BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
N° 223
Il n’y a pas seulement là, de la part de ceux
qui se livrent à de tels maquillages, un défaut
complet de connaissances mais encore une ab-
sence totale de goût. On n’y rencontre ni le plus
maigre souci de la vérité, ni la mointre préoc-
cupation de l’exactitude. Etcomment en pourrait
il être autrement quand les auteurs en ignorent
eux-mêmes les plus élémentaires notions. Aussi
le résultat n’est-il que ce qu’il peut être : une
parodie grotesque de la vérité. Et quant aux
conséquences, on peut soi-même les supputer.
Notre conclusion est donc que de tels éléments
ne sont pas à encourager.
Et pourtant ces sortes de fac-similé, sans
être chose absolument facile, ne présentent
cependant pas de bien grandes difficultés. Mais
pour les obtenir, très sincères et bien conformes
au modèle, il faut avant tout procéder avec mé-
thode et ne pas tenter d’esquiver certaines par-
ties du travail pour demander à la fin de l’opé-
ration ce qui doit être obtenu au commencement
et inversement, car en aucun cas le résultat ne
saurait être satisfaisant.
(.4 suivre).
NÉCROLOGIE
Notre Directeur, M. Henry Guédv, vient d’avoir
la grande douleur de perdre son frère M. René
Guédy, décédé à trente-deux ans. M. René
Guédy, ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts
où il avait obtenu de hautes récompenses,
exposait depuis quelques années au Salon des
peintures de fleurs qui furent souvent remar-
quées. En dehorsde ces travaux, il avait bien
voulu nous exécuter quelques dessins qui se
distinguaient par une grande minutie d’exécution
et un joli cachet artistique. De même, il avait
illustré les nombreux ouvrages scientifiques du
professeur Poirrier et du docteur Broca. Notre
collaborateur était officier d’Académie, et son
talent lui permettait d’espérer très prochaine-
ment de nouvelles récompenses.
NOTICE HISTORIQUE SUR L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN
en. France
Par Henry Guédy
Suite (1)
Voici donc résumée l’opinion de ceux qui
veulent des professeurs artistes. M. Roger Millès
a derrière lui tous les artistes et tous" ceux qui
veulent relever le niveau du professoraL du
dessin. Avant d’exprimer si franchement son
opinion, M. Roger Millès a dû voir, comme nous
l’avons vu bien souvent, des artistes de valeur,
élèves de l’école des Beaux-Arts, admis et récom-
pensés au Salon, être refusés à l’examen du pro-
i'essorat sur une question de mathématiques ou
de proportions, malgré leur note maximum en
dessin; tandis que des candidats qui n’avaient
aucune valeur au point de vue artistique étaient
admis grâce aux épreuves scientifiques.
Mais notre devoir est de donner dans celte
discussion une opinion différente; nous donne-
rons donc l’avis de M. Relier.
Le grief principal invoqué contre les profes-
seurs de dessin est, dit M. Relier, qu’ils n’expo-
sent pas aux Salons. Ge n’est pas un argument
pour prouver qu’ils sont mauvais professeurs;
car on voudra bien accepter, avant toutes expli-
cations, que la réalisation d’un tableau ou de
toute oeuvre d’art est différente de ce qu’on est
appelé à faire dans l’enseignement. D’ailleurs, il
y a une chose sur laquelle on se trompe, et qui
pourrait être affirmée par les intéressés eux-
mêmes, c’est qu’un certain nombre de grands
artistes, aujourd’hui à la tète de notre art natio-
nal, ont été souvent des professeurs bien peu
capables d’éveiller au culte de la forme pure les
jeunes esprits qui leur étaient confiés, et cepen-
dant peut-on les accuser de manquer de goût et
d’art?
Ces grands artistes, en général, sont incapa-
bles d’un effort partout soutenu; s’ils font de
l’art, c’est au détriment de l’enseignement; s'ils
font de l’enseignement, c’est au détriment de
l’art.
