IV 224
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
bizarres auxquelles l’artiste Lient tant. En effel,
pour lui, il y a là un document précieux, une
allure saisie au passage. C’estcomme la pochade
informe du peintre où ce dernier fixe un éclat
fugitif qu’il sera bien heureux de reprendre
pour s’en servir dans l’un de ses tableaux.
Cela rappelle les grimoires aux lignes éche-
velées des inventeurs célèbres, retrouvant dans
le fouillis des traits le principe d’un nouveau
mécanisme.
On sent bien l’artiste absorbé par sa compo-
lion, l’esprit s’inquiète, la main devient ner-
veuse, les proportions sont mauvaises, et qu’im-
porte cela si l’allure instantanée est saisie au
bon moment. Plus tard, il saura bien mettre la
chose au point et produire une de ces œuvres
remarquables, un groupe charmant comme le
Baiser (où, dans un mouvement gracieux et
plein d’abandon, Francescade Piimini et Paolo
Malatesta s’étreignent pour l’éternité).
Ainsi que tout artisan curieux, épris de son
art, nous voyons Rodin, peintre, céramiste, or-
fèvre et graveur, restant toujours lui-même
dans ces productions à côté. Ces incursions
dans des domaines voisins sont toujours profi-
tables ; en effet, des difficultés nouvelles sur-
gissent, en les surmontant l’on apprendra ainsi
bien des choses que l’on aurait longtemps igno-
rées ; certaines trouvailles deviennent de pré-
cieuses ressources lorsque l’artisan retourne à
la sculpture. Qui saiL si, à son insu, il ne doit
pas beaucoup à plusieurs de ses productions non
signées, ces modèles d’orfèvrerie ou de bijou-
terie, ces travaux de praticien pour Carrier-
Relieuse vers 1880, toules choses que les néces-
sités pécuniaires obligent à subir. C’est une
grosse erreur de penser qu’ainsi l’Artiste perd
de sa valeur et de son faire, au contraire, il
gagne plus qu’il ne se l’imagine chaque fois qu’il
aborde certaines productions d’apparences
commerciales ; combien les difficultés offertes
par des matières nouvelles seront profitables
à l’Artiste qui sait observer et qui possède
l’amour de son Art.
L’œuvre est fort importante et nous allons la
résumer brièvement.
C’est le masque de l’Homme auney cassé,refusé
au Salon de 1864; l'Age d'airain, 1877, Saint
Jean- Baptiste prêchant, 1878; la Danaïde, le
Buste de jeune femme, 1884; la Création de
l'homme. Depuis 1881, il travaille à la porte de
l’Enfer, colossale composition inspirée de
l’œuvre du Dante sur laquelle se détachent les
groupes légendaires; destinée primitivement au
Musée des Arts Décoratifs, la fonte n’a jamais
été faite, et, en 1900, nous avons pu, au Salon
privé de l’artiste, voir les parties de ce travail
imposant. Nous avons ses études pour les mo-
numents de la Défense nationale, de Victor
Hugo, de Claude Gelée, des Bourgeois de
Calais, de la Tour du Travail : les bustes des
contemporains : Dalou, Victor Hugo, Antonin
Proust, Henri Becque, Roger Marx, Octave
Mirbeau, Puvis de Chavannes, Rochefort.
Falguière, etc.
Son Balzac, objet de tant de polémiques, où
il affirma jusqu’à l’extrême sa technique très
personnelle, cette œuvre aurait moins déchaîné
les esprits si elle eût été, non de plâtre, mais
à patine de bronze ; on aurait mieux saisi ainsi
le but que s’était proposé l’artisLe; reporter
surcette tête auxyeux profonds, toute l’attention
du spectateur.
Un groupe d’admirateurs, se propose d’offrir
à la Ville de Paris, le Penseur, bronze impor-
tant qui figurait au dernier Salon de la Société
Nationale des Beaux-Arts : c’est un agrandisse-
ment du personnage qui occupait le haut milieu
de sa porte de l’Enfer.
Deux lignes pour achever. Auguste Rodin est
un travailleur solitaire qui se plaît dans sa
blouse de praticien, loin des situations offi-
cielles, des milieux mondains, de cette ambiance
des salons où l’on réagit difficilement contre les
théories à la mode ; il a pu se replier sur lui-
même, s’étudier, s’affiner, être lui- môme, c’est-
à-dire pour maintenant et pour l’avenir —
quelqu’un. — F.-J. Pillet.
