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Libratrtes-Inxprimcrics reume
Arvcîenaeliaison .More.
Ç\ PARIS ,o , I
7, rue Saint Benoîl
43e Année
Avril 1904
FRAGMENTS D’ART GREC
Tanagra et Myrina
Par J. Damelli
J. Tanagra. — Ln len-
dance à se populariser
chaque jour davantage
que parait prendre, de
lui-même, l’art tanagrêen;
l’ignorance où, en dehors
d’archéologues, d’artistes
et d’amateurs érudits, on
se trouve des éléments
propres à permettre de
s’initier à son origine, son
caractère et sa destina-
tion ou son but ; le besoin
qu’on ressent de plus en
plus de connaître ceux-
ci et la difficulté qu’on
éprouve à les pouvoir grouper, épars et clair-
semés qu’ils sont d’ailleurs; tcut cela paraît
donnera l’étude de cet art un regain d’actualité.
C’est qu’en effet, depuis la mort d’Olivier
Rayet, auquel on doit, et encore dans un cercle
limité, de connaître en France cel art exquis,
bien peu de chose, sinon rien, n’a été fait dans
cette voie. Et
pourtant, nul plus
que lui ne semble
mériter les hon-
neurs d’une vul-
garisation.
On sait, mais
nous le rappelle-
rons pour mé-
moire, qu’à l’ex-
emple des autres
cités grecques de
l’antiquité, celle
de Tanagra a
changé de nom
et que l’emplace-
ment qu’elle oc-
cupait jadis se
dénomme aujour-
d'hui Grimadha.
On sait aussi que
l’art tanagrêen ne
fut pas exclusive-
ment limité à la
seule ville de Ta-
nagra, qu’elle en
fut comme le cen-
tre autour duquel
rayonnaient d’au-
tres villes de
moindre impor-
tance dont les
noms pour celles
qui nous sont connues, sont : Aulis et Tisbé —
peut-être en découvrira-t-on d’autres — et que
toutes procédant des mêmes causes s’inspirèrent,
pour leurs productions, des mêmes éléments;de
telle sorte que, seule l’argile, cette production
du sol local, en diffère plus ou moins par la
nature de sa composition. Aussi est-ce à cette
variété de la matière initiale qu’on doit d’avoir
pu déterminer avec quelque certitude les carac-
tères particuliers à chacune de ces fabrica-
tions.
On sait aussi que, dans le but d’aider avec
plus de précision à l’élude des œuvres lana-
gréennes, on classe celles-ci en trois séries
distinctes.
La première, de beaucoup plus importante
que les deux autres, se rattache à la vie fami-
liale et commune. Ce sont des représentations
rie dames ou matrones, tantôt à l’allure majes-
tueuse et sévère, ou à la démarche pleine de
grâce et d’élégance; tantôt à l’attitude calme,
pensive ou empreinte de mélancolie; tantôt,
enfin, et comme par opposition à ces dernières,
à l’allure crâne et hardie, trahissant parfois une
désinvolture qu’à notre époque on qualifierait
de suggestive, tant la sveltesse des formes se
dessine sous les amples draperies tendues
d’étoffes souples qui les revêtent. Ce sont aussi
de gracieuses jeunes filles, prises dans leurs
promenades, leurs occupations ou leurs jeux.
Ce sont, enfin, des enfants, saisis dans toute
l’inconscience de leurs mouvements ou de leurs
cbats.
La seconde série, en nombre beaucoup plus
restreint que la première, a trait à la vie com-
mune et publique : artisans, marchands, acteurs,
pédagogues, histrions,dont l’interprétation, par-
fois, est poussée jusqu’à la caricature.
Quant à la troisième série, tous les sujets en
sont empruntés à la fable ; Silène, satyre, bac-
chante, Aphrodite, Léda, Éros, Hermès, Her-
cule enfant, etc.
Enfin, en outre des trois séries précédentes,
il reste à mentionner, plutôt pour mémoire, les
exemples en étant forL rares, l’interprétation
d’œuvres de la grande sculpture de l’époque,
mais qui, par ce fait de leur rareté ; n’inter-
viennent que comme exception, alors qu’au
contraire, et ainsi qu’on le verra plus loin, les
œuvres similaires tiennent une place impor-
tante dans les productions d’origine myri-
néenne.