Presque toujours, le modeste professeur, dont
la foi est en raison inverse de l’importance de sa
situation, obtient des résultats qu on n oserait
(1) Voir l’Art pour tous, n° de juin 1901.
espérer. Mais c’est celui-ci qu’on poursuit de
tous les anathèmes; il est obligé de vivre dans
un petit trou de province, petit traitement,
beaucoup de travail, pas une minute pour songer
à ses travaux personnels; il a fait des sacrifices
pour subir des examens difficiles et longs à pré-
parer et, pour tout cela, pour la science qu’il
dépense, pour l’amour-qu’il apporte à remplir sa
fonction, il n’éprouve que le dédain lamentable
des élèves et les critiques sévères et injustes
qu’il ne mérite pas.
On ne doit pas lui reprocher la science qu’il
possède, il faut le dire bien haut. C’est vieux jeu
de croire que le rôle du professeur consiste à
corriger tout simplement un dessin; son rôle
n’est plus là seulement; il faut qu’il enseigne à
voir, à traduire, à comprendre et à raisonner.
Où serait donc la raison, si un artiste ignorant
des lois de la perspective de la décoration, des
ombres, du dessin, de l’histoire de l’art, de
l’anatomie et de Lant d’autres choses, se mêlait
de professer? Chacun son métier; nous tenons
que le professeur de dessin est dans son genre
aussi utile que l’artiste; tous deux suivent des
voies absolument distinctes, où il faut des qua-
lités si différentes et si diverses que leur entière
possession n’existe pas, et qu’elle se limite for-
cément à un petit nombre d’entre elles.
C’est pour cela, dit M. Relier en matière de
conclusion, que les examens sont nécessaires;
c’est encore le meilleur moyen d’arriver à cons-
tater l’aptitude des candidats à la profession fort
difficile de professeur de dessin. Si on demande
à ces candidats de justifier de connaissances
précises sur certains points, c’est moins sur le
détail particulier qu’on cherche à en faire la
constatation que sur la netteté d’esprit, de mé-
thode et de principes qu’on doit rencontrer chez
le futur professeur. Il suffit, pour se convaincre
de celte nécessité, d’assister à un examen où,
soit dit en passant, le dessin artistique compte
bien pour quelque chose, mais où les qualités
d’esprit, de netteté et de précision se retrouvent
aussi bien dans le dessin de figure que dans une
épure géométrique.
Si nous avons cité deux opinions toutes
récentes, la lutte est cependant ancienne;
M. Lecoq de Boisbaudran, ancien directeur de
l’Ecole des Beaux-Arts, qui préférait des profes-
seurs pédagogues à des artistes, s’exprimait
ainsi : « 11 y a, disait-il, entre le professeur et
l’artiste exécutant un point de différence fonda-
mental, et l’on a tort de croire qu’un professeur
de dessin qui se livre tout entier à son ensei-
gnement et lui sacrifie jusqu’à son désir de pro-
duire est un artiste avorté, une sorte de fruit
sec de l'art.
« L’artiste peut être exclusif, injuste dans ses
opinions. Il peut, il doit croire posséder seul la
vérité de l’art. Il y a là souvent pour lui une
conviction passionnée qui fait sa force. Mais
qu’on essaie de donner, par la pensée, au pro-
fesseur ce genre de force et de passion, et l’on
comprendra combien rapidement le jeune élève,
dominé, subjugué, perdra tous les caractères,
toutes les délicatesses de sa nature : peut-être
pourra-t-il acquérir du talent, mais ce sera le
talent de son maître.
« Le véritable professeur doit écarter de ses
jugements l’esprit systématique. Loin de paraître
s'atlacher à une seule conception de l’art, il lui
faut comprendre toutes celles qui se sont déjà
produites et accueillir chez ses élèves tous les
nouveaux modes d’expression qui peuvent se
produire encore ; surtout il ne leur proposera
jamais son propre exemple, car plus il saura
paraître impersonnel, mieux il assurera leur
personnalité.
