BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
N° 227
en justifier la création aux yeux des adversaires qu’il a ren-
contrés, et à lui assurer l’intérêt et l’accueil favorable de tous les
amis des arts. Il est vrai de dire que ce sont surtout les peintres
qui ont pu faire leur profit de cette innovation, et on comprend
qu’il soit plus difficile aux sculpteurs de produire dans une seule
année la matière à deux Expositions relativement rapprochées.
Aussi y a-t-il surtout des plâtres, et cette matière ingrate et de
transition ne donne pas généralement à l’œuvre ce caractère
définitif que l’on est en droit de demander. Pour la même
raison, les œuvres exposées à la section de sculpture sont peu
nombreuses.
Quelques noms s'imposent d’abord et ce sont ceux d’artistes
qui sont déjà des maîtres, comme MM. Camille Lefèvre,
Gustave Michel, Roger Bloche, Derré, Reymond de Brou-
telles.
Dans quelques bustes de femmes, M. Camille Lefèvre a
retrouvé les qualités d’aisance devant la nature, de liberté de
technique, d’où jaillissent la vie et la vérité. A peine pourrait-on
regretter la façon un peu rude dont est traitée la peau ; le plâtre
paraît avoir été gratté par un outil, et le bronze en a reproduit
l’aspect fruste et rugueux.
De M. Gustave Michel, dont on connaît, au Luxembourg, la
ligure de jeune fille, si pleine de poésie et de charme virginal,
deux bustes en plâtre, un portrait d’enfant et un portrait
d’homme.
L'Apprenti, de M. Roger Bloche, est une belle et noble figure
de jeune homme, de grandeur naturelle. La facture, comme
dans les groupes placés à l’entrée du Musée du Luxembourg,
en est simplifiée et presque synthétisée, au point qu’on
pourrait peut-être lui reprocher de perdre en vérité et en vie ce
qu’elle gagne par là en distinction et en grandeur décorative.
Ce parti pris de plans nettement accusés et de grandes lignes,
où l’on devine l’intention de l’artiste d’exécuter son œuvre en
bronze, ne conviendrait-il pas mieux au bois, matière qui ne se
prête pas à la même souplesse, mais aussi moins froide et plus
vivante ?
M. Derré a voulu faire d’un groupe d’amants- étroitement
enlacés au fond d’une grotte, le but d’un « Pèlerinage d’amour ».
Un tronc placé à côté, destiné à soulager les misères des filles
mères, est surmonté d’un buste de femme embrassant son enfant.
Dans l’esprit de M. Derré, les pèlerins d’amour voudront venir
en aide aux victimes de l’amour, et cette idée généreuse est, de
plus, intéressante pour ceux que préoccupe le rôle de l’art dans
la société. La sculpture de M. Derré répond bien à ce qu’en a
voulu faire l’artiste; elle est populaire et elle a les qualités et les
défauts de ce caractère. D’un symbolisme simple et touchant,
facile à saisir et bien faite pour frapper les imaginations naïves,
la facture en est large et souple, mais sans grande finesse, et
cela est vrai surtout du groupe des amants, moins vrai et d’un
sentiment moins profond que le buste de femme qui le com-
plète.
L’exposition de M. le prince Troubetskoï tient une place
très importante au Salon d’Automne. Elle se présente au premier
abord comme une série d’ébauches très habiles et rapidement
indiquées ; mais on n’a pas l’impression que l’arliste ait jamais
eu l’intention de les achever. Pour lui, elles sont achevées, il
lui suffit qu’elles expriment le caractère changeant des sil-
houettes variées qui font la vie autour de nous, et c’est ce qui
en fait le premier charme. Les chiens, les loups, les cavaliers
arrêtés un instant et prêts à repartir au galop, les rennes de
Laponie, et quelques figures de femmes et d’enfants, se prêtent
bien, lorsqu'ils restent dans des proportions très réduites,
à ces rapides annotations de vie et de mouvement. Les princi-
paux plans, les lignes caractéristiques, indiquées d’une façon
nerveuse et quelquefois exagérée, voilà ce qui séduit dans les
œuvres de cet artiste. C’est dans le portrait de Tolstoï à che-
val, dont le Luxembourg possède un exemplaire, que se trou-
vent condensées le plus heureusement ces qualités si person-
nelles. Mais on peut se demander si les mêmes qualités ne
deviennent pas des défauts dans des figures plus grandes, où
plus d’observation et de précision, on pourrait presque dire
plus de soin, sont la condition d’une œuvre durable et défini-
tive. Sauf le très beau buste de Tolstoï, où l’artiste a mis
plus de vérité et d’émotion, en même temps que de science
technique, les groupes et les portraits de grandeur natu-
relle présentent un caractère d’inconsistance et de faiblesse,
I et paraissent comme des apparitions fugitives peu faites pour
rester.
