N° 221
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
Saluons au départ la dernière œuvre du grand sta-
tuaire et peinlre Gérôme, Corinthe, groupe en
marbre polychromé, et jetons un simple coup d’œil
sur les superbes morceaux de sculptures de jardins.
Nous y reviendrons en détail dans un prochain
numéro.
De lout premier ordre, nous remarquons les œuvres
de Mercié, Becquet, Barrias, Cordonnier, Darbe-
feuille, un jeune qui, avec un Daphnis, groupe en
marbre de forme élégante, semble désigné pour une
haute récompense. Celte œuvre ferait admirable
figure dans un de nos musées nationaux. L’Enfant
martyr, de Labatut, attire de même l’attenlion géné-
rale... Mais le manque de place nous oblige à cesser
cette énumération, que nous reprendrons avec les
objets d'art, pastels, aquarelles et arts décoratifs.
A la Société Nationale des Beaux-Arts
On peut dire qu’à peu de différence près ce Salon
de la Nationale offre le même intérêt que celui de
l’année dernière : nous serions presque tenté de le
trouver inférieur, car nous n’avons pas retrouvé
l’émotion, la joie que certaines belles œuvres nous
avaient données. Par exemple, M. Albert Besnardqui,
l’année dernière, nous avait complètement séduit
avec le magnifique portrait de Mme Besnard, nous a
laissé froid cette année avec le portrait de la prin-
cesse Mathilde. C’est une œuvre presque sans carac-
tère, d’un éclairage désagréable et d’une facture quel-
conque.
M. Sargent, qui avait été aux nues avec les trois
jeunes filles sur un divan et méritait certes cet en-
thousiasme, nous a paru plus froid dans le grand
portrait sévère de Lord Ribblesdale. Ce portrait,
cependant, est peut-être plus académique, plus sa-
vant, mais par cela même moins charmeur.
M. Boldini s’est plu, cette année, à nous montrer
des femmes épileptiques ou névrosées, car il fautêtre
malade pour consentir à se laisser représenter en de
telles postures et de telle façon. Cependant ce sont
d’adorables morceaux de peinture d’un métier ex-
quis ! M. Boldini serait-il petit-fils d’Alcibiade?
M. La Gandara est triste, prétentieux à faire
crier. 11 faut cependant mettre à part le portrait de
M. J. Z,..., très étudié, très sincère et très ressem-
blant et d’un caractère tout spécial.
Mais que l’envoi de M. Blanche est donc admi-
rable! Que son portrait de M. Barrés est superbe!
On y lit la pensée et l’âme vibrante de l’auteur du
Jardin de Bérénice, dont M. Blanche a, d’ailleurs,
si finement compris l’esprit dans son Chérubin si
frêle et si expressif.
Dans cette note charmante et vibrante, nous de-
vons signaler deux superbes portraits de M. Lavery,
harmonieux et poétiques, un peu à la manière de
Lawrence.
M. Carolus Duran, dont nous avons admiré déjà
les portraits d’enfants à 1’ ^patant, a corsé son envoi
d’un superbe portrait de femme (brillant, somptueu-
sement chantant) et d’un Vieux marchand d'éponges
qui rappelle le Vieux liihographe de l’année der-
nière, encore plus réussi peut-être. M. Carolus Duran,
malgré les tendances actuelles, reste toujours lui-
même, et il faut l’en féliciter. C’est toujours le même
charme de la couleur, la même virtuosité dans l’exé-
cution, et, pour achever notre pensée, nous dirons
que M. Carolus Duran ne lave pas, ne décolore pas
sa palette.
Depuis bien des ans, M. Carrière nous sert des
peintures qui ressemblent à des dessins de gens
laids sur lesquels on aurait passé une brosse, et des
snobs prévenus se pâment d’aise devant ces attris-
tants spécimens de la nature humaine. Depuis huit
ou dix ans que nous fréquentons assidûment les
Expositions, nous nous arrêtons chaque fois devant
ces œuvres et cherchons, nous n’avons pas encore
compris ce grand art ténébreux. Pauvre nous !
Nous comprenons M. Caro Delvaille; sa grande
toile intitulée Ma femme et ses sœurs est fort capti-
vante; nous la préférons à l’autre, l'Été, un peu
lourde et chargée.