« Que l’on comprenne donc ce que la fonction
du professeur de dessin exige d’abnégation, de
dévouement, de savoir, d’élévation dans les
idées et qu'on lui accorde enfin l’estime qu’elle
mérite. C’est d’ailleurs l’un des moyens indis-
pensables pour régénérer l’enseignement et, par
suite, l’art lui-même. »
Nous terminons ici nos citations, elles sont
assez longues pour bien montrer les deux opi-
nions qui se trouvent en présence ; si nous avons
voulu laire connaître cette différence de vues,
c’est que la lutte qui en résulte est nuisible à
l’enseignement du dessin et au recrutement des
professeurs. Notre opinion personnelle est que
ceux qui réclament des professeurs pédagogues
ne font pas assez de concessions à l’art véritable
dans les examens du professorat, et lorsqu’ils
réclament ces professeurs pour les lycées et
collèges, ils ne sont pas dans la bonne voie; la
meilleure preuve sera de montrer en exemple
notre Ecole des Beaux-Arts, où les professeurs
sont tous de grands artistes reconnus et consa-
crés. Nous savons bien qu’il existe une énorme
dispropor.ion au point de vue artistique entre un
atelier de l’Ecole et une classe de lycée; mais
toutes proportions gardées, si un grand artiste
enseigne avec succès à l’Ecole, un artiste peut
bien enseigner dans les lycées. S’il ne faut pas
un pédadogue à la tôle, il n’en faut pas non plus,
et à plus forte raison, dans des postes subal-
ternes; car souvenons-nous bien que le profes-
seur de dessin au lycée est professeur de dessin
d'imitation et non professeur de perspective.
Nous savons que de nombreuses critiques ont
été faites au sujet des maîtres qui dirigent les
Ecoles des Beaux-Arts; mais par qui veut-on
les remplacer auprès des élèves, et qui pourra
leur apprendre le beau si ce n’est ceux qui
le comprennent et ressentent les impressions
vraies de la nature? Le reproche, nous le con-
naissons tous ; les élèves d’un même atelier
voient de la même manière que leur maître;
mais comment y remédier? Le meilleur remède
ferait encore plus de mal, car si on enlevait des
ateliers de l’Ecole les hommes éminents qui les
dirigent, sous prétexte que leur enseignement
manque d’éclectisme ou de science pure, on ne
trouverait certainement pas dans toutes les
j bonnes volontés, fussent-elles mêmes diplômées
| de tous les certificats, des professeurs capables
de les remplacer et c’est encore à des artistes
qu'il faudrait revenir.
Ce qu'il faut donc, à notre avis, c’est revoir le
programme des examens du professoial, afin
d’abaisser le niveau des épreuves scienlifiques
et relever celles de dessin, qui doivent tout
primer. Il n’y aurait du reste qu’à copier l’examen
d’admission à l’Ecole des Beaux-Arts; ce
concours, que l’on pourrait élever d’un degré,
donnerait toutes les garanties : il comprend, en
effet, des épreuves de dessin d’anatomie, de
perspective, d’architecture et d’histoire; mais
pour toutes ces épreuves le coefficient de la
note de dessin est le plus élevé. On pourrait
aussi élever le minimum éliminaloiredes épreuves
que nous venons de signaler, mais en laissant
toujours la partie artistique comme partie prin-
cipale de l’examen. On assurerait ainsi un bien
meilleur recrutement des professeurs; car il ne
faut pas, à notre avis, continuer à éloigner de la
carrière des jeunes gens foncièrement artistes,
qu’un programme scientifique trop chargé
I rebute, soit qu’une instruction trop sommaire ne
leur permettre pas d’apprendre avec autant de
facilité que d’autres, soit encore que des choses
abstraites, comme la perspective, ne soient pas
de leur goût (et cela est très pardonnable chez
des artistes), ce qui n’empêche pas de com-
prendre le beau et de savoir l’enseigner; nous
en avons bien des exemples chez nos maîtres
les plus réputés aujourd’hui.