De ces diverses productions, toutes intéres-
santes à certains points de vue, celles de la
première série le sont particulièrement, non
pas seulement par le nombre, mais par le
charme qui s’en dégage. Qu’on
les examine chacune dans leurs
détails ou qu’on les considère
dans leur ensemble : originalité
de conception, familiarité des
interprétations, naturel des
poses, élégance des formes, jus-
tesse des proportions, arrange-
ments savants des draperies et de la coiffure,
tout y est conçu et interprété avec une vérité,
parfois même avec une précision qui dénote
chez leurs auteurs l’existence d’un réel esprit
d’observation et le savoir d’une juste mesure
dans l’interprétation.
Dans son inspiration essentiellement familière
de la nature, sa vérité des altitudes et son exac-
titude des mouvements, c’est un art qui confine
au réalisme, mais un réalisme tempéré par une
sorte de poésie dans la pensée, qui fait se
mouvoir chacune de ces figurines exquises.
Une autre particularité propre à cetart, encore
énigmatique, csL celle par laquelle il nous appa-
raît comme créé tout d’une pièce, c’est-à-dire
sans apporter avec lui ni période embryonnaire,
ni époque primitive, de même qu’il disparaît
sans laisser de trace de décadence. Notons que
c'est là un fait qui n’a guère d’autre exemple
dans l’histoire que celui de l’art assyrien.
Mais que pouvait être tout ce petit peuple
d’argile, composé de femmes, de jeunes filles,
d’enfants et d’hommes, ayant chacun sa physio-
nomie, sa propre personnalité, et chacun por-
tant l’empreinte instantanée du rôle dans lequel
il se meut? A quelle destination tout ce petit
monde pouvait-il bien être voué, et est-il pos-
sible, comme on l’a écrit et soutenu, qu’ainsi
créé plein de vie, de grâce familière, de charme
et d'élégance, il ait été uniquement destiné à
être enfoui dans les tombeaux où on l’a
recueilli? Questions complexes et fort difficiles
à résoudre en l’absence de toute documentation
certaine.
C’est qu’en
effet, si les-
éléments
permettant
de se faire
une juste
apprécia-
tion du de-
gré d’art at-
teint par les
coroplastes
lanagréens,
abonde n t,
sous forme d’œuvres nombreuses, d’une exécu-
tion plus ou moins élevée, poussée ou achevée,
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS.
N" 220.
Libratrtes-Inxprimcrics reume
Arvcîenaeliaison .More.
Ç\ PARIS ,o , I
7, rue Saint Benoîl
43e Année
Avril 1904
FRAGMENTS D’ART GREC
Tanagra et Myrina
Par J. Damelli
J. Tanagra. — Ln len-
dance à se populariser
chaque jour davantage
que parait prendre, de
lui-même, l’art tanagrêen;
l’ignorance où, en dehors
d’archéologues, d’artistes
et d’amateurs érudits, on
se trouve des éléments
propres à permettre de
s’initier à son origine, son
caractère et sa destina-
tion ou son but ; le besoin
qu’on ressent de plus en
plus de connaître ceux-
ci et la difficulté qu’on
éprouve à les pouvoir grouper, épars et clair-
semés qu’ils sont d’ailleurs; tcut cela paraît
donnera l’étude de cet art un regain d’actualité.
C’est qu’en effet, depuis la mort d’Olivier
Rayet, auquel on doit, et encore dans un cercle
limité, de connaître en France cel art exquis,
bien peu de chose, sinon rien, n’a été fait dans
cette voie. Et
pourtant, nul plus
que lui ne semble
mériter les hon-
neurs d’une vul-
garisation.
On sait, mais
nous le rappelle-
rons pour mé-
moire, qu’à l’ex-
emple des autres
cités grecques de
l’antiquité, celle
de Tanagra a
changé de nom
et que l’emplace-
ment qu’elle oc-
cupait jadis se
dénomme aujour-
d'hui Grimadha.
On sait aussi que
l’art tanagrêen ne
fut pas exclusive-
ment limité à la
seule ville de Ta-
nagra, qu’elle en
fut comme le cen-
tre autour duquel
rayonnaient d’au-
tres villes de
moindre impor-
tance dont les
noms pour celles
qui nous sont connues, sont : Aulis et Tisbé —
peut-être en découvrira-t-on d’autres — et que
toutes procédant des mêmes causes s’inspirèrent,
pour leurs productions, des mêmes éléments;de
telle sorte que, seule l’argile, cette production
du sol local, en diffère plus ou moins par la
nature de sa composition. Aussi est-ce à cette
variété de la matière initiale qu’on doit d’avoir
pu déterminer avec quelque certitude les carac-
tères particuliers à chacune de ces fabrica-
tions.
