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IV 221

BULLETIN DE L’ART POUR TOUS

nombreux exemples, postérieurs il est vrai, où
la fantaisie des modèles s’est plu à symboliser
des personnages mythologiques, il apparaît
presque comme inévitable qu’un peuple, dont
la base fondamentale de son éducation artis-
tique reposait sur le cycle d’Homère et les
autres cycles poétiques qui s’en inspirèrent, ait
eu parfois, à côté des portraits, des velléités
d’en interpréter les personnages, et dans cet
ordre même les coroplastes tanagréens nous
montrent par certaines oeuvres qu’ils savaient
réussir.

Si on nous a suivi dans nos développements,
on a pu voir que, du fait même que nous préco-
nisons l’idée des portraits, nous avons fait la
démonstration que tout ce monde si divers de
figurines ne pouvait être ni des statuettes funé-
raires, dans le sens propre, ni des amulettes
protectrices et pas davantage des figures votives.
D’abord parce qu’elleséchappaient à tous les ca-
ractères de tradition propres à celles consacrées
à ces divers usages; ensuite, parce que, d’elles-
mêmes, elles réflètent une telle intensité d’une
vie vécue qu’on ne saurait les considérer que
comme autant de personnalités d’un peuple,
observé dans ses actes journaliers autant que
familiers.

Mais alors lout aussitôt cette aulre question
se pose : A quelle cause se rattache leur pré-
sence dans les tombeaux? Comme réponse,
voici l’explication qui nous en est donnée : La pré-
sence de ces statuettes n’est cpie la continuation
de celte tradition observée parles peuples de l’an-
tiquité et qui se manifesta surtout chez les Egyp-
tiens, prescrite qu’elle était pour eux par le Livre
des morts, et d’après laquelle on plaçait dans le
cercueil et parfois dans le corps même du dé-
funt de petites statuettes — désignées vulgaire-
ment aujourd’hui sous le nom de momies, —-
lesquelles avaient trois rôles parfaitement dis-
tincts : celui de divinités protectrices, celui de
personnifier le mort, sous forme de double ou
répondant, cas dans lequel, il est bon de le
remarquer, elles en étaient implicitement l’image,
celui, enfin; de leur constituer une société dans
la solitude du tombeau.

Or, si à première vue on considère simple-
ment la transmission d’une semblable tradition,

une telle attribution
aux terres cuites de
Tanagra n’apparaît
pas autrement anor-
male. Mais, dès
qu’on regarde de
plus près, on con-
state de suite qu’au-
cun de ces trois
rôles ne peut ration-
nellement leur con-
venir. Et en effet,
en ce qui concerne
le premier, la ma-
jeure partie de ce
que nous avons dit
a eu précisément
pour objet de dé-
montrer l’incompa-
tibilité d’une telle
destination avec le
caractère manifes-
tement profane de
ces figurines, et
nous pensons que
celte démonstration
a été faite. En ce
qui touche le se-
cond rôle, on ne saurait pas davantage s’y
arrêter, pour cette raison que dans un cas
semblable on aurait dû retrouver une quan-
tité de statuettes d’hommes à peu près équiva-
lente à celle de femmes, proportion qui, nous
l’avons dit, n’est, au contraire, que de un à dix ; et,
d’autre part, il ne serait rien moins qu’inscon-
scienl que de vouloir admettre que les Tana-
gréens aient pu donner comme doubles ou ré-
pondants des statuettes féminines à des morts

j masculins, leur civilisation était trop avancée
pour qu’on n’ait pas même à les soupçonner
d’une semblable hérésie. Enfin, quand au troi-
sième rôle qui, lui, pourrait peut-être avoir
quelque apparence de vérité, celle-ci se trouve
aussitôt détruite quand on s’arrête à cette simple
remarque : que nombre de ces statuettes ont
été, au moment même de la sépulture, brisées
intentionnellement, ce qui est attesté par ce fait
que pour beaucoup d’entre elles, alors qu’on

retrouve le corps d’un côté de la tombe, on
recueille les bras ou la tête de l’autre côté. Or,
dans la pensée de donner une société au dé-
funt, ç’eût été là, on en conviendra, lui fournir
une singulière compagnie que celle de tout ce
monde d’éclopés, de manchots et de décapités.

Dès lors, nous pensons que ce n’est ni si haut,
ni si loin qu’il fa-ut aller chercher l’explication
delà présence de ces statuettes dans les lombes,
et que si incontestablement cette présence
répondait à une coutume, puisqu’on en retrouve
des traces dans un très grand nombre de sépul-
tures, il nous apparaît que cette dernière était
née d’une pensée beaucoup plus simple en ce
qu’elle était beaucoup plus naturelle : celle d’un
suprême hommage rendu au défunt sous une
forme et dans un esprit que nous allons essayer
de définir.