Bravo! M. Aman Jean. Votre décoration Confi-
dence est exquise; vous semblez avoir abandonné les
tendances trop impressionnistes qui tentaient de
gâter votre jolie palette.
M. Georges Desvallières, lui, gaspille en ce mo-
ment un talent fait d’études de premier ordre et de
dons superbes. Il se lance dans d’horribles impres-
sions... d’art. C’est comme une gageure de faire du
mauvais Manet, et, cependant, dans ce gâchis, quelle
richesse de couleur ! On dirait que M. Desvallières
peint avec des morceaux de pierres précieuses jux-
taposées.
Cottet, Lucien Simon, Rafaelli et bien d’autres
encore : des Bretons et Bretonnes. Il y en a pour
tous les goûts, au pardon, à l’église, aux bords de la
mer, dans l’herbe, sur la grève. Les coiffes bretonnes
tentent décidément tous nos- artistes; tous semblent
réussir à peindre ces braves gens, non seulement
avec leur aspect un peu sauvage, mais aussi à com-
prendre leur état d’âme naïf et fruste.
M. La Touche arrête toujours ; quel illusionniste !
quelle merveilleuse connaissance des effets de lu-
mière et quelle férié d’opposition !
M. Anquetin expose un superbe plafond, Renaud et
Armide. Quelle puissance! quel mouvement! quelle
difficulté de raccourcis ! C’est un des morceaux les
plus forts de la Nationale. M. Anquetin s’inspire visi-
blement de Rubens; on ne peut que l’en féliciter.
Nous aimons beaucoup moins le grand panneau
décoratif de M. Gervex, creux et prétentieux; com-
bien sa Vue de Venise lui est préférable, son nu est
fort joli.
M. Courtois est plus séduisant dans la facture de
ses portraits que dans son Appolino, scène grecque,
un peu trop arrangée d’une coloration trop dorée
et d’un aspect juteux. Cette toile est trop poussée.
M. Béraud obtient un succès énorme avec le Cercle,
où il a dépeint le profond ennui des clubmen.
Fort admirés les Roll, plus lumineux, plus harmo-
nieux que jamais.
Que M. Dagnan-Bouveret a donc un envoi savant,
mais combien triste! C’est à faire pleurer.
Jolis, jolis, les portraits de M. Abel Faivre.
De l’exposition de M. Aublet, ce sont ses Arabes
que nous préférons.
Une œuvre charmante, Devant la glace, de P. Car-
rier-Belleuse.
Il ne nous reste plus (car la place nous manque
pour détailler et étudier des œuvres encore intéres-
santes), qu’à signaler les noms des artistes en des
genres différents, dont les envois ont attiré et attire-
ront, selon nous, les amateurs : MM. Bunny, Henry
Bouvet, Maurice Courant, Delachaux, MI,e Delasalle,
Maurice Denis, Prinet, Walter,Gay, Dinet, Eliot,Friant,
Andreau, Flandrin, Georges Bertrand, Guirand de
Scévola, Invil], Francis Jourdain, Lebourg, Le Goût-
Gérard, Lerolle, Le Sidaner, Lhermilte, Madeline,
Paul Manceau, Ménard, Montenard, Moreau, Néla-
ton, Paillard, Paulsen, Pelecier, Prinss, Rosset-
Granger, J.-J. Rousseau, Saglio, Scharf, Thévenot,
Tournés, A. Truchet, Wéber, Mlle Villedieu.
Signalons aussi les pastels remarquables de
MM. Blanche, P. Carrier-Beileuse (qui expose six
petites merveilles d’une incomparable maîtrise), Du-
hem, Mme Gallay-Charbonnel, Mu“ Valentino, MM. In-
vill. Léchât., Le Goût-Gérard, Milcendeau, Prinss,
Roll, Lucien Simon, etc., etc.
Quelques mots seulement sur la sculpture : Tout a
été dit depuis un mois sur l’admirable Penseur, de
M. Rodin; c’est une œuvre merveilleuse qui ne peut,
cette fois, que susciter l’admiration. Il n’est pas pos-
sible de pousser plus loin l’expression, l’art du mo-
delé et la puissance dans la recherche des formes.
Peu de sculptures peuvent lutter devant un pareil
ouvrage.