FRAGMENTS D’ART GREC
Tanagra et Myrina
Par J. Danielu
Suite et fin (1)
Lorsqu’un peintre entend reproduire un ta-
bleau il doit, sous peine d’être inexact, le copier
servilement. Deux éléments indispensables y
viennent concourir simultanément : le dessin et
le coloris. Il n’en saurait être autrement pour
la sculpture, avec cette différence cependant
(P Voir F Art pour tous, n°sd’avril, mai, juin et juillet 1904.
qu’ici le dessin, c’est le moulage, qu’il soit fait
de plâtre, d’argileoude bronze,suivantlanature
de l’œuvre à reproduire. Le coloris, c’est l’as-
pect général, c’est le ton de la matière et des
applications qu’elle a pu recevoir à l’origine ;
les uns et les autres avec les modifications et
les transformations qu’a pu y apporter le temps.
Cet ensemble, ce tout, constitue ce qu’on ap-
pelle la patine.
Or, que sont les figurines qui nous occupent?
Des terres cuites. Dès lors, c’est à l’argile seule
qu’il convient d’en demander les images; d’au-
tant qu’ici il est une seconde raison primor-
diale à employer cette substance : c’est qu’elle
permet ces retouches, soit à la pointe, soit à
l’èbauchoir, auxquelles on doit toutes les finesses
d’exécution qui sont une des caractéristiques
des statuettes originales. Puis de ce que nous
avons vu que ces terres cuites avaient été
d’abord soumises à une engobe qui les recouvre
entièrement, puis peintes, sur celle-ci, de leurs
colorations, les reproductions doivent néces-
sairement être elles - mêmes soumises aux
mêmes applications en observant de respecter
exactement chaque teinte de coloration. Ce pre-
mier résultat obtenu est ensuite complété, le cas
échéant, par la dorure des parties qui en com-
portent. A cet état, l’ébauche est complète;
car, en raison du but à atteindre, tout cela ne
constitue, en effet, qu’une ébauche. Reste la
patine, c’est-à-dire le travail complémentaire
duquel doit résulter l’aspect définitif de l’image,
et c’est là, sans contredit, la partie délicale en
même temps qu’intéressante de l’opération, qui
n’exige pas moins de promptitude à saisir que
d’habileté à rendre si on veut lui conserver ce
caractère d’imprévu sans lequel, en matière de
reconstitution d’antiques, il n’est pas d’illusion
complète possible. Et cette habileté, suivant
nous, semble bien plus relever d’une sorte de
sens intuitif que d’une technique proprement
dite, pour laquelle il paraît assez difficile d’éta-
blir une formule ayant des règles précises, étant
donné surtout que chaque figurine, ou à peu
près, a un aspect différent des autres. Mais il
est un point cependant commun à toules ces
reconstitutions, c’est que toutes les colorations
et applications quelconques doivent être de
tons absolument mats, c’est-à-dire sans aucune
apparence de glaçure; c’est là une des condi-
tions sine quanon del’exactitude. Quant au reste,
il est indispensable de considérer avec atten-
tion les terres-cuites originales pour se pénétrer
de l’aspect à rendre dans leur reconstitution.
Toutefois, pour aider dans la mesure du pos-
sible à un tel discernement, nous donnerons, des
éléments qui constituent toutes les particula-
rités de la patine, la définition suivante : les
maculations et les traces d’incinération dont
l’imitation est du domaine de la peinture ; le dé-
capage de lengobe et des couleurs et les effa-
cements des colorations et de la dorure, pou-
vant être obtenus par frottements quelconques
en provoquant l’usure ; les érosions et les effri-
tements auxquels on parvient en s’aidant d’outils
tels que lime ou râpe; et enfin, les agrégats de
particules du sol et les concrétions terreuses ou
calcaires, qu’on obtient au moyen d’agglutinants
et de poudres sèches, parmi lesquels les
terres et les ocres jouent le principal rôle.
Bien qu’il ne saurait entrer dans le cadre de
cette élude de donner des conseils ni de for-
muler des avis, de ce que nous nous adressons
à la fois à des archéologues et à des artistes,nous
dirons cependant: que ceux que la question
pourrait intéresser et qui songeraient à se livrer à
des tentatives de ces sortes de reconstitutions,
se pénètrent avant tout des données qui viennent
d’être exposées et, parlant par expérience, nous
leur prédisons, en s’aidant d’un peu de pratique
et de persévérance, des résultats rapides dans
lesquels ils trouveront de réelles satisfactions.