EXAMENS DE LA VILLE DE PARIS
HISTORIQUE
Le dessin a toujours été compris au nombre
des matières de l’enseignement dans les écoles
de la Ville de Paris; mais l’organisation régu-
lière des classes de dessin, confiées à des pro-
fesseurs spéciaux, ne date que de 1865. Avant
cette époque, l’enseignement des classes
d’adultes avait lieu dans des salles étroites,
basses, enfumées, mal éclairées, et il fallait aux
! élèves un grand désir d’apprendre pour que ces
) cours donnent des résultats. En outre, les mo-
! dèles, en très petit nombre, étaient presque tous
i du plus mauvais goût, et clans deux ou trois
classes seulement on dessinait d’après la bosse.
C’élail le professeur qui était chargé de recevoir
et d’inscrire les élèves, c’élail lui qui distribuait
les modèles, mettait de l’ordre dans la classe;
cela deux heures, trois fois parsemaine. Il rece-
vait alors pour payement une indemnité de
10 francs par élève et par an ; de sorte que pour
le même service, le traitement variait de 300 fr.
à 1500 francs; car les jours de mauvais temps,
sur 100élèves, 95 restaient chez eux, et le pro-
fesseur se trouvait avoir5 élèves. En pareil cas,
une leçon lui rapportait 0 fr. 35. Ce système de
payement, qui était sans doute établi en vue
d’encourager les maîtres, produisait bien sou-
vent l’effet contraire, au moins pour un certain
nombre d’entre eux. Aussi, dès 1863, la Ville de
Paris, habituée à prendre l’initiative, exprima
le vœu de voir nommer une Commission char-
! gée de préparer les bases d’une réorganisation
complète de l’enseignement du dessin et du re-
crutement des professeurs.
Cette Commission, présidée par M. Dumas,
président du Conseil municipal, et composée
du comLe de Nieuwerkerke et de MM. Merruau,
Baltard, Demère, Gérôme, marquis de Laborde,
soumit au préfet un projet d’organisation sur les
principes suivants :
j Ouverture de sessions annuelles d’examens à
| la suite desquelles serait délivré un diplôme
! pour les professeurs hommes et pour les profes-
seurs femmes. — Division de l’enseignement en
enseignement cl’art et en enseignement géomé-
trique. — Recherche et création de nouveaux
N° 223
Il n’y a pas seulement là, de la part de ceux
qui se livrent à de tels maquillages, un défaut
complet de connaissances mais encore une ab-
sence totale de goût. On n’y rencontre ni le plus
maigre souci de la vérité, ni la mointre préoc-
cupation de l’exactitude. Etcomment en pourrait
il être autrement quand les auteurs en ignorent
eux-mêmes les plus élémentaires notions. Aussi
le résultat n’est-il que ce qu’il peut être : une
parodie grotesque de la vérité. Et quant aux
conséquences, on peut soi-même les supputer.
Notre conclusion est donc que de tels éléments
ne sont pas à encourager.
Et pourtant ces sortes de fac-similé, sans
être chose absolument facile, ne présentent
cependant pas de bien grandes difficultés. Mais
pour les obtenir, très sincères et bien conformes
au modèle, il faut avant tout procéder avec mé-
thode et ne pas tenter d’esquiver certaines par-
ties du travail pour demander à la fin de l’opé-
ration ce qui doit être obtenu au commencement
et inversement, car en aucun cas le résultat ne
saurait être satisfaisant.
(.4 suivre).
NÉCROLOGIE
Notre Directeur, M. Henry Guédv, vient d’avoir
la grande douleur de perdre son frère M. René
Guédy, décédé à trente-deux ans. M. René
Guédy, ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts
où il avait obtenu de hautes récompenses,
exposait depuis quelques années au Salon des
peintures de fleurs qui furent souvent remar-
quées. En dehorsde ces travaux, il avait bien
voulu nous exécuter quelques dessins qui se
distinguaient par une grande minutie d’exécution
et un joli cachet artistique. De même, il avait
illustré les nombreux ouvrages scientifiques du
professeur Poirrier et du docteur Broca. Notre
collaborateur était officier d’Académie, et son
talent lui permettait d’espérer très prochaine-
ment de nouvelles récompenses.