M. Fix-Masseau se défend admirablement avec deux
superbes bustes : l'un en marbre, l’autre en terre
cuite. M. Fix-Masseau est un grand artiste!
M. Meunier lutte avec son Mineur.
Nous devons citer un groupe de Paul Melin et des
médaillons de bronze de Ringel d’Hlzach.
Nous parlerons, dans un prochain numéro, des
objets d’art, gravures et arts décoratifs de ce Salon.
Magda Foyot-D’Alvar.
CAUSERIE ARTISTIQUE
Il est des titres prestigieux ! Le Fils de l'Étoile, que
l’Opéra vient de représenter, semble, en effet, par
son titre seul, attirer et appeler particulièrement
l’attention. Un grand succès le consacrera, succès
d’ailleurs plus que justifié.
Une musique merveilleuse sur un poème plus mer-
veilleux encore! une œuvre bien française, bien com-
plète sur un poème qui entraîne et fait corps avec la
musique! Voilà qui est rare; bien des opérasanciens
(et même modernes) paraissent absolument démodés
ou insipides, malgré des pages musicales fort inté-
ressantes, parfois même superbes, mais qui ne peuvent
lutter avec des poèmes insensés et ridicules.
M. Catulle Mendès, encouragé sans doute par le
succès de la Reine Fiammette, n’a pas hésité à confier
son superbe poème du Fils de l'Étoile à M. Erlanger.
Il n’a pas lieu de s’en repentir, et si les vers sonores
et miraculeux, si la poésie ardente et fine de M. Ca-
tulle Mendès élèvent les âmes vers les sphères éthé-
rées du rêve et de l’illusion, la musique de M. Er-
langer l’accompagne d’une façon sonore et rayonnante
en en triplant la puissance ou l’intensité d’ex-
pression.
Tous les journaux ont dit le sujet du Fils de l’Étoile,
nouveau Messie attendu des Hébreux, succombant
sous le poids de la tyrannie et des débauches de
l’empereur Hadrien. 11 arrive enfin le prophète attendu,
le lys précurseur a fleuri...
Mais, hélas! les biens terrestres l’amolliront! Dans
l’amour de Séphora, la vierge tendre, il ne com-
prendra que la volupté de la chair et il la recherchera
intense et troublante dans les bras de l’enchanteresse
Lililh, que la victoire aura fait tomber captive en ses
mains.
De ses victoires même il ne gardera que l’orgueil
et l’ambition du guerrier, et, quand il se réveillera de
sa torpeur, il sera trop tard, les Romains seront aux
portes de la ville, le peuple d’Israël sera anéanti dans
un carnage sanglant, et lui-même, ruine humaine,
tombera parmi les ruines du Temple. Le Dieu n’était
qu’un homme !
Sur ce thème symbolique et profond, M. Erlanger
a écrit une musique enveloppante, parfois sublime,
dont les rythmes sont toujours on situation. Les
motifs de « l’Étoile du Lys », le thème de Baal, les
chants du prophète guerrier, ceux d’héroïsme et de
volupté, les imprécations de Lilith et la ronde mor-
tuaire, derniers cris des agonisants, sont autant de
pages saisissantes, tendres ou impétueuses, angois-
santes ou lugubres. Une telle œuvre, en somme, ne
découle d’aucune influence visible ; les savants y trou-
veront une rare érudition, les amateurs une rare sen-
sation d’envolée musicale qui les séduira sans les fa-
tiguer.
L’interprétation est à la hauteur de l’œuvre, c’est-
à-dire parfaite...
Mais ce qu’il faut dire, c’est le zèle, la science et le
sentiment profondément, splendidement artistique
que M. Gailhard a déployés pour monter cette œuvre
dificile à mettre en scène. Tout y est réglé avec un
soin, un goût et une magnificence que nul théâtre ne
pourrait songer à égaler. C’est surtout dans le ballet
(le rêve de Séphora) que M. Gailhard semble avoir
fait et vécu lui-même un rêve des Mille et une nuits...
que complètent les éblouissants costumes de M. Bian-
chini et les splendides décors de M. Amable.
En somme, grand, immense succès pour tous et
pour l’art français trop souvent peu compris chez
nous.
*
* *
L’Odéon, avec une pièce en vers de MM. Mar-
solleau et Maurice Soullié, le Roi galant, semble
aussi détenir la palme du succès.