En tout cas, qu’on le sache bien, il y a là un
passe-temps agréable autant qu’intéressant.
Mais pour justifier de notre part une telle
incitation, nous devons faire connaître que
personnellement nous nous sommes donné une
mission dont nous nous efforçons de poursuivre
la réalisation: celle de faire connaître, de ré-
pandre, de populariser cet art exquis et de
tenter de lui faire ouvrir toutes grandes les
portes qui, par ignorance de son existence, par
l’insuffisance d’une connaissance de son mérite
réel ou pour toute autre cause, lui sont jus-
qu’ici restées closes. Et le moment nous a paru
être d’autant plus favorable pour le faire, que
s’il fut jamais une époque de vulgarisation et de
démocratisation des arts en général, c’est incon-
testablement la nôtre, avec celte particularité
qui en découle comme conséquence, que s’il fut
jamais époque ou la nécessité s’imposa de fa-
çonner le goût, de former l’esprit aux choses de
leur domaine, comme aussi de réagir contre
l’intrusion pernicieuse et de plus en plus en-
vahissante du mercantilisme dans les multiples
formes sous lesquelles il se travestit, c’est bien
encore la nôtre. De même enfin, que s’il fut
jamais nécessité plus grande d’entourer notre
horizon d’objets sur lesquels la vue puisse, à se
poser, nous faire éprouver d’agréables sensa-
tions, apportant ainsi une heureuse diversion à
la fébrilité perpétuelle de notre mentalité dans
sa préoccupation constante de la matérialité
des choses de la vie, c’est bien encore et tou-
jours à notre époque.
Certes, de ce qu’on ne saurait considérer les
choses dans le réfléchissement d’un objectif
grossissant et ne les voir autrement qu’au
travers le prisme de leur juste valeur, nous ne
nous exagérons rien et n’entendons pas pré-
tendre que ce soit là quelque panacée univer-
selle et encore moins l'hypothétique jaierre phi-
losophale. Mais on nous concédera bien cepen-
dant que l’art tanagréen et même myrénéen: par
sa grâce naturelle et son charme séduisant, par
son élégance sans aucune prétention, par sa
familiarité sans vulgarité, et enfin par la science
autant que par la clarté apportées à toutes ses
interprétations, on nous concédera bien, avons-
nous dit, qu’il soit au nombre des éléments les
plus propices à répondre à ces multiples néces-
sités.
Et nous émettrons même la pensée, que ses
images, images fidèles bien entendu, dans cer-
tains milieux, ceux-là même où l’éducation artis-
tique est encore à faire, seraient d’un ensei-
gnement plus profitable, auraient une action
plus efficace, un résultat plus fructueux, en ce
qu’elles seraient mieux et beaucoup plus faci-
lement comprises que celles de tous les chefs-
d’œuvre de l’antiquité, dont la beauté réelle,
mais conventionnelle, n’est perceptible qu’au
travers les mailles serrées d’une étude préli-
minaire, trop élevée pour être du domaine du
vulgaire, et dès lors accessible qu’aux seuls
initiés.
Lorsqu’il y a quelques mois à peine, nous
faisions paraître notre élude avec commentaires
sur Les figurines de Tanagra et de Myrina (1),
nous y préconisions déjà un semblable mouve-
ment ainsi qu’une Renaissance de l’art lana-
gréen dont nous nous sommes plu à esquisser
les grandes lignes. Or, nous pouvons aujourd’hui
le confesser ici en toute sincérité, si nous avions
la conviction pour nous, nous n’avions que peu
d’espoir d’être écouté et encore moins peut-
être de la faire partager. Tant voudrait, pen-
sions-nous, prêcher dans la brousse, ou, à
l’exemple de Démosthène, parler aux mugis-
sements des flots ; sachant combien l’apathie,
dans sa force d’inertie, est un obstacle difficile
à vaincre, sans le secours de la réclame qui
seule est capable d’en avoir raison. Puis nous
savions aussi combien l’esprit est absorbé et
les besoins autant que les désirs sollicités, par
une surproduction d’objets et d’œuvres de tous
mérites et de tous ordres, depuis le malsain
jusqu’à l’idéal.
