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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
n’est ni le « pâle voyou », ni l’inconscient que les combattants de
Juillet envoient lâcher traîtreusement un coup de pistolet aux
officiers de la garde royale, ni Gavroche, ni encore moins le précoce
rôdeur de boulevard extérieur qui aujourd’hui pleure sa « gigolette »
raflée. Du temps de Charlet, l’enfant n’en est encore qu’à s’insurger
contre le maître d’école (Je lesz’haï-t-y les maîtres!), à fiche un pétard
à son chat, à craindre pour ses derrières, et à porter le fusil de monsieur
le grenadier ;
Les « cuirs » du langage militaire. C’a été une des formes les
plus drôles de la légende de Charlet (Arrondissons le poniel z’avec
grâce, Soyons lastiquc!). Joignons-y l’accent paysan, comme dans le
Billet de logement : Allai, suivcii...; Allai, marchai, vous n'y êtes point: :
Suivai tout drait tout au bout de la grande sente, vous tournerai en voire
main draile, puis tout drait un b’Vit quart, d'heure ;
Enfin, le tour proverbial. Ici Charlet triomphe; et certaines de ses
légendes sont restées dans la circulation sans être démonétisées,
jusqu’à nos jours : Ce qu'il y a de meilleur dans l'homme, c'est le chien;
C’est toujours les mêmes qui tient, l'assiette au beurre; Ces infâmes
brigands sont peut-être vertueux; Dieu, mes ennemis politiques! en avant
les guibolles; J'aime mieux être saoul que bête, ça dure moins longtemps;
Jeune, j’avais des dents et pas de pain : vieux, j’ai du pain et pas de dents;
La Morale y perdit un peu, le cabaret y gagna beaucoup; On peut mépriser
l’espèce humaine, mais cracher sur les vendanges, jamais; Prends le temps
comme il vient, et la soupe comme elle est; Sans blague et sans tabac, pas
de soldat ; Vivent les institutions qui assureront mon avenir; Si les chevaux
s’entendaient, quelle révolution! Perdre une quille, c’est rien : mais la
boule, c'est tout! etc.
Le succès de Charlet et sa réputation furent immenses. « A
aucune époque, dit M. Lhomme dans sa juste appréciation sur
Charlet, la faveur publique ne s’est attachée plus étroitement à de
certains hommes qu’aux jours de la Restauration. Les libéraux
d’alors ne marchandaient ni leurs sympathies ni leurs applaudis-
sements à ceux qui combattaient pour eux. On ne s’attachait pas à
examiner de près leurs œuvres; elles traduisaient en termes clairs
les sentiments et les passions dont on était agité, et cela suffisait. »
Charlet fut mis à côté de Béranger. Tous deux font bien la même
chose : celui-ci, quand il parle dans une chanson de « secouer la
poussière qui ternit les nobles couleurs », celui-là quand il montre
dans une lithographie un grenadier de la garde expliquant une image
à un jeune soldat : Tu vois Austerlitz, lui dit-il, au moment du trem-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
n’est ni le « pâle voyou », ni l’inconscient que les combattants de
Juillet envoient lâcher traîtreusement un coup de pistolet aux
officiers de la garde royale, ni Gavroche, ni encore moins le précoce
rôdeur de boulevard extérieur qui aujourd’hui pleure sa « gigolette »
raflée. Du temps de Charlet, l’enfant n’en est encore qu’à s’insurger
contre le maître d’école (Je lesz’haï-t-y les maîtres!), à fiche un pétard
à son chat, à craindre pour ses derrières, et à porter le fusil de monsieur
le grenadier ;
Les « cuirs » du langage militaire. C’a été une des formes les
plus drôles de la légende de Charlet (Arrondissons le poniel z’avec
grâce, Soyons lastiquc!). Joignons-y l’accent paysan, comme dans le
Billet de logement : Allai, suivcii...; Allai, marchai, vous n'y êtes point: :
Suivai tout drait tout au bout de la grande sente, vous tournerai en voire
main draile, puis tout drait un b’Vit quart, d'heure ;
Enfin, le tour proverbial. Ici Charlet triomphe; et certaines de ses
légendes sont restées dans la circulation sans être démonétisées,
jusqu’à nos jours : Ce qu'il y a de meilleur dans l'homme, c'est le chien;
C’est toujours les mêmes qui tient, l'assiette au beurre; Ces infâmes
brigands sont peut-être vertueux; Dieu, mes ennemis politiques! en avant
les guibolles; J'aime mieux être saoul que bête, ça dure moins longtemps;
Jeune, j’avais des dents et pas de pain : vieux, j’ai du pain et pas de dents;
La Morale y perdit un peu, le cabaret y gagna beaucoup; On peut mépriser
l’espèce humaine, mais cracher sur les vendanges, jamais; Prends le temps
comme il vient, et la soupe comme elle est; Sans blague et sans tabac, pas
de soldat ; Vivent les institutions qui assureront mon avenir; Si les chevaux
s’entendaient, quelle révolution! Perdre une quille, c’est rien : mais la
boule, c'est tout! etc.
Le succès de Charlet et sa réputation furent immenses. « A
aucune époque, dit M. Lhomme dans sa juste appréciation sur
Charlet, la faveur publique ne s’est attachée plus étroitement à de
certains hommes qu’aux jours de la Restauration. Les libéraux
d’alors ne marchandaient ni leurs sympathies ni leurs applaudis-
sements à ceux qui combattaient pour eux. On ne s’attachait pas à
examiner de près leurs œuvres; elles traduisaient en termes clairs
les sentiments et les passions dont on était agité, et cela suffisait. »
Charlet fut mis à côté de Béranger. Tous deux font bien la même
chose : celui-ci, quand il parle dans une chanson de « secouer la
poussière qui ternit les nobles couleurs », celui-là quand il montre
dans une lithographie un grenadier de la garde expliquant une image
à un jeune soldat : Tu vois Austerlitz, lui dit-il, au moment du trem-