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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 10.1893

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Bouchot, Henri: Les salons de 1893, [2]: dessins, gravure, architecture
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https://doi.org/10.11588/diglit.24663#0033

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26

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

grande ouverte à tous les délires. Sans prudhommiser de trop,
ne craint-on pas à la fin que tant de cas morbides offerts à nos
cervelles fatiguées, jetés sous nos yeux comme des rêves mauvais,
n’arrivent à grandir le nombre des cérébraux professionnels? Nous
voici en face d’un problème singulier dont les conséquences n’ont
point encore été justement prévues. C’est que plus une œuvre de
l’esprit se présente comme déréglée, rompant avec les pauvres vieilles
lois de notre entendement, plus elle a chance dépassionner les gens
voués par genre à l’adoration des cas exceptionnels. Le mal n’est
point nôtre, ni très neuf ; on le connaissait au temps d’Andersen,
qui en a fait un ravissant conte.

C’était un grand-duc, chef d’Etat et partant obligé d’entendre un
peu à droite et à gauche pour se garder un terrain électoral. Certain
aigrefin, le sachant naïf et ayant aussi pesé au fond la bêtise et l’orgueil
de son peuple, s’en vint lui proposer une chose extraordinaire. On
avait récemment, disait-il, inventé l’étoffe la plus merveilleuse, la
plus fine, la plus singulière qu’on pût imaginer. Le tissu en était si
impalpable que seuls les gens en état de grâce le pouvaient apercevoir ;
les pécheurs ne le voyaient plus du tout. Voici le grand-duc un peu
gêné quand on lui présenta le fameux drap, car il lui parut qu’on ne
lui montrait rien ; mais, par crainte de froisser un notable fournisseur,
il consentit à laisser prendre mesure, à essayer, et finalement à revêtir
le costume taillé dans l’étoffe sans pareille. Toute la cour fut unanime
à en louer la magnificence, et lui qui ne pouvait s’inscrire en faux
parce qu’il eût ainsi avoué l’état de son âme, se mit en posture
d’aller au temple, à pied par les rues de la ville. Il cheminait fière-
ment sous un dais, portant la couronne et la main de. justice,
provoquant des exclamations enthousiastes, quand un gamin, peu au
fait des subtilités, s’avisa de crier que le prince était nu. Diable ! si
cet enfant, qui ne pouvait avoir péché encore, disait ceci, c’est que
ceci devait être. Alors chacun de penser : Mais oui le prince est nu !
Certains l’osèrent dire, d’autres le répétèrent. A présent personne
n’avait jamais vu autre chose, on s’en voulait d’avoir été dupé, sur-
tout le grand-duc...

Nous en sommes en art, en littérature, en musique à ce pareil
respect humain. Des malins s’extasient parce que leur intérêt est de
s’extasier ; ils ont découvert des formules, des moyens supérieurs, de
sublimes idées. Seuls les bien nés, et les nobles entendements les
peuvent comprendre; que les médiocres raillent, on n’en a souci. Or,
cette crainte d’infériorité mentale et de faiblesse est pesante aux
 
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