En mentionnant encore les animaux de MM. Sanchez et
Navellier, pleins de vie et d’observation consciencieuse, nous
aurons fixé le souvenir de ce que les sculpteurs du Salon d’Au-
tomne ont exposé d’intéressant et de vraiment nouveau.
H. V.
EXPLICATION DES PLANCHES
(Nos 4361 à 4868)
Planche 4361. — Peignes liturgiques : Fig. 1. xe siècle.
Trésor de la cathédrale de Nancy (haut. 236 millim.).— Fig. 2.
xii° siècle. Provenant de l’Abbaye de Stavelot (Musée de la
Porte de Ham, à Bruxelles) (haut. 3o cent.).— Fig. 3. xi° siècle.
Art allemand (Musée du Louvre) (haut, tg5 millim., largeur
io5 millim.). — Fig. 4. xn° siècle. Trésor de la cathédrale de
Sens (haut. 122 millim.).
Planche 4362.— Médaillons : Médéric de Vie, par Fre'my ;
Pierre Jeannin, par Guillaume Dupré.
Guillaume Dupré est né à Sissonne, près de Laon, vers
1574; il est mort à Paris le 8 juin 1647. Il avait épousé,
vers 1600 ou 1601, la fille de son ami, et probablement de
son maître, Barthélemy Prieur, protestant comme lui. Il
était sculpteur et valet de chambre du roi, et devint, en 1604,
contrôleur général des effigies des monnaies et commissaire
général des fontes de l’artillerie. Son fils, Abraham Dupré, habile
graveur de médailles, lui succéda dans ses charges. Guillaume
Dupré était particulièrement entendu au maniement du bronze.
Dussieux, dans ses Artistes français à Y étranger, suppose que
la belle statue de bronze du prince Viclor-Amédée Ier de Savoie,
signée Dupré, qui est au Palais-Royal de Turin, est de ce grand
maître; on sait que le duc avait épousé la fille de Henri IV. En
France, nous n’avons de son talent de sculpteur qu’un seul té-
moignage certain : le buste de Dominique de Vie, vicomte d’Er-
menonville, récemment acquis par le Louvre, morceau d’une
grande fermeté d’exécution, d’un caractère simple et franc, sans
maniérisme, signé et daté de 1610.
Mais la gloire de Dupré est dans les médailles. Il nous en a
laissé une soixantaine, —-la plupart signées et obtenues au pro-
cédé de la fonte, comme les médaillons italiens.
La première médaille datée est de 1597. Elle représente, au
droit, Henri IV en Hercule, et, au revers, Gabrielle d’Estrées.
Dupré a d’ailleurs fait plusieurs médailles à l’effigie royale. La
plus remarquable est la grande médaille du Cabinet de France,
épreuve unique retouchée par l’artiste. Parmi les grands mé-
daillons, on aime à citer le Pierre Jeannin (1618), le Durct de
Cherry, la Marie de Médicis, et surtout, l'Héroard, du Cabinet
de Vienne, et le Brulart de Sillery, du Louvre, les chefs-d’œuvre
de la série. Au-dessus de ces efffigies magistrales, je place ce-
pendant certaines médailles de dimensions plus restreintes et
d’un faire plus précieux encore. La Bibliothèque nationale nous
offre des épreuves de choix du Doge Memmo, du Cardinal Bar
berini, du Louis XIII enfant de 1610 un délicieux morceau, du
Louis XIII de 1623, avec le revers à la Justice. Pour juger
complètement le génie de Dupré, il faut voir certains exem-
plaires de dédicace, en or et en argent, qui ont été recueillis par
notre grand dépôt public.
