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PIRANESI.
Mais on est plus surpris encore lorsque l’on prend connaissance
de l’article qui fait l’objet du débat. Il est certain que Mariette a lu vite
et mal la Magnificenza. Il a prêté plus d’attention aux questions sou-
levées par le texte qu’au texte même. Il le résume de façon sommaire
et inexacte. « Voici, dit-il, comment M. Piranesi raisonne... Les plus
anciens bâtiments des Romains ont été construits avant que cette nation
eût aucune communication avec les Grecs. Les plus récents sont char-
gés d’ornements et se distinguent par des membres d’architecture de
forme bizarre, qui ne ressemblent en aucune manière aux mêmes
membres dont les Grecs furent les inventeurs. Donc les Romains n’ont
rien emprunté ni rien appris des Grecs; ils ne tiennent d’eux ni la
science de la construction ou la meilleure façon de bâtir, ni le goût de
la décoration... » Remarquons que Piranesi n’a pas nié l’influence de
l’art grec, mais il la croit tardive et funeste. En assimilant délibérément
les Étrusques et les Grecs, Mariette pose un principe encore plus discu-
table que toute la théorie de Piranesi et qui n’en détruit pas la valeur :
« M. Piranesi lui-même convient que lorsque les premiers Romains
voulurent élever les masses de bâtiments dont la solidité nous étonne,
ils furent contraints d’emprunter la main des architectes étrusques
leurs voisins ; autant valait-il dire celle des Grecs, puisque les Étrus-
ques, qui étaient Grecs d’origine, ne savaient des arts et n’en prati-
quaient que ce qui avait été enseigné à leurs pères dans le pays d’où
ils sortaient... » Puis l’auteur, s’élevant à des considérations générales,
les seules que pouvait se permettre un amateur mal préparé, l’on en
conviendra, malgré sa vaste culture, à des discussions archéologiques
de cette importance, s’empare des exemples mêmes qu’alléguait Pira-
nesi pour démontrer la corruption du goût à Rome après la conquête
de la Grèce et croit les retourner contre lui. « L’expérience nous
apprend que les choses ne subsistent pas longtemps dans le même état :
tout, dans ce monde, a sa période de durée. La mode y règne, et elle
y exerce un empire souverain et tyrannique. On a honte de marcher
sur les traces d’un autre : l’amour de la nouveauté l’emporte; on veut
surpasser ses modèles, et c’est toujours aux dépens du bon goût. Il
1769, t. IV, p. 264-275; Archives de P Art français, 15 juillet 1857, p. 168 sq. (â becedario) ;
Histoire des plus célèbres amateurs français : Pierre-Jean Mariette, par Dumesnil, p. 180 sq.
(extraits). Cf. Œuvres de l’abbé Arnaud, Léopold Colin, 1808, I.
PIRANESI.
Mais on est plus surpris encore lorsque l’on prend connaissance
de l’article qui fait l’objet du débat. Il est certain que Mariette a lu vite
et mal la Magnificenza. Il a prêté plus d’attention aux questions sou-
levées par le texte qu’au texte même. Il le résume de façon sommaire
et inexacte. « Voici, dit-il, comment M. Piranesi raisonne... Les plus
anciens bâtiments des Romains ont été construits avant que cette nation
eût aucune communication avec les Grecs. Les plus récents sont char-
gés d’ornements et se distinguent par des membres d’architecture de
forme bizarre, qui ne ressemblent en aucune manière aux mêmes
membres dont les Grecs furent les inventeurs. Donc les Romains n’ont
rien emprunté ni rien appris des Grecs; ils ne tiennent d’eux ni la
science de la construction ou la meilleure façon de bâtir, ni le goût de
la décoration... » Remarquons que Piranesi n’a pas nié l’influence de
l’art grec, mais il la croit tardive et funeste. En assimilant délibérément
les Étrusques et les Grecs, Mariette pose un principe encore plus discu-
table que toute la théorie de Piranesi et qui n’en détruit pas la valeur :
« M. Piranesi lui-même convient que lorsque les premiers Romains
voulurent élever les masses de bâtiments dont la solidité nous étonne,
ils furent contraints d’emprunter la main des architectes étrusques
leurs voisins ; autant valait-il dire celle des Grecs, puisque les Étrus-
ques, qui étaient Grecs d’origine, ne savaient des arts et n’en prati-
quaient que ce qui avait été enseigné à leurs pères dans le pays d’où
ils sortaient... » Puis l’auteur, s’élevant à des considérations générales,
les seules que pouvait se permettre un amateur mal préparé, l’on en
conviendra, malgré sa vaste culture, à des discussions archéologiques
de cette importance, s’empare des exemples mêmes qu’alléguait Pira-
nesi pour démontrer la corruption du goût à Rome après la conquête
de la Grèce et croit les retourner contre lui. « L’expérience nous
apprend que les choses ne subsistent pas longtemps dans le même état :
tout, dans ce monde, a sa période de durée. La mode y règne, et elle
y exerce un empire souverain et tyrannique. On a honte de marcher
sur les traces d’un autre : l’amour de la nouveauté l’emporte; on veut
surpasser ses modèles, et c’est toujours aux dépens du bon goût. Il
1769, t. IV, p. 264-275; Archives de P Art français, 15 juillet 1857, p. 168 sq. (â becedario) ;
Histoire des plus célèbres amateurs français : Pierre-Jean Mariette, par Dumesnil, p. 180 sq.
(extraits). Cf. Œuvres de l’abbé Arnaud, Léopold Colin, 1808, I.