**** ANDRÉ GILL ** 337 **
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La génération de 48, après l'écœurement d'une révolution ratée, pendant
les loisirs débauchés de l'Empire, a commencé l'œuvre de dénigrement par
dégoût, désespérance peut-être, pour s'excuser elle-même.
L'habitude en est venue, la mode : l'usage en a passé dans l'art et dans
la science. Va pour la science dont les analyses décevantes sont compen-
sées par le bien-être des découvertes; mais pour l'Art, l'Art qui doit être
comme un baume appliqué proportionnellement sur les blessures de la
science en perpétuelle démonstration du Néant, l'Art peut-il abandonner sa
mission sacrée, qui est de faire sans cesse éclore, aux champs désolés de la
réalité, l'Illusion, fleur éternelle qui parfume le monde et console la vie?
1848, il est vrai, succédait à 1830, et dans l'ordre naturel des réactions,
devait dédaigner la moisson de gloire que lui avaient léguée les devanciers,
comme on voit, aux années de récolte surabondante, couler le sang de la
vigne aux ruisseaux.
Tant pis! .le regrette les romantiques fureurs des anciens; j'eusse aimé
mieux porter l'écarlate pourpoint de Gautier que le gilet de flanelle des
éreintés de mon temps.
Ah! nous sommes loin du Corrège et de son cri d'enthousiasme : « An-
ch'io son pittor! » devant Raphaël; bien loin, même, de Carpeaux, le grand
statuaire attardé parmi nous, qui, souffrant dé jà du mal dont il devait mourir,
en quittant les galeries du Louvre jetait, au Prisonnier de Michel-Ange, la
rose de sa boutonnière, avec un baiser!...
Le fonds qui manque le plus, c'est l'admiration ; l'admiration, ressort
indispensable! Qui admire est tenté d'égaler, de surpasser... » André Gill.
La veille de l'inauguration du buste de Gill dans la nouvelle impasse de
la rue des Martyrs, M. Ch. Formentin, alors chroniqueur au Jour, émettait
sur l'hommage rendu à l'artiste une idée très personnelle :
« Je voudrais, disait-il en substance, que parmi les admirateurs d'André
Gill qui se grouperont demain autour du monument, il y en eût seulement
un qui pense à rassembler son œuvre éparse dans les journaux, depuis la
Lune d'autrefois jusqu'au Chat noir d'aujourd'hui.
Quel beau livre avec tous ces dessins, toutes ces pages ! »
42
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La génération de 48, après l'écœurement d'une révolution ratée, pendant
les loisirs débauchés de l'Empire, a commencé l'œuvre de dénigrement par
dégoût, désespérance peut-être, pour s'excuser elle-même.
L'habitude en est venue, la mode : l'usage en a passé dans l'art et dans
la science. Va pour la science dont les analyses décevantes sont compen-
sées par le bien-être des découvertes; mais pour l'Art, l'Art qui doit être
comme un baume appliqué proportionnellement sur les blessures de la
science en perpétuelle démonstration du Néant, l'Art peut-il abandonner sa
mission sacrée, qui est de faire sans cesse éclore, aux champs désolés de la
réalité, l'Illusion, fleur éternelle qui parfume le monde et console la vie?
1848, il est vrai, succédait à 1830, et dans l'ordre naturel des réactions,
devait dédaigner la moisson de gloire que lui avaient léguée les devanciers,
comme on voit, aux années de récolte surabondante, couler le sang de la
vigne aux ruisseaux.
Tant pis! .le regrette les romantiques fureurs des anciens; j'eusse aimé
mieux porter l'écarlate pourpoint de Gautier que le gilet de flanelle des
éreintés de mon temps.
Ah! nous sommes loin du Corrège et de son cri d'enthousiasme : « An-
ch'io son pittor! » devant Raphaël; bien loin, même, de Carpeaux, le grand
statuaire attardé parmi nous, qui, souffrant dé jà du mal dont il devait mourir,
en quittant les galeries du Louvre jetait, au Prisonnier de Michel-Ange, la
rose de sa boutonnière, avec un baiser!...
Le fonds qui manque le plus, c'est l'admiration ; l'admiration, ressort
indispensable! Qui admire est tenté d'égaler, de surpasser... » André Gill.
La veille de l'inauguration du buste de Gill dans la nouvelle impasse de
la rue des Martyrs, M. Ch. Formentin, alors chroniqueur au Jour, émettait
sur l'hommage rendu à l'artiste une idée très personnelle :
« Je voudrais, disait-il en substance, que parmi les admirateurs d'André
Gill qui se grouperont demain autour du monument, il y en eût seulement
un qui pense à rassembler son œuvre éparse dans les journaux, depuis la
Lune d'autrefois jusqu'au Chat noir d'aujourd'hui.
Quel beau livre avec tous ces dessins, toutes ces pages ! »
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