Sans qu’il soit nécessaire de développer ici la
psychologie des lois de la nature humaine, on
sait qu’il est des sentiments qui, de ce qu’ils
sont innés avec elle, en sont parties intégrantes
parce qu’ils puisent leur origine dans la concep-
tion des phénomènes de la |vie. Or, ces mêmes
sentiments, tout étant, de par leur origine,
communs aux êtres de l’humanité et dès lors
susceptibles de se traduire en tous lieux et à
toutes époques, tendent à se manifester d’une
façon plus ou moins restreinte ou étendue, inter-
mittente oiricontinue, suivant les circonstances
et le milieu qui les favorisent.

Ce principe élant posé, point n'est besoin,
ici, d’interroger le passé, qui d'ailleurs reste
muet, pour définir la genèse d’une telle mani-
festation; il suffit simplement de considérer le
présent.

Et en effet, que se passc-l-il, quelle est notre
mentalité et à quel sentiment instinctif obéis-
sons-nous quand l’insatiable mort vient nous
ravir un être cher à notre affection?

Avec ou sans conviction, nous tenons à nous
bercer de cette illusion que dans l’insondable
inconnu où il est entré: il voit, qu’il sent, qu’il
se meut; illusion à laquelle nous voulons nous
rattacher parce qu’elle vient caresser nos aspi-
rations en nous faisant apparaître la séparation
comme moins irrémédiablement absolue. Alors,
sous la seule influence d’une impulsion native,
en ce qu’elle ne nous est dictée par aucune loi
ni commandée par aucune Iradilion, nous nous

faisons un pieux devoir d’ensevelir l’être qui'
nous quitte avec ceux des objets qu’il a le plus
affectionnés. Menus objets sans doute, mais-
uniquement parce que les proportions restreintes
de la sépulture n’autorisent pas de nos jours
qu’il en soit autrement. Objets hétérogènes
aussi, mais parce qu’il n’est pas pour nous
d’usage ou de coutume à suivre dans cet ordre
de choses, mais où cependant, on ne saurait le
méconnaître, prennent place le plus fréquem-
ment et instinctivement les portraits, en ce
qu’ils sont les images d’êtres que le défunt a
aimés, et qu’il nous apparaît que, même dans-
l’au delà, il pourra encore les considérer ;
quand, dans notre for intérieur, nous n’entrete-
nons pas encore cette secrète et superstitieuse
espérance, que nous osons à peine nous avouer,,
dans la crainte que nous avons de la détruire,,
qu’en agissant ainsi nous lui assurons une so-
ciété fidèle dans l’éternelle solitude où la mort

l’a précipité.

On conviendra qu’un tel sentiment, dans sa
spontanéité instinctive, dans son émanation
directe de ce qui pense et conçoit en nous, ne
saurait être le propre ni d’une époque, ni d’une
nationalité : il est du domaine de l’humanité et
sa transmission une hérédité. Aussi, à la forme
et à l’intensité près de sa manifestation, il n’est
pas de peuple, depuis les origines du monde
civilisé et à quelque époque qu’il puisse appar-
tenir, qui n’ait eu à la ressentir. Il a été, il est,
il demeurera, parce que, intangible, il n’est ni
évolution, ni révolution susceptible de l’anéan-
tir. Tout au plus, dans sa manifestation, certaines
mœurs peuvent-elles le circonscrire.

Ainsi défini, ce sentiment, cette impulsion
native explique, depuis l’antiquité la plus recu-
lée jusqu’à nos jours, la présencedans les sépul-
tures de cette multitude d'objets héléroclytes
autant qu’hétérogènes, parmi lesquels nécessai-
rement une large part doit être faite aux
croyances religieuses de chaque peuple, comme
aussi à la superstition innée de notre humanité,
croyanceset superstition auxquelles,en outrede
nombre d’objets, on doit avant tout les images
de divinités, les ex-voto, les fétiches et amulettes
dans leurs formes aussi multiples que variées.

Et alors, ainsi s’explique aussi, dans sa simpli-
cité naturelle et sans qu’il soit besoin ni de
légendes
scientifi-
ques, ni de
l’auréoler
de merveil-
leux, la pré-
sence dans
les tom-
beaux des
figurines
qui nous oc-
cupent, pré-
sence qui,
dans leur
caractère
d’im âges
d’êtres
chers ou
aimés, con-
stitue un su-
prême hom-
mage rendu
au défunt
par cette
inhumation
en effigies,
conjointe-
ment avec lui, de ceux qu’il avait affectionnés;
sorte d’holocauste expliquant à son tour le bris
intentionnel, au moment de la sépulture, de
nombre de ces terres cuites, ainsi que nous l’avons
mentionné. Et, particularité à noter, la coutume
en devait nécessairement rester localisée, du
fait même que sa condition d’exister n’était que
la conséquence d’un goût, d’une fantaisie ou
d’une frivolité né dans le milieu, lui-même cir-
conscrit, qu’était Tanagra. (A suivre).
 
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