C’est une pièce chevaleresque, joliment rimée avec
de beaux sentiments et de nobles pensées. Le roi
galant, comme bien vous pensez, c’est Henri IV,
amoureux, même au déclin de sa vie, d’une jeune de-
moiselle qui fait son entrée dans le monde : Char-
lotte de Montmorency. Il l’a fait épouser au prince
de Condé, espérant plus aisément en faire après sa
maîtresse. Mais il est déçu dans son espoir et tout
tourne à sa confusion, les époux s’aiment.
Un moment dépité, il songe à la vengeance, mais la
bonté prend aisément le dessus dans cette âme royale
et la mignonne princesse, par sa grâce, sa vertu et son
amour même pour son mari, coupe les ongles à ce
vieux lion amoureux.
En montant cette œuvre en vers, M. Ginisty a
prouvé qu'il se rappelait oue l’Odéon était le berceau
des tentatives en vers; il n’aura pas lieu de s’en plain-
dre, car il a eu la main heureuse, l’enfant grandira,
la pièce plaira à tous, pour diverses raisons: le lan-
gage est joli, le sujet attrayant et l’action intéressante,
pimpante et... honnête; joignez à cela une gracieuse
et spirituelle mise en scène, des décors jolis, c’est
plus qu’il n’en faut pour attirer tout Paris à l’Odéon.
F. A.
L’Art pour Tous — Numéro spécial — 2.
L’ŒUVRE DE LÉONARD DE VINCI
Nous préparons, pour les premiers mois du
deuxième semestre de l’année en cours, un
numéro spécial de Y Art pour Tous, dont le texte
et les planches seront entièrement consacrés à
l’œuvre de Léonard de Vinci: comme peintre,
dessinateur et caricaturiste.
Nous donnerons prochainement la nomencla-
ture de nos planches; toutes nos reproductions
seront faites d’après les meilleurs dessins de l’il-
lustre maître.
Nous accepterons avec plaisir toutes les com-
munications, sur ce sujet que croiraient devoir
nous faire nos abonnés, soit pour des particula-
rités, encore peu connues, de la vie du grand
artiste, soit qu'ils possèdent dans leurs collections
des œuvres à signaler, dont nous pourrions faire
faire des reproductions.
H. G.
CHEMINS DE FER DE PARIS-LYON-MÉDITERRANËE
TRAINS DK LUXE
entre
LONDRES, PARIS & LA COTE D’AZUR
A partir du 1“ mai, les trains de luxe Calais-Méditer-
ranée cesseront d’être quotidiens, mais continueront
d’être mis en marche dans les conditions suivantes :
1» Du l" au 15 mai, quatre fois par semaine, savoir :
Les lundis, mercredis, vendredis et dimanches, au
départ de Londres (9 heures du matin) et de Paris
(6 heures du soir).
Les dimanches, mardis, mercredis et vendredis, au
départ de Vintimille (2 h. 50 soir) et de Menton (3 h. 15
soir).
2° Du 16 au 21 mai, trois fois par semaine, savoir :
Les lundis, mercredis et vendredis, au départ de
Londres et de Paris;
Les mercredis, vendredis et dimanches, au départ de
Vintimille et de Menlon.
3° Du 22 au 31 mai, deux fois par semaine, savoir :
Les mercredis et vendredis, au départ de Londres et
de Paris;
Les mercredis et vendredis, au départ de Vintimille et
de Menton.
PROGRAMME DES SPECTACLES
Opéra........ P. N. Le Fils de l’étoile.
Comédie-Française. P. N. La plus faible.
Opéra-Comique. . . Le répertoire.
Odéon........ P. N. Le Roi galant.
Sarah-Bernhardt . . P. N. Varennes (P. Magnier).
Nouveautés.....La main passe.
Gaité.........LaMontansîer(Réjane,Coquelin)
Porte Saint-Martin. P. N. Electra (de Max).
Vaudeville...... La troisième lune.
Renaissance.....La Châtelaine.
Cluny......... Monsieur la Pudeur.
Tour' Eiffel. — Ouverte de 10 h. à la nuit. Restaurant.
Ascensions. Théâtre.
14702 — Librairies-Imprimeries réunies, rue Saint-Benoît, 7, Paris.— Motteroz, directeur.
Le Gérant : Motteroz.
