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Boespflug, François; Załuska, Yolanta: Le Prologue de l'Évangile selon saint Jean dans l'art médiéval (IX-XII siecle): L'image comme "commentaire"
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tant une longue banderole avec Aperi (Vlg: dila-
ta) os tuum et implebo illud (“Ouvre large ta bouche
et je 1’emplirai”: Ps 80, 11); un verset analogue, mais
emprunte a Sir 15, 5, faisait autrefois Pintroit de la
fete de l’evangeliste le 27 decembre125; la bandero-
le descend sur un grand personnage trónant sur un
cercie, dans lequel on serait d’abord tente de voir le
Verbe, tellement il est majestueux; mais ce person-
nage n’a pas le nimbe crucifere, et il serait vraiment
paradoxal que Dieu le Pere doive remplir (de parole)
la bouche ouverte de son Verbe — qui est precise-
ment sa Parole. II parait plus juste, en fin de compte,
d’identifier le personnage assis avec saint Jean
l’evangeliste, magnifie en raison de 1’acuite et de
1’ampleur proprement divines de son inspiration; en
bas de la lettre se tient son symbole, un aigle ma-
gnifique, en 1’occurrence, tenant lui aussi un phy-
lactere non inscrit.
Dans une Bibie du XIIIe siecle conservee a Ma-
yence (SB, Hs II 69, f. 38lv)126, 1’initiale du
quatrieme evangile fait voir un saint Jean en pied,
en position ascendante, brandissant des deux mains
levees au-dessus de la tete un medaillon avec une
Majeste en buste; cet envol de Jean, aux pieds du-
quel se tient son aigle, exprime de faęon plastique-
ment reussie son role de visionnaire de la vie
mysterieuse de Dieu.
2.5. Le role createur du Verbe
Les relations iconographiques entre Prologue et
recit de la Creation ne doivent rien au hasard, ils
sont commandes par la theologie. Fondement de la
christologie traditionnelle, le Prologue est lui-meme
une relecture de la Genese dans la mesure ou il af-
firme que Dieu agit dans et par son Verbe, et que la
125 “In medio ecclesie aperuit os eius et implevit eum Dominus
spiritu sapientiae et intellectus stolam gloriae mduit eum”; voir
Hamburger, op. cit., p. 98.
126 Cat. d’expo, Bibelhandschriften aus fiinf Jahrhunderten,
Mainz, Stadtbibliothek, 1993, n° 6, avec 1’attribution a la France
du Nord ou a une region frontaliere franco-allemande, et une
datation “vers 1270” peut-etre trop tardive.
127 Sur 1’ensemble formę au Moyen Age par ces ąuatre Sym-
boles, voir Pensee, image et communication en Europę medie-
vale. A propos des stalles de Saint-Claude (Actes du coli. intern,
de Lons-Le-Saulnier et Saint-Claude, sept. 1990), Besanęon
1993; sur leur place dans 1’iconographie, voir Fr. Bcespflug,
“Autour de la traduction picturale du Credo dans FOccident
medieval (XIIe—XVe siecle)”, dans P. De Clerck et E.
Palazzo, ed., Rituels (Melanges offerts au Pere Gy), Paris
1990, p. 55-84.
128 Ce verset est inscrit sur la banderole tenue par les Trois
de la Trinite triandriąue du Hortus deliciarum: Boespflug et
Załuska, “Le dogme trinitaire..p. 190.
Creation est donc accomplie par ce Verbe: omnia per
ipsum facta sunt et sine ipso factum est nihil (Jn 1,
3). Soutenue egalement par Paul a propos du Christ
(“Car c’est en lui que tout fut cree [...] Tout a ete
cree pour Lui et par Lui...”: Col 1, 15-18), cette
affirmation fut introduite dans le Credo de Nicee-
Constantinople, a la fin de 1’ “article de foi” concer-
nant la Deuxieme Personne avant son Incarnation
(per quem omnia facta sunt). Precisons toutefois que
la Creation par le Verbe ne vient pas contredire d’au-
tres modus dicendi traditionnels, tel celui que Fon
trouve dans le Symbole des Apótres, autre Credo
referentiel, qui attribue la Creation a Dieu le Pere
(“Je crois en Dieu, le Pere tout puissant, createur du
ciel et de la terre...”), tandis que les deux autres
symboles ayant eu valeur de reference en Occident,
FAthanasium et le Fmniter promulgue au concile de
Latran IV127 insistent, ce dernier contrę les Albi-
geois, sur la participation de toute la Trinite a
l’oeuvre creatrice, un point de doctrine traditionnel
lui aussi, appuye sur quelques versets de 1’Ecriture,
comme Gn 1, 26 et son pluriel suggestif (“Faisons
1’homme a notre image...”)128, et defendu sans
relache, notamment chez les Latins, depuis Augustin
(“Chacun [des Trois] est Dieu et tout-puissant129”)
jusqu’a Thomas d’Aquin en passant par Pierre Lom-
bard130 .
