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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
intelligente. Tout cela fut profané, saccagé; Maxime Du Camp a
raconté dans les Convulsions de Paris comment, sous la Commune, on
pilla les biens de la princesse et on vola chez l’artiste; Popelin a
donné un souvenir attristé au sac de sa maison :
«O les barbares! ô les violateurs de la retraite studieuse, les
méchants ignorants et stupides, contempteurs envieux des atticismes,
ennemis éternels de la demeure du sage ! Allons ! dans le bouge des
filles perdues les tableaux, les émaux, les bronzes, les meubles pré-
cieux! Dans le ruisseau les belles gravures épaves des arts du passé,
les dessins innombrables témoignages d’une jeunesse laborieuse,
pain de doctrine mis sur la planche par l’économie du travailleur !
Au feu les milliers de volumes, récolte du sacrifice et de la patience,
tous rares, tous curieux, tous en état de passer à la revue du biblio-
phile scrupuleux; vieux amis qui n’aviez fait que du bien, innocents
autant que votre maître, et dont la substance était douce à l’esprit
comme étaient doux aussi les lisses parchemins de vos reliures aux
doigts amoureux de leur contact'. »
Et c’est tout, Popelin n’en a pas dit plus de la ruine de samaison,
de sa bibliothèque perdue, de ses beaux livres à images, de ses
dessins, de ses chères études : « Mener le deuil de ses petites affaires
concurremment avec celui de la patrie, en présence de douleurs
privées autrement vives et cuisantes, ne m’eût pas semblé d’un
brave cœur, ni d’un homme digne de posséder encore tant du surplus
des biens de Dieu»
La tourmente était passée, il se remit au travail, comme les
oiseaux qui refont leur nid détruit. Mais il devint plus silencieux
que jamais — tant d’amis étaient morts, — Jules de Concourt d’abord,
Gautier ensuite, Giraud plus tard.
Ceux qui restaient formaient un groupe où, peu à peu, venaient
se rattacher les hésitants, les timides ; la bonne, l'indulgente prin-
cesse n’avait pas de fiel, pas de regrets, pas de colère. On lui devra
beaucoup de sympathie et d’admiration pour le bien qu’elle a fait en
sa vie : c’est un exemple qu’elle a donné aux hommes et que peu
d’entre eux ont imité, exemple de renoncement, de pardon et de
pitié. Dédaigneuse des mauvais, indifférente aux médiocres, elle s’est
montrée bonne et généreuse à tous ceux qui étaient sincères, ne
regardant pas à leur cocarde, ne leur demandant que d’avoir du 1 2
1. Cinq Octaves de Sonnets, par Popelin. Préface, page io.
2. Idem, p. 17.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
intelligente. Tout cela fut profané, saccagé; Maxime Du Camp a
raconté dans les Convulsions de Paris comment, sous la Commune, on
pilla les biens de la princesse et on vola chez l’artiste; Popelin a
donné un souvenir attristé au sac de sa maison :
«O les barbares! ô les violateurs de la retraite studieuse, les
méchants ignorants et stupides, contempteurs envieux des atticismes,
ennemis éternels de la demeure du sage ! Allons ! dans le bouge des
filles perdues les tableaux, les émaux, les bronzes, les meubles pré-
cieux! Dans le ruisseau les belles gravures épaves des arts du passé,
les dessins innombrables témoignages d’une jeunesse laborieuse,
pain de doctrine mis sur la planche par l’économie du travailleur !
Au feu les milliers de volumes, récolte du sacrifice et de la patience,
tous rares, tous curieux, tous en état de passer à la revue du biblio-
phile scrupuleux; vieux amis qui n’aviez fait que du bien, innocents
autant que votre maître, et dont la substance était douce à l’esprit
comme étaient doux aussi les lisses parchemins de vos reliures aux
doigts amoureux de leur contact'. »
Et c’est tout, Popelin n’en a pas dit plus de la ruine de samaison,
de sa bibliothèque perdue, de ses beaux livres à images, de ses
dessins, de ses chères études : « Mener le deuil de ses petites affaires
concurremment avec celui de la patrie, en présence de douleurs
privées autrement vives et cuisantes, ne m’eût pas semblé d’un
brave cœur, ni d’un homme digne de posséder encore tant du surplus
des biens de Dieu»
La tourmente était passée, il se remit au travail, comme les
oiseaux qui refont leur nid détruit. Mais il devint plus silencieux
que jamais — tant d’amis étaient morts, — Jules de Concourt d’abord,
Gautier ensuite, Giraud plus tard.
Ceux qui restaient formaient un groupe où, peu à peu, venaient
se rattacher les hésitants, les timides ; la bonne, l'indulgente prin-
cesse n’avait pas de fiel, pas de regrets, pas de colère. On lui devra
beaucoup de sympathie et d’admiration pour le bien qu’elle a fait en
sa vie : c’est un exemple qu’elle a donné aux hommes et que peu
d’entre eux ont imité, exemple de renoncement, de pardon et de
pitié. Dédaigneuse des mauvais, indifférente aux médiocres, elle s’est
montrée bonne et généreuse à tous ceux qui étaient sincères, ne
regardant pas à leur cocarde, ne leur demandant que d’avoir du 1 2
1. Cinq Octaves de Sonnets, par Popelin. Préface, page io.
2. Idem, p. 17.