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
Saluons au départ la dernière œuvre du grand sta-
tuaire et peinlre Gérôme, Corinthe, groupe en
marbre polychromé, et jetons un simple coup d’œil
sur les superbes morceaux de sculptures de jardins.
Nous y reviendrons en détail dans un prochain
numéro.
De lout premier ordre, nous remarquons les œuvres
de Mercié, Becquet, Barrias, Cordonnier, Darbe-
feuille, un jeune qui, avec un Daphnis, groupe en
marbre de forme élégante, semble désigné pour une
haute récompense. Celte œuvre ferait admirable
figure dans un de nos musées nationaux. L’Enfant
martyr, de Labatut, attire de même l’attenlion géné-
rale... Mais le manque de place nous oblige à cesser
cette énumération, que nous reprendrons avec les
objets d'art, pastels, aquarelles et arts décoratifs.
A la Société Nationale des Beaux-Arts
On peut dire qu’à peu de différence près ce Salon
de la Nationale offre le même intérêt que celui de
l’année dernière : nous serions presque tenté de le
trouver inférieur, car nous n’avons pas retrouvé
l’émotion, la joie que certaines belles œuvres nous
avaient données. Par exemple, M. Albert Besnardqui,
l’année dernière, nous avait complètement séduit
avec le magnifique portrait de Mme Besnard, nous a
laissé froid cette année avec le portrait de la prin-
cesse Mathilde. C’est une œuvre presque sans carac-
tère, d’un éclairage désagréable et d’une facture quel-
conque.
M. Sargent, qui avait été aux nues avec les trois
jeunes filles sur un divan et méritait certes cet en-
thousiasme, nous a paru plus froid dans le grand
portrait sévère de Lord Ribblesdale. Ce portrait,
cependant, est peut-être plus académique, plus sa-
vant, mais par cela même moins charmeur.
M. Boldini s’est plu, cette année, à nous montrer
des femmes épileptiques ou névrosées, car il fautêtre
malade pour consentir à se laisser représenter en de
telles postures et de telle façon. Cependant ce sont
d’adorables morceaux de peinture d’un métier ex-
quis ! M. Boldini serait-il petit-fils d’Alcibiade?
M. La Gandara est triste, prétentieux à faire
crier. 11 faut cependant mettre à part le portrait de
M. J. Z,..., très étudié, très sincère et très ressem-
blant et d’un caractère tout spécial.
Mais que l’envoi de M. Blanche est donc admi-
rable! Que son portrait de M. Barrés est superbe!
On y lit la pensée et l’âme vibrante de l’auteur du
Jardin de Bérénice, dont M. Blanche a, d’ailleurs,
si finement compris l’esprit dans son Chérubin si
frêle et si expressif.
Dans cette note charmante et vibrante, nous de-
vons signaler deux superbes portraits de M. Lavery,
harmonieux et poétiques, un peu à la manière de
Lawrence.
M. Carolus Duran, dont nous avons admiré déjà
les portraits d’enfants à 1’ ^patant, a corsé son envoi
d’un superbe portrait de femme (brillant, somptueu-
sement chantant) et d’un Vieux marchand d'éponges
qui rappelle le Vieux liihographe de l’année der-
nière, encore plus réussi peut-être. M. Carolus Duran,
malgré les tendances actuelles, reste toujours lui-
même, et il faut l’en féliciter. C’est toujours le même
charme de la couleur, la même virtuosité dans l’exé-
cution, et, pour achever notre pensée, nous dirons
que M. Carolus Duran ne lave pas, ne décolore pas
sa palette.
Depuis bien des ans, M. Carrière nous sert des
peintures qui ressemblent à des dessins de gens
laids sur lesquels on aurait passé une brosse, et des
snobs prévenus se pâment d’aise devant ces attris-
tants spécimens de la nature humaine. Depuis huit
ou dix ans que nous fréquentons assidûment les
Expositions, nous nous arrêtons chaque fois devant
ces œuvres et cherchons, nous n’avons pas encore
compris ce grand art ténébreux. Pauvre nous !
Nous comprenons M. Caro Delvaille; sa grande
toile intitulée Ma femme et ses sœurs est fort capti-
vante; nous la préférons à l’autre, l'Été, un peu
lourde et chargée.