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en justifier la création aux yeux des adversaires qu’il a ren-
contrés, et à lui assurer l’intérêt et l’accueil favorable de tous les
amis des arts. Il est vrai de dire que ce sont surtout les peintres
qui ont pu faire leur profit de cette innovation, et on comprend
qu’il soit plus difficile aux sculpteurs de produire dans une seule
année la matière à deux Expositions relativement rapprochées.
Aussi y a-t-il surtout des plâtres, et cette matière ingrate et de
transition ne donne pas généralement à l’œuvre ce caractère
définitif que l’on est en droit de demander. Pour la même
raison, les œuvres exposées à la section de sculpture sont peu
nombreuses.
Quelques noms s'imposent d’abord et ce sont ceux d’artistes
qui sont déjà des maîtres, comme MM. Camille Lefèvre,
Gustave Michel, Roger Bloche, Derré, Reymond de Brou-
telles.
Dans quelques bustes de femmes, M. Camille Lefèvre a
retrouvé les qualités d’aisance devant la nature, de liberté de
technique, d’où jaillissent la vie et la vérité. A peine pourrait-on
regretter la façon un peu rude dont est traitée la peau ; le plâtre
paraît avoir été gratté par un outil, et le bronze en a reproduit
l’aspect fruste et rugueux.
De M. Gustave Michel, dont on connaît, au Luxembourg, la
ligure de jeune fille, si pleine de poésie et de charme virginal,
deux bustes en plâtre, un portrait d’enfant et un portrait
d’homme.
L'Apprenti, de M. Roger Bloche, est une belle et noble figure
de jeune homme, de grandeur naturelle. La facture, comme
dans les groupes placés à l’entrée du Musée du Luxembourg,
en est simplifiée et presque synthétisée, au point qu’on
pourrait peut-être lui reprocher de perdre en vérité et en vie ce
qu’elle gagne par là en distinction et en grandeur décorative.
Ce parti pris de plans nettement accusés et de grandes lignes,
où l’on devine l’intention de l’artiste d’exécuter son œuvre en
bronze, ne conviendrait-il pas mieux au bois, matière qui ne se
prête pas à la même souplesse, mais aussi moins froide et plus
vivante ?
M. Derré a voulu faire d’un groupe d’amants- étroitement
enlacés au fond d’une grotte, le but d’un « Pèlerinage d’amour ».
Un tronc placé à côté, destiné à soulager les misères des filles
mères, est surmonté d’un buste de femme embrassant son enfant.
Dans l’esprit de M. Derré, les pèlerins d’amour voudront venir
en aide aux victimes de l’amour, et cette idée généreuse est, de
plus, intéressante pour ceux que préoccupe le rôle de l’art dans
la société. La sculpture de M. Derré répond bien à ce qu’en a
voulu faire l’artiste; elle est populaire et elle a les qualités et les
défauts de ce caractère. D’un symbolisme simple et touchant,
facile à saisir et bien faite pour frapper les imaginations naïves,
la facture en est large et souple, mais sans grande finesse, et
cela est vrai surtout du groupe des amants, moins vrai et d’un
sentiment moins profond que le buste de femme qui le com-
plète.
L’exposition de M. le prince Troubetskoï tient une place
très importante au Salon d’Automne. Elle se présente au premier
abord comme une série d’ébauches très habiles et rapidement
indiquées ; mais on n’a pas l’impression que l’arliste ait jamais
eu l’intention de les achever. Pour lui, elles sont achevées, il
lui suffit qu’elles expriment le caractère changeant des sil-
houettes variées qui font la vie autour de nous, et c’est ce qui
en fait le premier charme. Les chiens, les loups, les cavaliers
arrêtés un instant et prêts à repartir au galop, les rennes de
Laponie, et quelques figures de femmes et d’enfants, se prêtent
bien, lorsqu'ils restent dans des proportions très réduites,
à ces rapides annotations de vie et de mouvement. Les princi-
paux plans, les lignes caractéristiques, indiquées d’une façon
nerveuse et quelquefois exagérée, voilà ce qui séduit dans les
œuvres de cet artiste. C’est dans le portrait de Tolstoï à che-
val, dont le Luxembourg possède un exemplaire, que se trou-
vent condensées le plus heureusement ces qualités si person-
nelles. Mais on peut se demander si les mêmes qualités ne
deviennent pas des défauts dans des figures plus grandes, où
plus d’observation et de précision, on pourrait presque dire
plus de soin, sont la condition d’une œuvre durable et défini-
tive. Sauf le très beau buste de Tolstoï, où l’artiste a mis
plus de vérité et d’émotion, en même temps que de science
technique, les groupes et les portraits de grandeur natu-
relle présentent un caractère d’inconsistance et de faiblesse,
I et paraissent comme des apparitions fugitives peu faites pour
rester.
