LE STYLE PIRANESI.
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duit celui que l’on trouve gravé dans les Antichità d’Ercolano, d’après
une fresque. Les autres meubles sont d’une facture plus complexe. Les
souvenirs de l’antique y apparaissent vivants et fleuris : une curieuse
inspiration naturaliste vient rajeunir les motifs. Des coquilles, des guir-
landes, des dauphins interviennent dans la composition et la parcou-
rent de courbes gracieuses. Les torchères et les flambeaux sont parti-
culièrement heureux : ils ont pour prototypes les grotesques, leur grâce
flexible, leur aérienne maigreur. La matière étirée et assouplie n’a
presque plus de volume ni de poids : il y en a juste assez pour fixer le
schéma d’un mouvement hardi dans une tige mince dont l’extrémité
s’épanouit à peine.
Est-ce à dire que ces meubles soient « rococos » autant qu’antiques?
Lianes bouclées, branches de roses, médaillons suspendus à des guir-
landes, rinceaux fleuris, ce sont là sans doute des éléments que les pré-
décesseurs de Piranesi ont longtemps utilisés, mais n’ont-ils pas eux
aussi leurs modèles dans les peintures des grottes et dans les stucs, sur
lesquels les ont copiés, bien avant les décorateurs baroques et leurs dis-
ciples de l’art rococo, Jean d’Udine et Benvenuto Cellini? Il serait, je
crois, plus exact de faire une part dans cette traduction vivante de
l’antique aux origines vénitiennes de Piranesi. Les flambeaux en mon-
trent plus d’une preuve : certains d’entre eux semblent conçus, non
pour le métal, mais pour le verre, et rappellent les caprices extraordi-
naires des artisans de Murano, ces continuateurs paradoxaux de la fan-
taisie cellinienne, subtils inventeurs de monstres. Rien de plus frappant
à cet égard que les bobèches à torsades posées en équilibre sur des vo-
lutes le long desquelles rampe un insecte, ou encore le dauphin tradi-
tionnel dont la queue s’évase comme une petite nef et qui, le corps
redressé au-dessus de la tète, s’enfonce au sein des mers.
Avec son puissant italianisme, le style Piranesi, surtout si on
l’étudie dans les cheminées, se présente comme la tentative la plus
énergique faite par l’art latin pour se rajeunir en remontant à ses ori-
gines. C’est la première fois qu’un homme prend sur le terrain où ils
gisent abandonnés les débris de la grandeur romaine, s’en saisit sans les
soumettre à une interprétation et les présente dans toute leur authenti-
cité. Serrés les uns contre les autres et s’escaladant comme s’ils étaient
doués de vie, ces fragments ne sont pas sans évoquer l’entassementpro-
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duit celui que l’on trouve gravé dans les Antichità d’Ercolano, d’après
une fresque. Les autres meubles sont d’une facture plus complexe. Les
souvenirs de l’antique y apparaissent vivants et fleuris : une curieuse
inspiration naturaliste vient rajeunir les motifs. Des coquilles, des guir-
landes, des dauphins interviennent dans la composition et la parcou-
rent de courbes gracieuses. Les torchères et les flambeaux sont parti-
culièrement heureux : ils ont pour prototypes les grotesques, leur grâce
flexible, leur aérienne maigreur. La matière étirée et assouplie n’a
presque plus de volume ni de poids : il y en a juste assez pour fixer le
schéma d’un mouvement hardi dans une tige mince dont l’extrémité
s’épanouit à peine.
Est-ce à dire que ces meubles soient « rococos » autant qu’antiques?
Lianes bouclées, branches de roses, médaillons suspendus à des guir-
landes, rinceaux fleuris, ce sont là sans doute des éléments que les pré-
décesseurs de Piranesi ont longtemps utilisés, mais n’ont-ils pas eux
aussi leurs modèles dans les peintures des grottes et dans les stucs, sur
lesquels les ont copiés, bien avant les décorateurs baroques et leurs dis-
ciples de l’art rococo, Jean d’Udine et Benvenuto Cellini? Il serait, je
crois, plus exact de faire une part dans cette traduction vivante de
l’antique aux origines vénitiennes de Piranesi. Les flambeaux en mon-
trent plus d’une preuve : certains d’entre eux semblent conçus, non
pour le métal, mais pour le verre, et rappellent les caprices extraordi-
naires des artisans de Murano, ces continuateurs paradoxaux de la fan-
taisie cellinienne, subtils inventeurs de monstres. Rien de plus frappant
à cet égard que les bobèches à torsades posées en équilibre sur des vo-
lutes le long desquelles rampe un insecte, ou encore le dauphin tradi-
tionnel dont la queue s’évase comme une petite nef et qui, le corps
redressé au-dessus de la tète, s’enfonce au sein des mers.
Avec son puissant italianisme, le style Piranesi, surtout si on
l’étudie dans les cheminées, se présente comme la tentative la plus
énergique faite par l’art latin pour se rajeunir en remontant à ses ori-
gines. C’est la première fois qu’un homme prend sur le terrain où ils
gisent abandonnés les débris de la grandeur romaine, s’en saisit sans les
soumettre à une interprétation et les présente dans toute leur authenti-
cité. Serrés les uns contre les autres et s’escaladant comme s’ils étaient
doués de vie, ces fragments ne sont pas sans évoquer l’entassementpro-