Eh bien, nous devons faire amende honora-
ble. Nous nous étions trompé. Et les circons-
tances veulent, ce dont nous nous félicitons,
que ce soit L'Art pour tous qui fut le premier à
l’enregistrer.
En effet, et ce ne sont plus là des aspirations
ou des prévisions, mais des faits précis, cer-
tains, indéniables. Il s’est produit dans ces der-
niers mois un mouvement d’émulation, non pas
localisé, mais qui s’est étendu, dans un temps
relativement court, d’une façon presque inespé-
rée; dont les effets se traduisent presque simul-
tanément à Londres, Vienne, Copenhague,
New-York, voir même jusqu’à Torento, au Ca-
nada, pour ne citer que les agglomérations les
plus importantes. Partout, à l’heure actuelle,
dans les localités citées et dans bien d’autres
encore, cet art charmant est à l’ordre du jour.
On s’ingénie à y répandre des images qu’il
nous a été donné d’apprécier et qui nous devons
le déclarer, sont bien, certaines même sont très
bien, souvent parfaites. Et ceux qui s’en font les
vulgarisateurs ne sont pas, ainsi qu’on pourrait
le penser, d’obscurs industriels que le lucre seul
d’une spéculation entrevue pourir.it guider,
mais des maisons occupantle premier rang dans
leurs villes respectives. Chez nos voisins d’outre-
Manche notamment il semble qu’on metle une
certaine coquetterie à se montrer à la tête du
mouvement. Des conférences y sont organisées
et des publications d’art telle que The Magafine
of art, pour ne citer que celle-là, sous la plume
autorisée de son directeur, M. H. Spielmann,
un éruditdoubléd’un écrivain apprécié, ne dédai-
gnent pas de se faire les apôtres, les champions
même de ce mouvement; en même temps qu’une
de ces grandes Compagnies dont Londres semble
avoir le monopole, qui s’est fait une spécialité
des choses d’art et dont les succursales rayon-
nent dans tout le Royaume-Uni, n’a pas hésité à
(1) E. Bernard, éditeur, 29, quai des Grands-Augustins
à Paris.
BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
bizarres auxquelles l’artiste Lient tant. En effel,
pour lui, il y a là un document précieux, une
allure saisie au passage. C’estcomme la pochade
informe du peintre où ce dernier fixe un éclat
fugitif qu’il sera bien heureux de reprendre
pour s’en servir dans l’un de ses tableaux.
Cela rappelle les grimoires aux lignes éche-
velées des inventeurs célèbres, retrouvant dans
le fouillis des traits le principe d’un nouveau
mécanisme.
On sent bien l’artiste absorbé par sa compo-
lion, l’esprit s’inquiète, la main devient ner-
veuse, les proportions sont mauvaises, et qu’im-
porte cela si l’allure instantanée est saisie au
bon moment. Plus tard, il saura bien mettre la
chose au point et produire une de ces œuvres
remarquables, un groupe charmant comme le
Baiser (où, dans un mouvement gracieux et
plein d’abandon, Francescade Piimini et Paolo
Malatesta s’étreignent pour l’éternité).
Ainsi que tout artisan curieux, épris de son
art, nous voyons Rodin, peintre, céramiste, or-
fèvre et graveur, restant toujours lui-même
dans ces productions à côté. Ces incursions
dans des domaines voisins sont toujours profi-
tables ; en effet, des difficultés nouvelles sur-
gissent, en les surmontant l’on apprendra ainsi
bien des choses que l’on aurait longtemps igno-
rées ; certaines trouvailles deviennent de pré-
cieuses ressources lorsque l’artisan retourne à
la sculpture. Qui saiL si, à son insu, il ne doit
pas beaucoup à plusieurs de ses productions non
signées, ces modèles d’orfèvrerie ou de bijou-
terie, ces travaux de praticien pour Carrier-
Relieuse vers 1880, toules choses que les néces-
sités pécuniaires obligent à subir. C’est une
grosse erreur de penser qu’ainsi l’Artiste perd
de sa valeur et de son faire, au contraire, il
gagne plus qu’il ne se l’imagine chaque fois qu’il
aborde certaines productions d’apparences
commerciales ; combien les difficultés offertes
par des matières nouvelles seront profitables
à l’Artiste qui sait observer et qui possède
l’amour de son Art.