En mentionnant encore les animaux de MM. Sanchez et
Navellier, pleins de vie et d’observation consciencieuse, nous
aurons fixé le souvenir de ce que les sculpteurs du Salon d’Au-
tomne ont exposé d’intéressant et de vraiment nouveau.
H. V.
EXPLICATION DES PLANCHES
(Nos 4361 à 4868)
Planche 4361. — Peignes liturgiques : Fig. 1. xe siècle.
Trésor de la cathédrale de Nancy (haut. 236 millim.).— Fig. 2.
xii° siècle. Provenant de l’Abbaye de Stavelot (Musée de la
Porte de Ham, à Bruxelles) (haut. 3o cent.).— Fig. 3. xi° siècle.
Art allemand (Musée du Louvre) (haut, tg5 millim., largeur
io5 millim.). — Fig. 4. xn° siècle. Trésor de la cathédrale de
Sens (haut. 122 millim.).
Planche 4362.— Médaillons : Médéric de Vie, par Fre'my ;
Pierre Jeannin, par Guillaume Dupré.
Guillaume Dupré est né à Sissonne, près de Laon, vers
1574; il est mort à Paris le 8 juin 1647. Il avait épousé,
vers 1600 ou 1601, la fille de son ami, et probablement de
son maître, Barthélemy Prieur, protestant comme lui. Il
était sculpteur et valet de chambre du roi, et devint, en 1604,
contrôleur général des effigies des monnaies et commissaire
général des fontes de l’artillerie. Son fils, Abraham Dupré, habile
graveur de médailles, lui succéda dans ses charges. Guillaume
Dupré était particulièrement entendu au maniement du bronze.
Dussieux, dans ses Artistes français à Y étranger, suppose que
la belle statue de bronze du prince Viclor-Amédée Ier de Savoie,
signée Dupré, qui est au Palais-Royal de Turin, est de ce grand
maître; on sait que le duc avait épousé la fille de Henri IV. En
France, nous n’avons de son talent de sculpteur qu’un seul té-
moignage certain : le buste de Dominique de Vie, vicomte d’Er-
menonville, récemment acquis par le Louvre, morceau d’une
grande fermeté d’exécution, d’un caractère simple et franc, sans
maniérisme, signé et daté de 1610.
Mais la gloire de Dupré est dans les médailles. Il nous en a
laissé une soixantaine, —-la plupart signées et obtenues au pro-
cédé de la fonte, comme les médaillons italiens.
La première médaille datée est de 1597. Elle représente, au
droit, Henri IV en Hercule, et, au revers, Gabrielle d’Estrées.
Dupré a d’ailleurs fait plusieurs médailles à l’effigie royale. La
plus remarquable est la grande médaille du Cabinet de France,
épreuve unique retouchée par l’artiste. Parmi les grands mé-
daillons, on aime à citer le Pierre Jeannin (1618), le Durct de
Cherry, la Marie de Médicis, et surtout, l'Héroard, du Cabinet
de Vienne, et le Brulart de Sillery, du Louvre, les chefs-d’œuvre
de la série. Au-dessus de ces efffigies magistrales, je place ce-
pendant certaines médailles de dimensions plus restreintes et
d’un faire plus précieux encore. La Bibliothèque nationale nous
offre des épreuves de choix du Doge Memmo, du Cardinal Bar
berini, du Louis XIII enfant de 1610 un délicieux morceau, du
Louis XIII de 1623, avec le revers à la Justice. Pour juger
complètement le génie de Dupré, il faut voir certains exem-
plaires de dédicace, en or et en argent, qui ont été recueillis par
notre grand dépôt public.