NOTICE HISTORIQUE SUR L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN
en. France
Par Henry Guédy
Suite (1)
Voici donc résumée l’opinion de ceux qui
veulent des professeurs artistes. M. Roger Millès
a derrière lui tous les artistes et tous" ceux qui
veulent relever le niveau du professoraL du
dessin. Avant d’exprimer si franchement son
opinion, M. Roger Millès a dû voir, comme nous
l’avons vu bien souvent, des artistes de valeur,
élèves de l’école des Beaux-Arts, admis et récom-
pensés au Salon, être refusés à l’examen du pro-
i'essorat sur une question de mathématiques ou
de proportions, malgré leur note maximum en
dessin; tandis que des candidats qui n’avaient
aucune valeur au point de vue artistique étaient
admis grâce aux épreuves scientifiques.
Mais notre devoir est de donner dans celte
discussion une opinion différente; nous donne-
rons donc l’avis de M. Relier.
Le grief principal invoqué contre les profes-
seurs de dessin est, dit M. Relier, qu’ils n’expo-
sent pas aux Salons. Ge n’est pas un argument
pour prouver qu’ils sont mauvais professeurs;
car on voudra bien accepter, avant toutes expli-
cations, que la réalisation d’un tableau ou de
toute oeuvre d’art est différente de ce qu’on est
appelé à faire dans l’enseignement. D’ailleurs, il
y a une chose sur laquelle on se trompe, et qui
pourrait être affirmée par les intéressés eux-
mêmes, c’est qu’un certain nombre de grands
artistes, aujourd’hui à la tète de notre art natio-
nal, ont été souvent des professeurs bien peu
capables d’éveiller au culte de la forme pure les
jeunes esprits qui leur étaient confiés, et cepen-
dant peut-on les accuser de manquer de goût et
d’art?
Ces grands artistes, en général, sont incapa-
bles d’un effort partout soutenu; s’ils font de
l’art, c’est au détriment de l’enseignement; s'ils
font de l’enseignement, c’est au détriment de
l’art.
Presque toujours, le modeste professeur, dont
la foi est en raison inverse de l’importance de sa
situation, obtient des résultats qu on n oserait
(1) Voir l’Art pour tous, n° de juin 1901.
espérer. Mais c’est celui-ci qu’on poursuit de
tous les anathèmes; il est obligé de vivre dans
un petit trou de province, petit traitement,
beaucoup de travail, pas une minute pour songer
à ses travaux personnels; il a fait des sacrifices
pour subir des examens difficiles et longs à pré-
parer et, pour tout cela, pour la science qu’il
dépense, pour l’amour-qu’il apporte à remplir sa
fonction, il n’éprouve que le dédain lamentable
des élèves et les critiques sévères et injustes
qu’il ne mérite pas.
On ne doit pas lui reprocher la science qu’il
possède, il faut le dire bien haut. C’est vieux jeu
de croire que le rôle du professeur consiste à
corriger tout simplement un dessin; son rôle
n’est plus là seulement; il faut qu’il enseigne à
voir, à traduire, à comprendre et à raisonner.
Où serait donc la raison, si un artiste ignorant
des lois de la perspective de la décoration, des
ombres, du dessin, de l’histoire de l’art, de
l’anatomie et de Lant d’autres choses, se mêlait
de professer? Chacun son métier; nous tenons
que le professeur de dessin est dans son genre
aussi utile que l’artiste; tous deux suivent des
voies absolument distinctes, où il faut des qua-
lités si différentes et si diverses que leur entière
possession n’existe pas, et qu’elle se limite for-
cément à un petit nombre d’entre elles.
C’est pour cela, dit M. Relier en matière de
conclusion, que les examens sont nécessaires;
c’est encore le meilleur moyen d’arriver à cons-
tater l’aptitude des candidats à la profession fort
difficile de professeur de dessin. Si on demande
à ces candidats de justifier de connaissances
précises sur certains points, c’est moins sur le
détail particulier qu’on cherche à en faire la
constatation que sur la netteté d’esprit, de mé-
thode et de principes qu’on doit rencontrer chez
le futur professeur. Il suffit, pour se convaincre
de celte nécessité, d’assister à un examen où,
soit dit en passant, le dessin artistique compte
bien pour quelque chose, mais où les qualités
d’esprit, de netteté et de précision se retrouvent
aussi bien dans le dessin de figure que dans une
épure géométrique.