L’œuvre est fort importante et nous allons la
résumer brièvement.
C’est le masque de l’Homme auney cassé,refusé
au Salon de 1864; l'Age d'airain, 1877, Saint
Jean- Baptiste prêchant, 1878; la Danaïde, le
Buste de jeune femme, 1884; la Création de
l'homme. Depuis 1881, il travaille à la porte de
l’Enfer, colossale composition inspirée de
l’œuvre du Dante sur laquelle se détachent les
groupes légendaires; destinée primitivement au
Musée des Arts Décoratifs, la fonte n’a jamais
été faite, et, en 1900, nous avons pu, au Salon
privé de l’artiste, voir les parties de ce travail
imposant. Nous avons ses études pour les mo-
numents de la Défense nationale, de Victor
Hugo, de Claude Gelée, des Bourgeois de
Calais, de la Tour du Travail : les bustes des
contemporains : Dalou, Victor Hugo, Antonin
Proust, Henri Becque, Roger Marx, Octave
Mirbeau, Puvis de Chavannes, Rochefort.
Falguière, etc.
Son Balzac, objet de tant de polémiques, où
il affirma jusqu’à l’extrême sa technique très
personnelle, cette œuvre aurait moins déchaîné
les esprits si elle eût été, non de plâtre, mais
à patine de bronze ; on aurait mieux saisi ainsi
le but que s’était proposé l’artisLe; reporter
surcette tête auxyeux profonds, toute l’attention
du spectateur.
Un groupe d’admirateurs, se propose d’offrir
à la Ville de Paris, le Penseur, bronze impor-
tant qui figurait au dernier Salon de la Société
Nationale des Beaux-Arts : c’est un agrandisse-
ment du personnage qui occupait le haut milieu
de sa porte de l’Enfer.
Deux lignes pour achever. Auguste Rodin est
un travailleur solitaire qui se plaît dans sa
blouse de praticien, loin des situations offi-
cielles, des milieux mondains, de cette ambiance
des salons où l’on réagit difficilement contre les
théories à la mode ; il a pu se replier sur lui-
même, s’étudier, s’affiner, être lui- môme, c’est-
à-dire pour maintenant et pour l’avenir —
quelqu’un. — F.-J. Pillet.
FRAGMENTS D’ART GREC
Tanagra et Myrina
Par J. Danielu
Suite et fin (1)
Lorsqu’un peintre entend reproduire un ta-
bleau il doit, sous peine d’être inexact, le copier
servilement. Deux éléments indispensables y
viennent concourir simultanément : le dessin et
le coloris. Il n’en saurait être autrement pour
la sculpture, avec cette différence cependant
(P Voir F Art pour tous, n°sd’avril, mai, juin et juillet 1904.
qu’ici le dessin, c’est le moulage, qu’il soit fait
de plâtre, d’argileoude bronze,suivantlanature
de l’œuvre à reproduire. Le coloris, c’est l’as-
pect général, c’est le ton de la matière et des
applications qu’elle a pu recevoir à l’origine ;
les uns et les autres avec les modifications et
les transformations qu’a pu y apporter le temps.
Cet ensemble, ce tout, constitue ce qu’on ap-
pelle la patine.
Or, que sont les figurines qui nous occupent?
