CHAPITRE IV
LA MATURITÉ
(1761-1778)
I
L’artiste a quarante ans. Suspendons un instant le récit de cette
existence pour essayer d’en dégager les différents aspects moraux,
pour nous demander dans quelle mesure il est juste de rapprocher
l’homme qu’est Piranesi de ses ancêtres de la Renaissance, — ces libres
génies à qui on l’a souvent comparé pour l’autorité du caractère et
la fougue des passions.
Leur vie est pleine d’un luxe d’événements et de circonstances qui
s’ajoute au luxe même de leurs oeuvres et qui en reflète l’éclat. Ils se
dispersent, ils se prodiguent avec une générosité que rien ne lasse.
D’une âme égale, ils touchent à mille objets, et la multiplicité de leurs
dons n’ôte rien à l’unité de leur génie. Comme le poète, ils semblent
l’écho sonore de toutes les rumeurs de leur siècle, ils en réfléchissent
tous les chatoiements. Cellini, dont le nom s’évoque ici naturellement,
a vécu avec une ardeur parfois frénétique. Il est avide d’occasions et
d’aventures, pour lui-même et pour son art. Il est sans cesse à la
recherche de nouveaux domaines pour y étendre sa royauté, et plu-
sieurs existences d’hommes seraient comblées de tout ce qu’il a mis
dans la sienne. Chaque conquête de son ambition, loin de la satisfaire,
élargit encore ses projets. A travers les orages d’une époque et d’une
vie pleines de tumulte, ses œuvres, nées avec aisance de ses caprices
étincelants, se succèdent au hasard comme les perles d’un collier
PIRANESI. 12
LA MATURITÉ
(1761-1778)
I
L’artiste a quarante ans. Suspendons un instant le récit de cette
existence pour essayer d’en dégager les différents aspects moraux,
pour nous demander dans quelle mesure il est juste de rapprocher
l’homme qu’est Piranesi de ses ancêtres de la Renaissance, — ces libres
génies à qui on l’a souvent comparé pour l’autorité du caractère et
la fougue des passions.
Leur vie est pleine d’un luxe d’événements et de circonstances qui
s’ajoute au luxe même de leurs oeuvres et qui en reflète l’éclat. Ils se
dispersent, ils se prodiguent avec une générosité que rien ne lasse.
D’une âme égale, ils touchent à mille objets, et la multiplicité de leurs
dons n’ôte rien à l’unité de leur génie. Comme le poète, ils semblent
l’écho sonore de toutes les rumeurs de leur siècle, ils en réfléchissent
tous les chatoiements. Cellini, dont le nom s’évoque ici naturellement,
a vécu avec une ardeur parfois frénétique. Il est avide d’occasions et
d’aventures, pour lui-même et pour son art. Il est sans cesse à la
recherche de nouveaux domaines pour y étendre sa royauté, et plu-
sieurs existences d’hommes seraient comblées de tout ce qu’il a mis
dans la sienne. Chaque conquête de son ambition, loin de la satisfaire,
élargit encore ses projets. A travers les orages d’une époque et d’une
vie pleines de tumulte, ses œuvres, nées avec aisance de ses caprices
étincelants, se succèdent au hasard comme les perles d’un collier
PIRANESI. 12