Bravo! M. Aman Jean. Votre décoration Confi-
dence est exquise; vous semblez avoir abandonné les
tendances trop impressionnistes qui tentaient de
gâter votre jolie palette.
M. Georges Desvallières, lui, gaspille en ce mo-
ment un talent fait d’études de premier ordre et de
dons superbes. Il se lance dans d’horribles impres-
sions... d’art. C’est comme une gageure de faire du
mauvais Manet, et, cependant, dans ce gâchis, quelle
richesse de couleur ! On dirait que M. Desvallières
peint avec des morceaux de pierres précieuses jux-
taposées.
Cottet, Lucien Simon, Rafaelli et bien d’autres
encore : des Bretons et Bretonnes. Il y en a pour
tous les goûts, au pardon, à l’église, aux bords de la
mer, dans l’herbe, sur la grève. Les coiffes bretonnes
tentent décidément tous nos- artistes; tous semblent
réussir à peindre ces braves gens, non seulement
avec leur aspect un peu sauvage, mais aussi à com-
prendre leur état d’âme naïf et fruste.
M. La Touche arrête toujours ; quel illusionniste !
quelle merveilleuse connaissance des effets de lu-
mière et quelle férié d’opposition !
M. Anquetin expose un superbe plafond, Renaud et
Armide. Quelle puissance! quel mouvement! quelle
difficulté de raccourcis ! C’est un des morceaux les
plus forts de la Nationale. M. Anquetin s’inspire visi-
blement de Rubens; on ne peut que l’en féliciter.
Nous aimons beaucoup moins le grand panneau
décoratif de M. Gervex, creux et prétentieux; com-
bien sa Vue de Venise lui est préférable, son nu est
fort joli.
M. Courtois est plus séduisant dans la facture de
ses portraits que dans son Appolino, scène grecque,
un peu trop arrangée d’une coloration trop dorée
et d’un aspect juteux. Cette toile est trop poussée.
M. Béraud obtient un succès énorme avec le Cercle,
où il a dépeint le profond ennui des clubmen.
Fort admirés les Roll, plus lumineux, plus harmo-
nieux que jamais.
Que M. Dagnan-Bouveret a donc un envoi savant,
mais combien triste! C’est à faire pleurer.
Jolis, jolis, les portraits de M. Abel Faivre.
De l’exposition de M. Aublet, ce sont ses Arabes
que nous préférons.
Une œuvre charmante, Devant la glace, de P. Car-
rier-Belleuse.
Il ne nous reste plus (car la place nous manque
pour détailler et étudier des œuvres encore intéres-
santes), qu’à signaler les noms des artistes en des
genres différents, dont les envois ont attiré et attire-
ront, selon nous, les amateurs : MM. Bunny, Henry
Bouvet, Maurice Courant, Delachaux, MI,e Delasalle,
Maurice Denis, Prinet, Walter,Gay, Dinet, Eliot,Friant,
Andreau, Flandrin, Georges Bertrand, Guirand de
Scévola, Invil], Francis Jourdain, Lebourg, Le Goût-
Gérard, Lerolle, Le Sidaner, Lhermilte, Madeline,
Paul Manceau, Ménard, Montenard, Moreau, Néla-
ton, Paillard, Paulsen, Pelecier, Prinss, Rosset-
Granger, J.-J. Rousseau, Saglio, Scharf, Thévenot,
Tournés, A. Truchet, Wéber, Mlle Villedieu.
Signalons aussi les pastels remarquables de
MM. Blanche, P. Carrier-Beileuse (qui expose six
petites merveilles d’une incomparable maîtrise), Du-
hem, Mme Gallay-Charbonnel, Mu“ Valentino, MM. In-
vill. Léchât., Le Goût-Gérard, Milcendeau, Prinss,
Roll, Lucien Simon, etc., etc.
Quelques mots seulement sur la sculpture : Tout a
été dit depuis un mois sur l’admirable Penseur, de
M. Rodin; c’est une œuvre merveilleuse qui ne peut,
cette fois, que susciter l’admiration. Il n’est pas pos-
sible de pousser plus loin l’expression, l’art du mo-
delé et la puissance dans la recherche des formes.
Peu de sculptures peuvent lutter devant un pareil
ouvrage.