Des terres cuites. Dès lors, c’est à l’argile seule
qu’il convient d’en demander les images; d’au-
tant qu’ici il est une seconde raison primor-
diale à employer cette substance : c’est qu’elle
permet ces retouches, soit à la pointe, soit à
l’èbauchoir, auxquelles on doit toutes les finesses
d’exécution qui sont une des caractéristiques
des statuettes originales. Puis de ce que nous
avons vu que ces terres cuites avaient été
d’abord soumises à une engobe qui les recouvre
entièrement, puis peintes, sur celle-ci, de leurs
colorations, les reproductions doivent néces-
sairement être elles - mêmes soumises aux
mêmes applications en observant de respecter
exactement chaque teinte de coloration. Ce pre-
mier résultat obtenu est ensuite complété, le cas
échéant, par la dorure des parties qui en com-
portent. A cet état, l’ébauche est complète;
car, en raison du but à atteindre, tout cela ne
constitue, en effet, qu’une ébauche. Reste la
patine, c’est-à-dire le travail complémentaire
duquel doit résulter l’aspect définitif de l’image,
et c’est là, sans contredit, la partie délicale en
même temps qu’intéressante de l’opération, qui
n’exige pas moins de promptitude à saisir que
d’habileté à rendre si on veut lui conserver ce
caractère d’imprévu sans lequel, en matière de
reconstitution d’antiques, il n’est pas d’illusion
complète possible. Et cette habileté, suivant
nous, semble bien plus relever d’une sorte de
sens intuitif que d’une technique proprement
dite, pour laquelle il paraît assez difficile d’éta-
blir une formule ayant des règles précises, étant
donné surtout que chaque figurine, ou à peu
près, a un aspect différent des autres. Mais il
est un point cependant commun à toules ces
reconstitutions, c’est que toutes les colorations
et applications quelconques doivent être de
tons absolument mats, c’est-à-dire sans aucune
apparence de glaçure; c’est là une des condi-
tions sine quanon del’exactitude. Quant au reste,
il est indispensable de considérer avec atten-
tion les terres-cuites originales pour se pénétrer
de l’aspect à rendre dans leur reconstitution.
Toutefois, pour aider dans la mesure du pos-
sible à un tel discernement, nous donnerons, des
éléments qui constituent toutes les particula-
rités de la patine, la définition suivante : les
maculations et les traces d’incinération dont
l’imitation est du domaine de la peinture ; le dé-
capage de lengobe et des couleurs et les effa-
cements des colorations et de la dorure, pou-
vant être obtenus par frottements quelconques
en provoquant l’usure ; les érosions et les effri-
tements auxquels on parvient en s’aidant d’outils
tels que lime ou râpe; et enfin, les agrégats de
particules du sol et les concrétions terreuses ou
calcaires, qu’on obtient au moyen d’agglutinants
et de poudres sèches, parmi lesquels les
terres et les ocres jouent le principal rôle.
Bien qu’il ne saurait entrer dans le cadre de
cette élude de donner des conseils ni de for-
muler des avis, de ce que nous nous adressons
à la fois à des archéologues et à des artistes,nous
dirons cependant: que ceux que la question
pourrait intéresser et qui songeraient à se livrer à
des tentatives de ces sortes de reconstitutions,
se pénètrent avant tout des données qui viennent
d’être exposées et, parlant par expérience, nous
leur prédisons, en s’aidant d’un peu de pratique
et de persévérance, des résultats rapides dans
lesquels ils trouveront de réelles satisfactions.
En tout cas, qu’on le sache bien, il y a là un
passe-temps agréable autant qu’intéressant.
Mais pour justifier de notre part une telle
incitation, nous devons faire connaître que
personnellement nous nous sommes donné une
mission dont nous nous efforçons de poursuivre
la réalisation: celle de faire connaître, de ré-
pandre, de populariser cet art exquis et de
tenter de lui faire ouvrir toutes grandes les
portes qui, par ignorance de son existence, par
l’insuffisance d’une connaissance de son mérite
réel ou pour toute autre cause, lui sont jus-
qu’ici restées closes. Et le moment nous a paru
être d’autant plus favorable pour le faire, que
s’il fut jamais une époque de vulgarisation et de
démocratisation des arts en général, c’est incon-
testablement la nôtre, avec celte particularité
qui en découle comme conséquence, que s’il fut
jamais époque ou la nécessité s’imposa de fa-
çonner le goût, de former l’esprit aux choses de
leur domaine, comme aussi de réagir contre
l’intrusion pernicieuse et de plus en plus en-
vahissante du mercantilisme dans les multiples
formes sous lesquelles il se travestit, c’est bien
encore la nôtre. De même enfin, que s’il fut
jamais nécessité plus grande d’entourer notre
horizon d’objets sur lesquels la vue puisse, à se
poser, nous faire éprouver d’agréables sensa-
tions, apportant ainsi une heureuse diversion à
la fébrilité perpétuelle de notre mentalité dans
sa préoccupation constante de la matérialité
des choses de la vie, c’est bien encore et tou-
jours à notre époque.