II reste que jusqu’aux derniers siecles du Moyen
Age, la plus repandue des deux “representations”,
dans les deux sens du mot, a ete que le monde fut
appele a l’existence par le Verbe de Dieu et en lui.
Ldconographie, jusque vers la fin du XIVe siecle,
presente generalement le Createur sous les traits du
Christ (ainsi dans le frontispice des exemplaires de la
Bibie moralisee du xme siecle131), ce qui revient a affir-
mer 1’unite du Createur et du Sauveur132. Deja les
129 Augustin, La Cite de Dieu..., XI, 24, p. 107.
130 G. Emery, La Trinite creatrice. Trinite et creation dans
les commentaires aux Sentences de Thomas d’Aquin et de ses
precurseurs Albert le Grand et Bonaventure, Paris, 1995.
131 Vienne, ÓNB, Cod. 2554, £ lv; Cod. 1179, £ lv; Tolede,
Tresor de la cathedrale, “Bibie de saint Louis, 1.1, f. lv ; Oxford,
Bodleian Library, ms 270, f. lv: Y. Chris te, “L’Hexameron
dans les Bibles moralisees de la premiere moitie du XIIIe siecle”,
Cahiers archeologiąues, 47, 2000, p. 177—198.
132 II est vrai que la figurę de Dieu le Pere ne se distingue
pas nettement ni couramment de celle du Fils avant le XIIe
siecle au plus tot; et jusqu’au XIVe siecle, le Createur jeune reste
frequent dans 1’iconographie. II est donc difficile de dire si une
telle figurę de Createur est une “appropriation” de la Creation
au Verbe, ou, plus simplement, un recours a la figurę de Dieu-
Christ pour designer le Pere tout puissant, Createur du ciel et
de la terre...
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ta) os tuum et implebo illud (“Ouvre large ta bouche
et je 1’emplirai”: Ps 80, 11); un verset analogue, mais
emprunte a Sir 15, 5, faisait autrefois Pintroit de la
fete de l’evangeliste le 27 decembre125; la bandero-
le descend sur un grand personnage trónant sur un
cercie, dans lequel on serait d’abord tente de voir le
Verbe, tellement il est majestueux; mais ce person-
nage n’a pas le nimbe crucifere, et il serait vraiment
paradoxal que Dieu le Pere doive remplir (de parole)
la bouche ouverte de son Verbe — qui est precise-
ment sa Parole. II parait plus juste, en fin de compte,
d’identifier le personnage assis avec saint Jean
l’evangeliste, magnifie en raison de 1’acuite et de
1’ampleur proprement divines de son inspiration; en
bas de la lettre se tient son symbole, un aigle ma-
gnifique, en 1’occurrence, tenant lui aussi un phy-
lactere non inscrit.
Dans une Bibie du XIIIe siecle conservee a Ma-
yence (SB, Hs II 69, f. 38lv)126, 1’initiale du
quatrieme evangile fait voir un saint Jean en pied,
en position ascendante, brandissant des deux mains
levees au-dessus de la tete un medaillon avec une
Majeste en buste; cet envol de Jean, aux pieds du-
quel se tient son aigle, exprime de faęon plastique-
ment reussie son role de visionnaire de la vie
mysterieuse de Dieu.
2.5. Le role createur du Verbe
Les relations iconographiques entre Prologue et
recit de la Creation ne doivent rien au hasard, ils
sont commandes par la theologie. Fondement de la
christologie traditionnelle, le Prologue est lui-meme
une relecture de la Genese dans la mesure ou il af-
firme que Dieu agit dans et par son Verbe, et que la
125 “In medio ecclesie aperuit os eius et implevit eum Dominus
spiritu sapientiae et intellectus stolam gloriae mduit eum”; voir
Hamburger, op. cit., p. 98.
