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Le charivari — 14.1845

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Avril (No. 91-120)
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https://doi.org/10.11588/diglit.17624#0468
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fi» CHARIVARI,

— Que les dieux t'entendent 1 Dorothée ; je vais
me coucher, tu peux en faire autant. »

L'esclave cubiculaire s'éloigna après avoir versé
l'huile vierge dans la lampe nocturne. MIle Rachel se
mit au lit, bailla en trois temps à la manière anti-
que, et s'endormit.

Morphée avait à peine versé un tout petit pavot
sur sa tête qu'un bruit se fait entendre du côté de la
ruelle; Mlle Rachel se réveille, elle veut crier, mais
la terreur fige les paroles sur ses lèvres : les yeux
fixes, les bras tendus, la main tremblante, elle a à
peine la force de diriger son doigt vers le fond de
l'alcôve.

Un homme est là qui la couve des yeux, qui la
menace d'une arme qu'il tient à la main. Le fantô-
me s'avance vers elle.

« Enfin, lui dit-il, tu ne pas m'échapperas pas !

— Ociell

— Pour quelques heures, tu m'appartiens.

— Que voulez-vous dire? Si vous approchez, je
sonne.

— J'ai coupé le cordon de la sonnette, tes esclaves
dorment, je suis ton maître.

— Pitié, » murmura Mlle Rachel, et elle s'évanouit
en poussant trois soupirs comme l'exige la tradition.

Le fantôme qui était un monsieur passablement
couvert, prit tranquillement la veilleuse, la mit sur
une table près du lit, et déploya l'arme qu'il tenait
à la main. Cette arme était un manuscrit.

Le monsieur se prépara paisiblement un verre
d'eau sucrée, toussa, cracha et commença en ces
termes :

IiA VESTALE,

Tragédie en cinq actes et en vers.

SCÈNE PREMIÈRE.

CINNA, LICIMUS.
CINNA.

Devant ce temple auguste à Vesta consacré
Pourquoi Licinius devance-t-il l'aurore?

LICINIUS.

J'y viens pour contempler un objet que j'adore
Et m'enivrer du feu de son regard sacré.
Oui, Cinna...........................

Un ronflement à la Glytemnestre se fit entendre ;
c'était Mlle Rachel qui, revenue de son évanouisse-
ment, avait reconnu l'individu qui la poursuivait
pour lui lire sa tragédie. Voyant qu'elle avait affaire
à un tragique, elle se dit : « Je puis dormir tran-
quille, » et elle se mit à ronfler.

« Diable, diable, murmura le tragique, je croyais
avoir bien pris mes précautions pour la forcer à
m'écouter, je n'avais pas compté sur Morphée. Je ne
puis pas lire à la fois ma tragédie et lui parler pour
l'empêcher de dormir. Comment faire? Continuons,
peut-être cela la réveillera. »

Il se mit à déclamer le premier acte à haute voix.
Mlle Rachel dormait.

Il mit deux dièzes de plus à sa voix au troisième
acte. MUe Rachel dormait encore.

Au quatrième acte, il se mit à marcher dans la
chambre en déclamant la tirade du grand-prêtre :
g&< Arrachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs!

Cette fois, MUe Rachel se réveilla juste au moment
où le tragique renversait le feu de Vesta sur la table
dans la personne de la veilleuse. Malheureusement
les esclaves de Mlle Rachel se réveillèrent aussi.

Dorothée accourût suivi de tous les valets. Ils
voulaient faire un mauvais parti à l'homme qui s'é-
tait introduit chez leur maîtresse.

« Epargnez-le, dit-elle, ce n'est pas un homme,
c'est un tragique. Qu'on le mette poliment dehors.
Seulement pour éviter à l'avenir de pareilles surpri-
ses, j'exigerai de mon propriétaire qu'il renvoie son
Janitor. »

Nos lecteurs connaissent l'inqualifiable discours
que M. de Langle a prononcé hier à propos du duel,
à la chambre des députés, et dans lequel il n'a pas
craint d'attaquer de la manière la pins vive, pour

ne pas dire plus, un de ses collègues absent, M.
Ledru-Rollin, au sujet d'un article publié par cet
honorable député dans la Réforme. Un membre du
centre gauche a dit, lorsque l'orateur matamore est
descendu de la tribune : « M. de Langle conclut,
au fond, contre la nécessité d'une loi répressive du
duel ; mais il conclut pour dans la forme. »

» l'autre, et ma compagnie de voltigeurs reçut la
» croix. Voilà comme quoi je suis décoré. »

Ah! c'est égal; quand on pense qu'un ministère
qui progresse de cette façon est sur le point d'opérer
une chute complète, cela fait mal. Encore s'il nous
en restait un simple rejeton pour graine 1... Mais
non : il tombera, comme il décore, en masse.

Un incroyable coup d'État vient d'être frappé en
Algérie contre le journal Y Afrique, en la personne
de ses correspondans, MM. Belly et Dru. Une per-
quisition a été faite chez eux à cinq heures du ma-
tin, et les agens de police ont fouillé tous leurs pa-
piers pour lire ce qui était relatif à la correspon
dance.

Les journaux de l'opposition demandent qu'il soit
fait justice de cet acte de violence qu'un brutal sol-
dat a pu seul se permettre. Au point où en est ar-
rivé la légalité, nous aimons mieux, nous, remercier
M. Bugeaud de ce qu'une fois en train il n'a point
fait pendre les deux correspondans au palmier le
plus voisin.

