L’ART JAPONAIS A L’EXPOSITION
3o
Oublions un instant les dieux aryens semblables aux hommes, les
extases chrétiennes nées de l’aspiration infinie du pauvre cœur
humain qui nie passionnément la possibilité de son anéantissement
dans l’obscurité muette de la mort, ardemment affirme l’immorta-
lité personnelle, s’élance vers un Paradis de splendeurs et d’amour.
Le désir de la Vie, créateur de ce monde illusoire, racine de tout
mal, le désir que maudissait le Bouddha, crée ces extases et ce
Paradis qui n’est, pour le bouddhiste, que l’illusion d’une illusion.
Pour lui, le Paradis n’est pas un prolongement de la vie, mais
son anéantissement. Derrière l’écoulement des apparences, la réalité
stable lui apparaît : derrière la vie lumineuse et fugitive, l’immo-
bilité, l’obscurité du Néant d’où tout sort, où tout retombe. Sa pensée
s’abîme dans la contemplation infinie de l’essence de ce Néant et de
celte Réalité, qui sont uns. Par cette contemplation, elle s’affranchit
du désir et de l’illusion. Elle cesse d’être individuelle : elle s’absorbe
dans le Tout indéterminé. Elle devient une avec la Pensée éternelle.
La religieuse Asie seule a su exprimer dans son art ces méditations,
revêtir ces dieux abstraits de formes augustes ou terrifiantes, parce
que seule elle a pénétré, par l’émotion comme par la pensée, jusqu’au
monde métaphysique, qui est le support de notre monde, jusqu’à
l’Etre dont on ne peut dire que: Il Est. Au seuil de cette Réalité,
devant cet Etre, intermédiaires entre l’homme et la divinité, rêvent
les Bodhisattvas, affranchis de toute haine, de tout amour, de tout
désir : bientôt leur existence va s’absorber dans l’existence suprême :
encore une naissance, et ils rentreront pour toujours dans l’indé-
terminé; ils atteindront le Nirvana. Déjà leur paix immuable ne
peut être troublée par le tumulte de la vie qui flambe, s’éteint et
se rallume incessamment dans l’impassible Nuit. Leur calme rêve
ne connaît plus la terre. Les ardeurs et les misères humaines n’ha-
bitent plus leur âme. Leur pensée n’est point une méditation de la
mort ou de la vie. Leur extase est contemplation pure. Elle ne
voit pas l’être multiple, mais la Réalité une, éternelle, identique
à leur propre essence1. Et c’est pourquoi dans les œuvres qui les
représentent leurs figures respirent la paix des choses inanimées,
et que leurs fronts ont le rayonnement des sommets qui le soir
semblent regarder, par delà la vie, un monde de splendeurs calmes.
L’émotion qu’ils nous inspirent est de même ordre. Leur beauté, en
1. «Que le Bodhisattva considère toute chose comme étant de la nature de
l’espace, comme éternellement semblable à l’espace, sans essence particulière,
sans substance. » (Suddharma Pundarika.)
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Oublions un instant les dieux aryens semblables aux hommes, les
extases chrétiennes nées de l’aspiration infinie du pauvre cœur
humain qui nie passionnément la possibilité de son anéantissement
dans l’obscurité muette de la mort, ardemment affirme l’immorta-
lité personnelle, s’élance vers un Paradis de splendeurs et d’amour.
Le désir de la Vie, créateur de ce monde illusoire, racine de tout
mal, le désir que maudissait le Bouddha, crée ces extases et ce
Paradis qui n’est, pour le bouddhiste, que l’illusion d’une illusion.
Pour lui, le Paradis n’est pas un prolongement de la vie, mais
son anéantissement. Derrière l’écoulement des apparences, la réalité
stable lui apparaît : derrière la vie lumineuse et fugitive, l’immo-
bilité, l’obscurité du Néant d’où tout sort, où tout retombe. Sa pensée
s’abîme dans la contemplation infinie de l’essence de ce Néant et de
celte Réalité, qui sont uns. Par cette contemplation, elle s’affranchit
du désir et de l’illusion. Elle cesse d’être individuelle : elle s’absorbe
dans le Tout indéterminé. Elle devient une avec la Pensée éternelle.
La religieuse Asie seule a su exprimer dans son art ces méditations,
revêtir ces dieux abstraits de formes augustes ou terrifiantes, parce
que seule elle a pénétré, par l’émotion comme par la pensée, jusqu’au
monde métaphysique, qui est le support de notre monde, jusqu’à
l’Etre dont on ne peut dire que: Il Est. Au seuil de cette Réalité,
devant cet Etre, intermédiaires entre l’homme et la divinité, rêvent
les Bodhisattvas, affranchis de toute haine, de tout amour, de tout
désir : bientôt leur existence va s’absorber dans l’existence suprême :
encore une naissance, et ils rentreront pour toujours dans l’indé-
terminé; ils atteindront le Nirvana. Déjà leur paix immuable ne
peut être troublée par le tumulte de la vie qui flambe, s’éteint et
se rallume incessamment dans l’impassible Nuit. Leur calme rêve
ne connaît plus la terre. Les ardeurs et les misères humaines n’ha-
bitent plus leur âme. Leur pensée n’est point une méditation de la
mort ou de la vie. Leur extase est contemplation pure. Elle ne
voit pas l’être multiple, mais la Réalité une, éternelle, identique
à leur propre essence1. Et c’est pourquoi dans les œuvres qui les
représentent leurs figures respirent la paix des choses inanimées,
et que leurs fronts ont le rayonnement des sommets qui le soir
semblent regarder, par delà la vie, un monde de splendeurs calmes.
L’émotion qu’ils nous inspirent est de même ordre. Leur beauté, en
1. «Que le Bodhisattva considère toute chose comme étant de la nature de
l’espace, comme éternellement semblable à l’espace, sans essence particulière,
sans substance. » (Suddharma Pundarika.)