L’EAU-FORTE.
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n’admet guère les imitateurs et les élèves; — par ailleurs, elle tendait
à intervenir dans l’art classique, elle y prenait place, elle était l’objet
d’une sorte de législation et, victime de la gravure au burin, devenue
son modèle, elle risquait de perdre son originalité.
On a si souvent évoqué le nom du maître hollandais à propos de
Piranesi, en appelant ce dernier le Rembrandt des ruines, et, d’autre
part, l’école française du dix-septième siècle a eu avec l’Italie et les prédé-
cesseurs immédiats de Piranesi des échanges si fréquents, sans qu’il soit
possible de préciser la part des influences réciproques, qu’il est indispen-
sable de nous arrêter sur ces deux points. Nous pourrons ainsi éliminer
un certain nombre d’inexactitudes et d’assimilations hâtives qui obs-
curcissent ces questions.
J’ai signalé plus haut les curieuses analogies de facture et de sen-
timent qui permettent de rapprocher les dessins de Rembrandt de ceux
de Piranesi. Les uns et les autres sont évidemment des dessins de gra-
veur : la plume et la pointe sont maniées dans le même esprit; mêmes
indications de l’effet par de légères teintes plates, hardiment pochées
aux endroits essentiels. Mais le rapprochement doit s’arrêter là, car
au point de vue de l’esprit, du but cherché, des procédés techniques,
il n’y a pas plus de rapport entre Piranesi et Rembrandt qu’entre
Callot et Goya, par exemple.
Rembrandt est à la fois un songeur épique et l’intimiste le plus
pénétré du sens de la tendresse humaine, de la vie intérieure et de la
chaleur familiale. Peintre et graveur, il est sollicité d’abord par le
caractère de la forme humaine et des visages, modelés dans la lumière
et dans l’ombre, par leur groupement en vue d’un effet. Il sent l’étrange
puissance des grandes juxtapositions de blanc et de noir qui caracté-
risent l’eau-forte, il en tire un merveilleux parti. Comment?
Laissons la Pièce aux cent florins, œuvre caressée, où, à l’entente
de l’effet et à la composition de la lumière, vient s’ajouter une exception-
nelle recherche de vérité dans le rendu des matières. Feuilletons au
hasard ces cartons où des croquis de paysage succèdent à des portraits,
à de petites scènes familières, à des souvenirs de la Bible. Ce qui frappe
d’abord, n’est-ce pas l’économie des moyens, eu égard à la richesse des
résultats? Il semble que chaque effort porte pleinement et qu’avec la plus
grande simplicité et, en quelque sorte, sous le plus petit volume possible,
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n’admet guère les imitateurs et les élèves; — par ailleurs, elle tendait
à intervenir dans l’art classique, elle y prenait place, elle était l’objet
d’une sorte de législation et, victime de la gravure au burin, devenue
son modèle, elle risquait de perdre son originalité.
On a si souvent évoqué le nom du maître hollandais à propos de
Piranesi, en appelant ce dernier le Rembrandt des ruines, et, d’autre
part, l’école française du dix-septième siècle a eu avec l’Italie et les prédé-
cesseurs immédiats de Piranesi des échanges si fréquents, sans qu’il soit
possible de préciser la part des influences réciproques, qu’il est indispen-
sable de nous arrêter sur ces deux points. Nous pourrons ainsi éliminer
un certain nombre d’inexactitudes et d’assimilations hâtives qui obs-
curcissent ces questions.
J’ai signalé plus haut les curieuses analogies de facture et de sen-
timent qui permettent de rapprocher les dessins de Rembrandt de ceux
de Piranesi. Les uns et les autres sont évidemment des dessins de gra-
veur : la plume et la pointe sont maniées dans le même esprit; mêmes
indications de l’effet par de légères teintes plates, hardiment pochées
aux endroits essentiels. Mais le rapprochement doit s’arrêter là, car
au point de vue de l’esprit, du but cherché, des procédés techniques,
il n’y a pas plus de rapport entre Piranesi et Rembrandt qu’entre
Callot et Goya, par exemple.
Rembrandt est à la fois un songeur épique et l’intimiste le plus
pénétré du sens de la tendresse humaine, de la vie intérieure et de la
chaleur familiale. Peintre et graveur, il est sollicité d’abord par le
caractère de la forme humaine et des visages, modelés dans la lumière
et dans l’ombre, par leur groupement en vue d’un effet. Il sent l’étrange
puissance des grandes juxtapositions de blanc et de noir qui caracté-
risent l’eau-forte, il en tire un merveilleux parti. Comment?
Laissons la Pièce aux cent florins, œuvre caressée, où, à l’entente
de l’effet et à la composition de la lumière, vient s’ajouter une exception-
nelle recherche de vérité dans le rendu des matières. Feuilletons au
hasard ces cartons où des croquis de paysage succèdent à des portraits,
à de petites scènes familières, à des souvenirs de la Bible. Ce qui frappe
d’abord, n’est-ce pas l’économie des moyens, eu égard à la richesse des
résultats? Il semble que chaque effort porte pleinement et qu’avec la plus
grande simplicité et, en quelque sorte, sous le plus petit volume possible,