On sait aussi que, dans le but d’aider avec
plus de précision à l’élude des œuvres lana-
gréennes, on classe celles-ci en trois séries
distinctes.
La première, de beaucoup plus importante
que les deux autres, se rattache à la vie fami-
liale et commune. Ce sont des représentations
rie dames ou matrones, tantôt à l’allure majes-
tueuse et sévère, ou à la démarche pleine de
grâce et d’élégance; tantôt à l’attitude calme,
pensive ou empreinte de mélancolie; tantôt,
enfin, et comme par opposition à ces dernières,
à l’allure crâne et hardie, trahissant parfois une
désinvolture qu’à notre époque on qualifierait
de suggestive, tant la sveltesse des formes se
dessine sous les amples draperies tendues
d’étoffes souples qui les revêtent. Ce sont aussi
de gracieuses jeunes filles, prises dans leurs
promenades, leurs occupations ou leurs jeux.
Ce sont, enfin, des enfants, saisis dans toute
l’inconscience de leurs mouvements ou de leurs
cbats.
La seconde série, en nombre beaucoup plus
restreint que la première, a trait à la vie com-
mune et publique : artisans, marchands, acteurs,
pédagogues, histrions,dont l’interprétation, par-
fois, est poussée jusqu’à la caricature.
Quant à la troisième série, tous les sujets en
sont empruntés à la fable ; Silène, satyre, bac-
chante, Aphrodite, Léda, Éros, Hermès, Her-
cule enfant, etc.
Enfin, en outre des trois séries précédentes,
il reste à mentionner, plutôt pour mémoire, les
exemples en étant forL rares, l’interprétation
d’œuvres de la grande sculpture de l’époque,
mais qui, par ce fait de leur rareté ; n’inter-
viennent que comme exception, alors qu’au
contraire, et ainsi qu’on le verra plus loin, les
œuvres similaires tiennent une place impor-
tante dans les productions d’origine myri-
néenne.
De ces diverses productions, toutes intéres-
santes à certains points de vue, celles de la
première série le sont particulièrement, non
pas seulement par le nombre, mais par le
charme qui s’en dégage. Qu’on
les examine chacune dans leurs
détails ou qu’on les considère
dans leur ensemble : originalité
de conception, familiarité des
interprétations, naturel des
poses, élégance des formes, jus-
tesse des proportions, arrange-
ments savants des draperies et de la coiffure,
tout y est conçu et interprété avec une vérité,
parfois même avec une précision qui dénote
chez leurs auteurs l’existence d’un réel esprit
d’observation et le savoir d’une juste mesure
dans l’interprétation.
Dans son inspiration essentiellement familière
de la nature, sa vérité des altitudes et son exac-
titude des mouvements, c’est un art qui confine
au réalisme, mais un réalisme tempéré par une
sorte de poésie dans la pensée, qui fait se
mouvoir chacune de ces figurines exquises.
Une autre particularité propre à cetart, encore
énigmatique, csL celle par laquelle il nous appa-
raît comme créé tout d’une pièce, c’est-à-dire
sans apporter avec lui ni période embryonnaire,
ni époque primitive, de même qu’il disparaît
sans laisser de trace de décadence. Notons que
c'est là un fait qui n’a guère d’autre exemple
dans l’histoire que celui de l’art assyrien.
Mais que pouvait être tout ce petit peuple
d’argile, composé de femmes, de jeunes filles,
d’enfants et d’hommes, ayant chacun sa physio-
nomie, sa propre personnalité, et chacun por-
tant l’empreinte instantanée du rôle dans lequel
il se meut? A quelle destination tout ce petit
monde pouvait-il bien être voué, et est-il pos-
sible, comme on l’a écrit et soutenu, qu’ainsi
créé plein de vie, de grâce familière, de charme
et d'élégance, il ait été uniquement destiné à
être enfoui dans les tombeaux où on l’a
recueilli? Questions complexes et fort difficiles
à résoudre en l’absence de toute documentation
certaine.
C’est qu’en
effet, si les-
éléments
permettant
de se faire
une juste
apprécia-
tion du de-
gré d’art at-
teint par les
coroplastes
lanagréens,
abonde n t,
sous forme d’œuvres nombreuses, d’une exécu-
tion plus ou moins élevée, poussée ou achevée,
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS.
N" 220.