Si nous avons cité deux opinions toutes
récentes, la lutte est cependant ancienne;
M. Lecoq de Boisbaudran, ancien directeur de
l’Ecole des Beaux-Arts, qui préférait des profes-
seurs pédagogues à des artistes, s’exprimait
ainsi : « 11 y a, disait-il, entre le professeur et
l’artiste exécutant un point de différence fonda-
mental, et l’on a tort de croire qu’un professeur
de dessin qui se livre tout entier à son ensei-
gnement et lui sacrifie jusqu’à son désir de pro-
duire est un artiste avorté, une sorte de fruit
sec de l'art.
« L’artiste peut être exclusif, injuste dans ses
opinions. Il peut, il doit croire posséder seul la
vérité de l’art. Il y a là souvent pour lui une
conviction passionnée qui fait sa force. Mais
qu’on essaie de donner, par la pensée, au pro-
fesseur ce genre de force et de passion, et l’on
comprendra combien rapidement le jeune élève,
dominé, subjugué, perdra tous les caractères,
toutes les délicatesses de sa nature : peut-être
pourra-t-il acquérir du talent, mais ce sera le
talent de son maître.
« Le véritable professeur doit écarter de ses
jugements l’esprit systématique. Loin de paraître
s'atlacher à une seule conception de l’art, il lui
faut comprendre toutes celles qui se sont déjà
produites et accueillir chez ses élèves tous les
nouveaux modes d’expression qui peuvent se
produire encore ; surtout il ne leur proposera
jamais son propre exemple, car plus il saura
paraître impersonnel, mieux il assurera leur
personnalité.
« Que l’on comprenne donc ce que la fonction
du professeur de dessin exige d’abnégation, de
dévouement, de savoir, d’élévation dans les
idées et qu'on lui accorde enfin l’estime qu’elle
mérite. C’est d’ailleurs l’un des moyens indis-
pensables pour régénérer l’enseignement et, par
suite, l’art lui-même. »
Nous terminons ici nos citations, elles sont
assez longues pour bien montrer les deux opi-
nions qui se trouvent en présence ; si nous avons
voulu laire connaître cette différence de vues,
c’est que la lutte qui en résulte est nuisible à
l’enseignement du dessin et au recrutement des
professeurs. Notre opinion personnelle est que
ceux qui réclament des professeurs pédagogues
ne font pas assez de concessions à l’art véritable
dans les examens du professorat, et lorsqu’ils
réclament ces professeurs pour les lycées et
collèges, ils ne sont pas dans la bonne voie; la
meilleure preuve sera de montrer en exemple
notre Ecole des Beaux-Arts, où les professeurs
sont tous de grands artistes reconnus et consa-
crés. Nous savons bien qu’il existe une énorme
dispropor.ion au point de vue artistique entre un
atelier de l’Ecole et une classe de lycée; mais
toutes proportions gardées, si un grand artiste
enseigne avec succès à l’Ecole, un artiste peut
bien enseigner dans les lycées. S’il ne faut pas
un pédadogue à la tôle, il n’en faut pas non plus,
et à plus forte raison, dans des postes subal-
ternes; car souvenons-nous bien que le profes-
seur de dessin au lycée est professeur de dessin
d'imitation et non professeur de perspective.
Nous savons que de nombreuses critiques ont
été faites au sujet des maîtres qui dirigent les
Ecoles des Beaux-Arts; mais par qui veut-on
les remplacer auprès des élèves, et qui pourra
leur apprendre le beau si ce n’est ceux qui
le comprennent et ressentent les impressions
vraies de la nature? Le reproche, nous le con-
naissons tous ; les élèves d’un même atelier
voient de la même manière que leur maître;
mais comment y remédier? Le meilleur remède
ferait encore plus de mal, car si on enlevait des
ateliers de l’Ecole les hommes éminents qui les
dirigent, sous prétexte que leur enseignement
manque d’éclectisme ou de science pure, on ne
trouverait certainement pas dans toutes les
j bonnes volontés, fussent-elles mêmes diplômées
| de tous les certificats, des professeurs capables
de les remplacer et c’est encore à des artistes
qu'il faudrait revenir.