Certes, de ce qu’on ne saurait considérer les
choses dans le réfléchissement d’un objectif
grossissant et ne les voir autrement qu’au
travers le prisme de leur juste valeur, nous ne
nous exagérons rien et n’entendons pas pré-
tendre que ce soit là quelque panacée univer-
selle et encore moins l'hypothétique jaierre phi-
losophale. Mais on nous concédera bien cepen-
dant que l’art tanagréen et même myrénéen: par
sa grâce naturelle et son charme séduisant, par
son élégance sans aucune prétention, par sa
familiarité sans vulgarité, et enfin par la science
autant que par la clarté apportées à toutes ses
interprétations, on nous concédera bien, avons-
nous dit, qu’il soit au nombre des éléments les
plus propices à répondre à ces multiples néces-
sités.
Et nous émettrons même la pensée, que ses
images, images fidèles bien entendu, dans cer-
tains milieux, ceux-là même où l’éducation artis-
tique est encore à faire, seraient d’un ensei-
gnement plus profitable, auraient une action
plus efficace, un résultat plus fructueux, en ce
qu’elles seraient mieux et beaucoup plus faci-
lement comprises que celles de tous les chefs-
d’œuvre de l’antiquité, dont la beauté réelle,
mais conventionnelle, n’est perceptible qu’au
travers les mailles serrées d’une étude préli-
minaire, trop élevée pour être du domaine du
vulgaire, et dès lors accessible qu’aux seuls
initiés.
Lorsqu’il y a quelques mois à peine, nous
faisions paraître notre élude avec commentaires
sur Les figurines de Tanagra et de Myrina (1),
nous y préconisions déjà un semblable mouve-
ment ainsi qu’une Renaissance de l’art lana-
gréen dont nous nous sommes plu à esquisser
les grandes lignes. Or, nous pouvons aujourd’hui
le confesser ici en toute sincérité, si nous avions
la conviction pour nous, nous n’avions que peu
d’espoir d’être écouté et encore moins peut-
être de la faire partager. Tant voudrait, pen-
sions-nous, prêcher dans la brousse, ou, à
l’exemple de Démosthène, parler aux mugis-
sements des flots ; sachant combien l’apathie,
dans sa force d’inertie, est un obstacle difficile
à vaincre, sans le secours de la réclame qui
seule est capable d’en avoir raison. Puis nous
savions aussi combien l’esprit est absorbé et
les besoins autant que les désirs sollicités, par
une surproduction d’objets et d’œuvres de tous
mérites et de tous ordres, depuis le malsain
jusqu’à l’idéal.
Eh bien, nous devons faire amende honora-
ble. Nous nous étions trompé. Et les circons-
tances veulent, ce dont nous nous félicitons,
que ce soit L'Art pour tous qui fut le premier à
l’enregistrer.
En effet, et ce ne sont plus là des aspirations
ou des prévisions, mais des faits précis, cer-
tains, indéniables. Il s’est produit dans ces der-
niers mois un mouvement d’émulation, non pas
localisé, mais qui s’est étendu, dans un temps
relativement court, d’une façon presque inespé-
rée; dont les effets se traduisent presque simul-
tanément à Londres, Vienne, Copenhague,
New-York, voir même jusqu’à Torento, au Ca-
nada, pour ne citer que les agglomérations les
plus importantes. Partout, à l’heure actuelle,
dans les localités citées et dans bien d’autres
encore, cet art charmant est à l’ordre du jour.
On s’ingénie à y répandre des images qu’il
nous a été donné d’apprécier et qui nous devons
le déclarer, sont bien, certaines même sont très
bien, souvent parfaites. Et ceux qui s’en font les
vulgarisateurs ne sont pas, ainsi qu’on pourrait
le penser, d’obscurs industriels que le lucre seul
d’une spéculation entrevue pourir.it guider,
mais des maisons occupantle premier rang dans
leurs villes respectives. Chez nos voisins d’outre-
Manche notamment il semble qu’on metle une
certaine coquetterie à se montrer à la tête du
mouvement. Des conférences y sont organisées
et des publications d’art telle que The Magafine
of art, pour ne citer que celle-là, sous la plume
autorisée de son directeur, M. H. Spielmann,
un éruditdoubléd’un écrivain apprécié, ne dédai-
gnent pas de se faire les apôtres, les champions
même de ce mouvement; en même temps qu’une
de ces grandes Compagnies dont Londres semble
avoir le monopole, qui s’est fait une spécialité
des choses d’art et dont les succursales rayon-
nent dans tout le Royaume-Uni, n’a pas hésité à
(1) E. Bernard, éditeur, 29, quai des Grands-Augustins
à Paris.