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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
voisine, etc., etc.). Cette nouvelle manière de Charlet est très caracté-
risée et intéressante.
Mais en somme Charlet est le dessinateur du soldat isolé, et non
de la bataille. Cependant, une occasion se présente d’apercevoir la
guerre. En 1832, Charlet assiste au siège d’Anvers avec son ami le
général de Rigny. Or, Raffet y est aussi, et c’est lui qui va influencer
Charlet, lequel visiblement, dans son curieux album sur le siège
d’Anvers (1833), s’efforce d’imiter son élève. La plus belle pièce de
cet album : Prise du fort Saint-Laurent,est absolument un Raffet. Mais
ceci n’est que passager et les deux, artistes n’en suivront pas moins
deux destinées opposées : Raffet, qui a commencé par des albums à
la Charlet, s’élèvera vers une conception de plus en plus géniale de
la représentation des batailles : il deviendra le. peintre du Fort
M idg rave, de la Revue Nocturne et du Combat d’Oued-Alleg. Charlet,
qui a débuté dans l’art avec une réelle grandeur; puis qui est des-
cendu au joli et au coquet, ne tirera de l’observation de la guerre,
pour finir, qu’un album comico-patriotique, la Vie du caporal Valentin
(un de ces braves soldats que Charlet appelle « la pièce de bœuf du
champ de bataille », parce qu’elle « nourrit bien le feu »), dans lequel il
mettra toute sa réserve de drôlerie. Mais cet album retarde : il en
est encore au comique de la Restauration, au moment où le dessin de
mœurs et la caricature s’épanouissent dans le Charivari avec Gavarni
et Daumier!
Charlet, sous le gouvernement de Juillet, était au faite de la répu-
tation; on le considérait comme un homme vraiment extraordinaire,
et il le savait. Eugène Delacroix, absolument « emballé », a écrit
sur lui le fameux article où il traite Charlet comme un de ces
génies appartenant plus à l’humanité entière qu’à un temps et à un
pays donnés, et le place entre Rabelais, Molière et La Fontaine!
Mais, en tant qu’écrivain d’art, Delacroix n’est pas infaillible. D’ail-
leurs, remarquons qu’il appelait Charlet un La Fontaine ou un
Rabelais, il ne l’appelait ni un Poussin ni un Chardin. Avec Charlet,
ce n’est jamais le côt é peintre, le côté exécution qu’on vise; mais tou-
jours le sujet, le côté littéraire. Pareillement, lorsque Charlet exposa
son tableau de la Retraite de Russie, actuellement au musée de Lyon,
on ne dit pas si c’était l’œuvre d’un peintre, d’un peintre peignant,
mais Alfred de Musset rendit compte dans la Revue des Deux-Mondes
de ce « sujet de la plus haute portée ». Et cependant il sentit que pour
l’exécution, Charlet n’était point un Géricault. Sur ce tableau, voici
une anecdote, que nous donnons sans la pouvoir contrôler. Chena-
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voisine, etc., etc.). Cette nouvelle manière de Charlet est très caracté-
risée et intéressante.
Mais en somme Charlet est le dessinateur du soldat isolé, et non
de la bataille. Cependant, une occasion se présente d’apercevoir la
guerre. En 1832, Charlet assiste au siège d’Anvers avec son ami le
général de Rigny. Or, Raffet y est aussi, et c’est lui qui va influencer
Charlet, lequel visiblement, dans son curieux album sur le siège
d’Anvers (1833), s’efforce d’imiter son élève. La plus belle pièce de
cet album : Prise du fort Saint-Laurent,est absolument un Raffet. Mais
ceci n’est que passager et les deux, artistes n’en suivront pas moins
deux destinées opposées : Raffet, qui a commencé par des albums à
la Charlet, s’élèvera vers une conception de plus en plus géniale de
la représentation des batailles : il deviendra le. peintre du Fort
M idg rave, de la Revue Nocturne et du Combat d’Oued-Alleg. Charlet,
qui a débuté dans l’art avec une réelle grandeur; puis qui est des-
cendu au joli et au coquet, ne tirera de l’observation de la guerre,
pour finir, qu’un album comico-patriotique, la Vie du caporal Valentin
(un de ces braves soldats que Charlet appelle « la pièce de bœuf du
champ de bataille », parce qu’elle « nourrit bien le feu »), dans lequel il
mettra toute sa réserve de drôlerie. Mais cet album retarde : il en
est encore au comique de la Restauration, au moment où le dessin de
mœurs et la caricature s’épanouissent dans le Charivari avec Gavarni
et Daumier!
Charlet, sous le gouvernement de Juillet, était au faite de la répu-
tation; on le considérait comme un homme vraiment extraordinaire,
et il le savait. Eugène Delacroix, absolument « emballé », a écrit
sur lui le fameux article où il traite Charlet comme un de ces
génies appartenant plus à l’humanité entière qu’à un temps et à un
pays donnés, et le place entre Rabelais, Molière et La Fontaine!
Mais, en tant qu’écrivain d’art, Delacroix n’est pas infaillible. D’ail-
leurs, remarquons qu’il appelait Charlet un La Fontaine ou un
Rabelais, il ne l’appelait ni un Poussin ni un Chardin. Avec Charlet,
ce n’est jamais le côt é peintre, le côté exécution qu’on vise; mais tou-
jours le sujet, le côté littéraire. Pareillement, lorsque Charlet exposa
son tableau de la Retraite de Russie, actuellement au musée de Lyon,
on ne dit pas si c’était l’œuvre d’un peintre, d’un peintre peignant,
mais Alfred de Musset rendit compte dans la Revue des Deux-Mondes
de ce « sujet de la plus haute portée ». Et cependant il sentit que pour
l’exécution, Charlet n’était point un Géricault. Sur ce tableau, voici
une anecdote, que nous donnons sans la pouvoir contrôler. Chena-