Ce qu'il faut donc, à notre avis, c’est revoir le
programme des examens du professoial, afin
d’abaisser le niveau des épreuves scienlifiques
et relever celles de dessin, qui doivent tout
primer. Il n’y aurait du reste qu’à copier l’examen
d’admission à l’Ecole des Beaux-Arts; ce
concours, que l’on pourrait élever d’un degré,
donnerait toutes les garanties : il comprend, en
effet, des épreuves de dessin d’anatomie, de
perspective, d’architecture et d’histoire; mais
pour toutes ces épreuves le coefficient de la
note de dessin est le plus élevé. On pourrait
aussi élever le minimum éliminaloiredes épreuves
que nous venons de signaler, mais en laissant
toujours la partie artistique comme partie prin-
cipale de l’examen. On assurerait ainsi un bien
meilleur recrutement des professeurs; car il ne
faut pas, à notre avis, continuer à éloigner de la
carrière des jeunes gens foncièrement artistes,
qu’un programme scientifique trop chargé
I rebute, soit qu’une instruction trop sommaire ne
leur permettre pas d’apprendre avec autant de
facilité que d’autres, soit encore que des choses
abstraites, comme la perspective, ne soient pas
de leur goût (et cela est très pardonnable chez
des artistes), ce qui n’empêche pas de com-
prendre le beau et de savoir l’enseigner; nous
en avons bien des exemples chez nos maîtres
les plus réputés aujourd’hui.
EXAMENS DE LA VILLE DE PARIS
HISTORIQUE
Le dessin a toujours été compris au nombre
des matières de l’enseignement dans les écoles
de la Ville de Paris; mais l’organisation régu-
lière des classes de dessin, confiées à des pro-
fesseurs spéciaux, ne date que de 1865. Avant
cette époque, l’enseignement des classes
d’adultes avait lieu dans des salles étroites,
basses, enfumées, mal éclairées, et il fallait aux
! élèves un grand désir d’apprendre pour que ces
) cours donnent des résultats. En outre, les mo-
! dèles, en très petit nombre, étaient presque tous
i du plus mauvais goût, et clans deux ou trois
classes seulement on dessinait d’après la bosse.
C’élail le professeur qui était chargé de recevoir
et d’inscrire les élèves, c’élail lui qui distribuait
les modèles, mettait de l’ordre dans la classe;
cela deux heures, trois fois parsemaine. Il rece-
vait alors pour payement une indemnité de
10 francs par élève et par an ; de sorte que pour
le même service, le traitement variait de 300 fr.
à 1500 francs; car les jours de mauvais temps,
sur 100élèves, 95 restaient chez eux, et le pro-
fesseur se trouvait avoir5 élèves. En pareil cas,
une leçon lui rapportait 0 fr. 35. Ce système de
payement, qui était sans doute établi en vue
d’encourager les maîtres, produisait bien sou-
vent l’effet contraire, au moins pour un certain
nombre d’entre eux. Aussi, dès 1863, la Ville de
Paris, habituée à prendre l’initiative, exprima
le vœu de voir nommer une Commission char-
! gée de préparer les bases d’une réorganisation
complète de l’enseignement du dessin et du re-
crutement des professeurs.
Cette Commission, présidée par M. Dumas,
président du Conseil municipal, et composée
du comLe de Nieuwerkerke et de MM. Merruau,
Baltard, Demère, Gérôme, marquis de Laborde,
soumit au préfet un projet d’organisation sur les
principes suivants :
j Ouverture de sessions annuelles d’examens à
| la suite desquelles serait délivré un diplôme
! pour les professeurs hommes et pour les profes-
seurs femmes. — Division de l’enseignement en
enseignement cl’art et en enseignement géomé-
trique. — Recherche et création de nouveaux