M. Fix-Masseau se défend admirablement avec deux
superbes bustes : l'un en marbre, l’autre en terre
cuite. M. Fix-Masseau est un grand artiste!
M. Meunier lutte avec son Mineur.
Nous devons citer un groupe de Paul Melin et des
médaillons de bronze de Ringel d’Hlzach.
Nous parlerons, dans un prochain numéro, des
objets d’art, gravures et arts décoratifs de ce Salon.
Magda Foyot-D’Alvar.
CAUSERIE ARTISTIQUE
Il est des titres prestigieux ! Le Fils de l'Étoile, que
l’Opéra vient de représenter, semble, en effet, par
son titre seul, attirer et appeler particulièrement
l’attention. Un grand succès le consacrera, succès
d’ailleurs plus que justifié.
Une musique merveilleuse sur un poème plus mer-
veilleux encore! une œuvre bien française, bien com-
plète sur un poème qui entraîne et fait corps avec la
musique! Voilà qui est rare; bien des opérasanciens
(et même modernes) paraissent absolument démodés
ou insipides, malgré des pages musicales fort inté-
ressantes, parfois même superbes, mais qui ne peuvent
lutter avec des poèmes insensés et ridicules.
M. Catulle Mendès, encouragé sans doute par le
succès de la Reine Fiammette, n’a pas hésité à confier
son superbe poème du Fils de l'Étoile à M. Erlanger.
Il n’a pas lieu de s’en repentir, et si les vers sonores
et miraculeux, si la poésie ardente et fine de M. Ca-
tulle Mendès élèvent les âmes vers les sphères éthé-
rées du rêve et de l’illusion, la musique de M. Er-
langer l’accompagne d’une façon sonore et rayonnante
en en triplant la puissance ou l’intensité d’ex-
pression.
Tous les journaux ont dit le sujet du Fils de l’Étoile,
nouveau Messie attendu des Hébreux, succombant
sous le poids de la tyrannie et des débauches de
l’empereur Hadrien. 11 arrive enfin le prophète attendu,
le lys précurseur a fleuri...
Mais, hélas! les biens terrestres l’amolliront! Dans
l’amour de Séphora, la vierge tendre, il ne com-
prendra que la volupté de la chair et il la recherchera
intense et troublante dans les bras de l’enchanteresse
Lililh, que la victoire aura fait tomber captive en ses
mains.
De ses victoires même il ne gardera que l’orgueil
et l’ambition du guerrier, et, quand il se réveillera de
sa torpeur, il sera trop tard, les Romains seront aux
portes de la ville, le peuple d’Israël sera anéanti dans
un carnage sanglant, et lui-même, ruine humaine,
tombera parmi les ruines du Temple. Le Dieu n’était
qu’un homme !
Sur ce thème symbolique et profond, M. Erlanger
a écrit une musique enveloppante, parfois sublime,
dont les rythmes sont toujours on situation. Les
motifs de « l’Étoile du Lys », le thème de Baal, les
chants du prophète guerrier, ceux d’héroïsme et de
volupté, les imprécations de Lilith et la ronde mor-
tuaire, derniers cris des agonisants, sont autant de
pages saisissantes, tendres ou impétueuses, angois-
santes ou lugubres. Une telle œuvre, en somme, ne
découle d’aucune influence visible ; les savants y trou-
veront une rare érudition, les amateurs une rare sen-
sation d’envolée musicale qui les séduira sans les fa-
tiguer.
L’interprétation est à la hauteur de l’œuvre, c’est-
à-dire parfaite...
Mais ce qu’il faut dire, c’est le zèle, la science et le
sentiment profondément, splendidement artistique
que M. Gailhard a déployés pour monter cette œuvre
dificile à mettre en scène. Tout y est réglé avec un
soin, un goût et une magnificence que nul théâtre ne
pourrait songer à égaler. C’est surtout dans le ballet
(le rêve de Séphora) que M. Gailhard semble avoir
fait et vécu lui-même un rêve des Mille et une nuits...
que complètent les éblouissants costumes de M. Bian-
chini et les splendides décors de M. Amable.
En somme, grand, immense succès pour tous et
pour l’art français trop souvent peu compris chez
nous.
*
* *
L’Odéon, avec une pièce en vers de MM. Mar-
solleau et Maurice Soullié, le Roi galant, semble
aussi détenir la palme du succès.
