comme de la suie, puis la fumée
rougit d’un rouge s,ombre, puis elle se violacé,
puis elle s’empourpre, puis elle devient rose,
comme l’aurore, et alors détonations, jcls de
feux, pierres rouges lancées en l’air, coups de
canon, coups de fusil, des bruits effroyables
comme si la terre élait un animal qui cric et le
ciel un monstre qui lui répond;... puis toutes
cesflammes s’assoupissent, lesbruits s’éteignenl,
les pierres rclombenL une à une;... le volcan
essaie encore quelques jets d’incendie, ensuite
tout se replonge dans l’obscurité et dans le si-
lence; il lait nuit, on n’entend plus rien, on ne
voit plus rien.
Voilà le portrait de Salvator Rosa.
La vie et lë caractère de cet homme sont une
éruption perpétuelle. Comme la fumée du vol-
can, son existence a passé par toutes les nuances
et les dégradations de couleur, sombre, san-
glante, blanche, étincelante; comme le volcan,
il a tonné, éclairé, détruit, épuré, fécondé;
comme le volcan, il a été le roi de l’incendie et
de la dévastation; enfin, comme le volcan, il
s’est éteint peu à peu, lançant de temps en temps
encore quelques flammes, et puis mourant et
s’affaiblissant par degrés, jusqu’à la nuit éternelle
et immense.
Cet homme a été tout : peintre,, poète, musi-
cien, joueur de luth, chanteur, improvisateur,
graveur, soldai, conspirateur, acteur, auteur
dramatique, et presque brigand; pauvre comme
Gilbert, riche comme un pape, républicain
comme Masaniello, voluptueux comme Sarda-
napale, stoïcien comme Epiclète, rieur comme
Démocrile, sombre comme Héraclite, orgueilleux
comme un beau cheval, colère comme la mer,
amoureux du monde, amoureux de la solitude,
Salvator, vie et caractère, est un des êtres les
plus complets qui aient jamais existé. Personne
n’a eu tant d’amis et tant d’ennemis; arrivé à
Rome dans la pleine efflorescence de l’école
étiolée et blafarde du poète Mazini, il l’écrasa
de ses foudroyantes épigrammes, et jeta au mi-
lieu de cette troupe rosée de bergers en houlette,
sa poésie, nue, brune, et musclée comme un
athlète qui va combattre. Elève de lui-même et
de la nature, le mot d'académie le met en fureur,
et, dès qu’il le voit quelque part, coup de pinceau,
de plume ou de langue, la satire ne se fait pas
attendre. — Un jeune chirurgien, plein de talent
comme’peintre, avait été rejeté par l’académie
de Saint-Luc. Salvator l’engage à mettre un ta-
bleau à la première exposition du Panthéon,
sans y inscrire son nom ; le tableau est exposé
cl obtient grand succès.—Connaissez-vous l’au-
teur? demande un académicien à Salvator.—
Oui, réplique celui-ci, c’est le jeune chirurgien
que l’académie a rejeté. Exclusion très impru-
dente, car, outre son talent de peintre, ce jeune
homme, comme chirurgien, eut pu donner des
leçons d’anatomie aux académiciens, et leur ap-
prendre à raccommoder les malheureux mem-
bres qu’ils disloquent sans cesse dans leurs j
tableaux.
Sa satire était la belle et noble satire, la sa-
tire qui part de l’âme, la satire de Juvénal, tout
autant que celle d’Horace; et, s’il faiL pleuvoir
ses nuées de traits mordants, c’estpour défendre ;
les statues de trois grandes divinités, c’est les \
bras tendus devant la trinilé terrestre, l’art, la
vérité, la vertu !
Je ne sais rien de si noble, de si emporté et
de si étrange que l’orgueil de Salvator Rosa;
J c’est eet orgueil qui lui fit toujours haïr et rejeter
1 le titre de dépendant d’un prince, litre qu’nmbi-
j donnaient les grands peintres de celle époque;
! c’est cet orgueil, qui ne pouvait pas souffrir la
j moindre critique sur ses ouvrages; dès qu’on le
| touchait là, tout son corps tressaillait, comme
i s’il n’avait pas eu de première peau. — Son
! meilleur ami, B. Ricinrdi, lui avait demandé un
j tableau. Salvator lui en ayant envoyé un où il
j n'y avait que deux figures, Riciardi se plaignit.
! — Je suis confondu, lui écrit le peintre, qu’une
j télé comme la vôtre ail attendu jusqu’à ce jour
j pour savoir ce que vaut Salvator et de quel ca-
! ractère il est en amitié; me voici forcé de croire
que vous m’avez fait des reproches, parce que
| vous mesavez volre obligé ; si cela est, jesouffrirai
toutes vos paroles, mais jusqu’aux limites de la
! dignité, vous rappelant que ni vous ni moi nous
j ne sommes des dieux, et que si pour moi vous
, êtes un grand homme, je prétends aussi être
quelque chose auprès des autres. Quand même,
! au lieu de deux figures, je ne vous en aurais en-
voyé qu’une seule de ma main, j’aurais cru que
■ cela suffisait pour vous contenter, et pour servir
de pendant, non seulement aux ridicules bam-
boches de votre galerie, mais, vive Dieu! à tout
' tableau des premiers peintres du monde. Ri-
j ciardi ! Riciardi! vous m’avez offensé mortelle-
\ ment; ne m’accusez plus.ainsi d’ingratitude, de
calcul, ou je vous montrerai toujours les dents,
i si non pour vous mordre, au moins pour me dé-
j fendre.
Puis il ajoute doucement, après ccs rudes pa-
roles : — Je vous dirai de plus, mon ami, que
i depuis quelque temps j’éprouve tant de fatigue
à travailler, que, pour ne pas perdre le goût de
1 mon art, je ne choisis que des sujets faciles et
! composés de peu de figures.
Cette lettre n’est-elle pas un admirable mé-
lange d’irritabilité orgueilleuse, de conscience
J du génie et de boulé?
L’envie tourne contre les' grands hommes,
même leurs qualités; el la supériorité de Sal-
vator, dans les petits paysages, fil dénigrer ses
j compositions historiques. De toutes parts, on
lui demandait des quadretti, et pas une com-
mande de grands tableaux. Un jour, un très riche
j cardinal entra chez lui pour lui acheter quel-
ques-uns de ses ouvrages, et, se promenant
dans l’atelier, il ne s’arrêtait que devant lesqua-
i dretli; Salvator murmurait entre ses dents :
sëmpre paesi piccoli ( toujours des petits tableaux).
A la fin, le cardinal, laissant tomber un regard
sur une peinture historique, en demanda négli-
gemment le prix ; Salvator répondit impétueu-
sement : un million !
Une autre fois, un prince romain, parcourant sa
galerie, s’arrêta devant un de ses paysages, et
s’écria : « Salvator mio, je suis grandement tenté
d’acheter ce tableau, dilcs-unoi son dernier prix.
Deux cents écus ! répond négligemment Salva-
lor. Deux cents écus! Corpo di bacco! Nous
parlerons de cela une autre fois. »
Le prince partit; mais, deux jours après, il
revint et demanda encore le prix.
— Trois cents écus.
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS. — N» 219.