01 MASSE DE CROIX DONNÉES EN MASSE.

Jusqu'à présent on donnait la croix d'honneur à
tout le monde ; mais du moins la donnait-on à cha-
cun en particulier. M. Salvandy vient d'introduire,
dans le mode de distribution de cet ingrédient cons-
titutionnel, un changement radical (pardon du mot).
On décorera maintenant des masses en général.

Les inspecteurs de l'Université étaient tous cheva*
liers; qu'est-ce que cela? M. Salvandy, convaincu
que la rosette manquait à leur boutonnière, les a
nommés en bloc officiers de la Légion-d'Honneur;
c'est plutôt fait.

Voici donc le jeu de nos institutions débarrassé
d'un rouage difficile. Les décorations iront désor-
mais toutes seules ; il suffira, pour recevoir la croix,
de faire partie d'une catégorie quelconque.

Le ministère dira : Les électeurs de tel canton sont
nommés chevaliers de la Légion-d'Honneur en rai-
son du service qu'ils peuvent nous rendre en votant
prochainement pour notre candidat.

Les capitaines de tel régiment sont promus au
grade d'officier de la Légion-d'Honneur.

La première légion de la garde nationale de Paris
est décorée, attendu la persistance de son attache-
ment pour son général en chef.

La ville de Lisieux est nommée officière de la Lé-
gion-d'Honneur (elle doit être chevalière au com-
plet).

La chambre des députés est nommée tout ce qu'elle
voudra.

A la bonne heure ! voilà qui va rehausser davan-
tage le mérite et la considération qui se détachaient
passablement de la croix d'honneur. Quand on de-
mandera à un décoré l'action qui lui a valu le cor-
don rouge, le décoré répondra : « Noble étranger...»

Règle générale : tout homme qui demande la
cause d'une décoration est un étranger, les indigènes
sachant très bien ce qu'il en retourne et n'éprouvant
nul besoin d'information.

«... Noble étranger, j'aunais quelques mètres de
» calicot dans ma boutique de la rue Saint-Martin,
» quand j'appris que mon.; capitaine venait de faire
» un bon mot qui avait fait sourire les Tuileries ;
» d'autre part, un pauvre ouvrier, mon voisin, avait
» sauvé trois personnes qui se noyaient ; il fallait
» bien récompenser le courage de l'un et l'esprit de

Talleyrand disait qu'il est souvent moins dange-
reux de violer les lois de son pays que celles de la
grammaire. Un incident récent a failli donner raison
à cet immoral paradoxe.

Un grenadier de la lre légion, fournisseur de la
Liste-Civile, s'était foulé le pied. Son tambour lui
apporte un billet de garde. « Mon brave, lui dit le
guerrier-citoyen, avertissez mon capitaine qUe je
monterai la garde quand rna jambe sera guérite. »

L'homme à la peau d'âne transvase textuellement
cette réponse au capitaine, jeune traîneur de sabre
de la plus haute volée, qui en fait part à M. Jacque-
minot, qui narre la chose à M. Montalivet. C'est de
l'insubordination 1 c'est de l'anarchie, il faut faire
un exemple.

Le Château demande son compte au fournisseur
qui s'étonne de cet empressement insolite ; mais de
nouvelle commande pas un mot. Heureusement, on
n'a pas des députés pour rien : notre homme en
fait mouvoir plusieurs, on s'explique sans se com-
prendre, et enfin, après bien des pourparlers, on
trouve le mot de l'énigme. Le grenadier-fournisseur,
qu'on accusait d'avoir audacieusement tourné en dé-
rision la discipline et tout ce qui s'ensuit, n'était
coupable que d'une infraction aux règles delà langue
française. C'est une peccadille qu'on pardonne faci-
lement à la cour, et pour cause.

LES MALHEURS D'UN CHOREGRAPHE HEUREUX.

Nous avons chanté la joie, il
nous faut chanter la tristesse.

Elle est venue, elle s'est ma- j
riée, elle est partie.

— Qui?

— Èh! parbleu! MUe Cerito. j
Voilà soixante et douzeheures que
M. Guillaume est évanoui et vous
ne le saviez pas !

Ce départ a jeté la consterna-
tion dans le cœur de toutes ies

jumelles. Les binocles et'les monocles pleurent com-
me une élégie. Les lorgnettes parlent de se suicider.
0 Terpsycore, voilà de tes coups !

On sait quels préparatifs avaient été faits pour
recevoir la diva Balerina ; M. de Rambuteau était
tout frisé de frais, M. Guillaume tout confi dans la j
vanille et le patchouli, le jabot de M. de Saint-Georges |
flamboyait comme une comète. Chaque jour un lion
montait sur les tours de Notre-Dame et regardait au
loin sur la route de Calais. On moissonnait des ma-

Idrigaux au jockei's-club; les avant-scènes de l'Opéra
étaient en permanence.
Tout à coup une nouvelle se répand. On dit, et
sans effroi je n'ose le redire, que Mlle Cerito est ar-
rivée incognito, trompant toutes les sentinelles et
l'œil vigilant des rats, qu'elle s'est mariée et qu'elle
est repartie.

A cette nouvelle, l'Opéra tout entier a frémi com-
me un seul homme ; l'ombre de Vestris s'est éva-
nouie dans les bras du fantôme de Camargo, Peùpa
a presque pâli et M. Guillaume, échevelé, n'a dit
qu'un mot parodié d'Henri IV : « Elle s'est mariée, et
je n'y étais pas ! »

Cependant M. Guillaume a rassemblé tout soQj
courage ; il s'est raidi contre la douleur et il a "»>
avec ce calme effrayant qui est l'énergie du déses^.
poir: « J'attendrai. »>
En conséquence, il n'a pas attendu.

(La suite à la ie page.).
 
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