C’est une pièce chevaleresque, joliment rimée avec
de beaux sentiments et de nobles pensées. Le roi
galant, comme bien vous pensez, c’est Henri IV,
amoureux, même au déclin de sa vie, d’une jeune de-
moiselle qui fait son entrée dans le monde : Char-
lotte de Montmorency. Il l’a fait épouser au prince
de Condé, espérant plus aisément en faire après sa
maîtresse. Mais il est déçu dans son espoir et tout
tourne à sa confusion, les époux s’aiment.
Un moment dépité, il songe à la vengeance, mais la
bonté prend aisément le dessus dans cette âme royale
et la mignonne princesse, par sa grâce, sa vertu et son
amour même pour son mari, coupe les ongles à ce
vieux lion amoureux.
En montant cette œuvre en vers, M. Ginisty a
prouvé qu'il se rappelait oue l’Odéon était le berceau
des tentatives en vers; il n’aura pas lieu de s’en plain-
dre, car il a eu la main heureuse, l’enfant grandira,
la pièce plaira à tous, pour diverses raisons: le lan-
gage est joli, le sujet attrayant et l’action intéressante,
pimpante et... honnête; joignez à cela une gracieuse
et spirituelle mise en scène, des décors jolis, c’est
plus qu’il n’en faut pour attirer tout Paris à l’Odéon.
F. A.
L’Art pour Tous — Numéro spécial — 2.
L’ŒUVRE DE LÉONARD DE VINCI
Nous préparons, pour les premiers mois du
deuxième semestre de l’année en cours, un
numéro spécial de Y Art pour Tous, dont le texte
et les planches seront entièrement consacrés à
l’œuvre de Léonard de Vinci: comme peintre,
dessinateur et caricaturiste.
Nous donnerons prochainement la nomencla-
ture de nos planches; toutes nos reproductions
seront faites d’après les meilleurs dessins de l’il-
lustre maître.
Nous accepterons avec plaisir toutes les com-
munications, sur ce sujet que croiraient devoir
nous faire nos abonnés, soit pour des particula-
rités, encore peu connues, de la vie du grand
artiste, soit qu'ils possèdent dans leurs collections
des œuvres à signaler, dont nous pourrions faire
faire des reproductions.
H. G.
CHEMINS DE FER DE PARIS-LYON-MÉDITERRANËE
TRAINS DK LUXE
entre
LONDRES, PARIS & LA COTE D’AZUR
A partir du 1“ mai, les trains de luxe Calais-Méditer-
ranée cesseront d’être quotidiens, mais continueront
d’être mis en marche dans les conditions suivantes :
1» Du l" au 15 mai, quatre fois par semaine, savoir :
Les lundis, mercredis, vendredis et dimanches, au
départ de Londres (9 heures du matin) et de Paris
(6 heures du soir).
Les dimanches, mardis, mercredis et vendredis, au
départ de Vintimille (2 h. 50 soir) et de Menton (3 h. 15
soir).
2° Du 16 au 21 mai, trois fois par semaine, savoir :
Les lundis, mercredis et vendredis, au départ de
Londres et de Paris;
Les mercredis, vendredis et dimanches, au départ de
Vintimille et de Menlon.
3° Du 22 au 31 mai, deux fois par semaine, savoir :
Les mercredis et vendredis, au départ de Londres et
de Paris;
Les mercredis et vendredis, au départ de Vintimille et
de Menton.
PROGRAMME DES SPECTACLES
Opéra........ P. N. Le Fils de l’étoile.
Comédie-Française. P. N. La plus faible.
Opéra-Comique. . . Le répertoire.
Odéon........ P. N. Le Roi galant.
Sarah-Bernhardt . . P. N. Varennes (P. Magnier).
Nouveautés.....La main passe.
Gaité.........LaMontansîer(Réjane,Coquelin)
Porte Saint-Martin. P. N. Electra (de Max).
Vaudeville...... La troisième lune.
Renaissance.....La Châtelaine.
Cluny......... Monsieur la Pudeur.
Tour' Eiffel. — Ouverte de 10 h. à la nuit. Restaurant.
Ascensions. Théâtre.
14702 — Librairies-Imprimeries réunies, rue Saint-Benoît, 7, Paris.— Motteroz, directeur.
Le Gérant : Motteroz.