126 Cat. d’expo, Bibelhandschriften aus fiinf Jahrhunderten,
Mainz, Stadtbibliothek, 1993, n° 6, avec 1’attribution a la France
du Nord ou a une region frontaliere franco-allemande, et une
datation “vers 1270” peut-etre trop tardive.
127 Sur 1’ensemble formę au Moyen Age par ces ąuatre Sym-
boles, voir Pensee, image et communication en Europę medie-
vale. A propos des stalles de Saint-Claude (Actes du coli. intern,
de Lons-Le-Saulnier et Saint-Claude, sept. 1990), Besanęon
1993; sur leur place dans 1’iconographie, voir Fr. Bcespflug,
“Autour de la traduction picturale du Credo dans FOccident
medieval (XIIe—XVe siecle)”, dans P. De Clerck et E.
Palazzo, ed., Rituels (Melanges offerts au Pere Gy), Paris
1990, p. 55-84.
128 Ce verset est inscrit sur la banderole tenue par les Trois
de la Trinite triandriąue du Hortus deliciarum: Boespflug et
Załuska, “Le dogme trinitaire..p. 190.
Creation est donc accomplie par ce Verbe: omnia per
ipsum facta sunt et sine ipso factum est nihil (Jn 1,
3). Soutenue egalement par Paul a propos du Christ
(“Car c’est en lui que tout fut cree [...] Tout a ete
cree pour Lui et par Lui...”: Col 1, 15-18), cette
affirmation fut introduite dans le Credo de Nicee-
Constantinople, a la fin de 1’ “article de foi” concer-
nant la Deuxieme Personne avant son Incarnation
(per quem omnia facta sunt). Precisons toutefois que
la Creation par le Verbe ne vient pas contredire d’au-
tres modus dicendi traditionnels, tel celui que Fon
trouve dans le Symbole des Apótres, autre Credo
referentiel, qui attribue la Creation a Dieu le Pere
(“Je crois en Dieu, le Pere tout puissant, createur du
ciel et de la terre...”), tandis que les deux autres
symboles ayant eu valeur de reference en Occident,
FAthanasium et le Fmniter promulgue au concile de
Latran IV127 insistent, ce dernier contrę les Albi-
geois, sur la participation de toute la Trinite a
l’oeuvre creatrice, un point de doctrine traditionnel
lui aussi, appuye sur quelques versets de 1’Ecriture,
comme Gn 1, 26 et son pluriel suggestif (“Faisons
1’homme a notre image...”)128, et defendu sans
relache, notamment chez les Latins, depuis Augustin
(“Chacun [des Trois] est Dieu et tout-puissant129”)
jusqu’a Thomas d’Aquin en passant par Pierre Lom-
bard130 .
II reste que jusqu’aux derniers siecles du Moyen
Age, la plus repandue des deux “representations”,
dans les deux sens du mot, a ete que le monde fut
appele a l’existence par le Verbe de Dieu et en lui.
Ldconographie, jusque vers la fin du XIVe siecle,
presente generalement le Createur sous les traits du
Christ (ainsi dans le frontispice des exemplaires de la
Bibie moralisee du xme siecle131), ce qui revient a affir-
mer 1’unite du Createur et du Sauveur132. Deja les
129 Augustin, La Cite de Dieu..., XI, 24, p. 107.
130 G. Emery, La Trinite creatrice. Trinite et creation dans
les commentaires aux Sentences de Thomas d’Aquin et de ses
precurseurs Albert le Grand et Bonaventure, Paris, 1995.
131 Vienne, ÓNB, Cod. 2554, £ lv; Cod. 1179, £ lv; Tolede,
Tresor de la cathedrale, “Bibie de saint Louis, 1.1, f. lv ; Oxford,
Bodleian Library, ms 270, f. lv: Y. Chris te, “L’Hexameron
dans les Bibles moralisees de la premiere moitie du XIIIe siecle”,
Cahiers archeologiąues, 47, 2000, p. 177—198.
132 II est vrai que la figurę de Dieu le Pere ne se distingue
pas nettement ni couramment de celle du Fils avant le XIIe
siecle au plus tot; et jusqu’au XIVe siecle, le Createur jeune reste
frequent dans 1’iconographie. II est donc difficile de dire si une
telle figurę de Createur est une “appropriation” de la Creation
au Verbe, ou, plus simplement, un recours a la figurę de Dieu-
Christ pour designer le Pere tout puissant, Createur du ciel et
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