CONQUETES ARTISTIQUES DE LA RÉVOLUTION ET DE L’EMPIRE 2-43
Cette attitude de pleutre reçut vite sa récompense. Joachin Lebreton, secré-
taire perpétuel de la classe des Beaux-Arts, à l'Institut, ayant, dans la séance de
l'Institut du 28 octobre 181b, protesté éloquemment contre les reprises et rappelé
avec un peu trop d’enthousiasme les belles années de gloire révolutionnaire, se
vit chassé de son fauteuil et de l’Institut.
Quatremère de Quincy prit sa place.
Dans ses rapports avec Denon et Lavallée, Canova fut d’une suffisance et
d'une insolence extrêmes. Denon lui répondit avec une éloquente impertinence.
A Canova qui, mécontent de l’attitude méprisante de Denon, lui avait dit:« On
ne traite pas ainsi un ambassadeur! le directeur du Musée avait répliqué:
« Ambassadeur, allons donc ! Vous voulez dire emballeur, sans doute ! »
Malgré ces mauvais rapports, Canova, comme les aimables commissaires de
Florence, MM. Degli-Alessandri, Benvenuti et Karcher, comme M. Rosa, devait
laisser quelque chose au Musée. Au temps de la splendeur de Napoléon, il avait
exécuté sa statue colossale. L’empereur ayant passé de mode, il songea à la
racheter pour la céder à l’Angleterre qui désirait vivement de ses œuvres et paie-
rait d’autant plus cher que cette statue pourrait être considérée comme un
trophée, un témoignage de l’abaissement irrémédiable de Napoléon*. Dans ce
but, il avait même fait les premières avances et écrit à son ami Quatremère de
Quincy.
Cependant, les reprises romaines étaient déjà emballées, notamment le Nil,
que Lavallée avait fait tous ses efforts pour conserver, et rien n’était encore décidé
pour la statue de Napoléon. Une convention intervint cependant en 1816. La
statue colossale de Napoléon fut vendue à l’Angleterre pour 66.000 francs, le
16 septembre 1810, et nous conservions en échange les antiques suivants :
La statue colossale du Tibre, la Melpomene,\e Tibère en Loge, Y Auguste, List's
(marbre noir), le Tombeau des Muscs, le Tombeau des Néréides, trois candélabres,
le buste d'Homère, le Démosthène assis, le Trajan assis, une chaise rouge, deux
sphinx, un trépied, un trépied d’Apollon, un autel rond orné de bas-reliefs, deux
sièges de Bacchus et de Cérès. — Le Nil, qu’on avait eu un moment l’intention
d’échanger seul contre le Napoléon, reprit le chemin de Rome.
Ces antiques avaient été cédés à la France par le traité de Tolentino et
étaient estimés, en 1815, 652.000 francs.
Tout n’était pas encore enlevé du Louvre que déjà les alliés songeaient
aux musées de province. Une circulaire dut être envoyée, le 27 septembre 1815,
aux préfets du Bas-Rhin, de l’Isère, du Rhône, des Bouches-du-Rhône, de la
Côte-d’Or, du Calvados, d'Ille-et-Vilaine et. de la Haute-Garonne, pour les inviter I.
I. « Dans la grande salle du rez-de-chaussée (au Louvre) était la statue de l’Empereur : elle était nue.
C’était un marbre de Carrare sculpté par Canova. Un rideau de soìg vcrlc, à crépines d’or, dérobait celle
figure aux yeux du vulgaire. Mais l’ennemi voulait la mettre en pièces. J’ai vu des lances prêtes à frapper, et
le cri que nous jetâmes, quelques amis et moi, devant ces barbares, empêcha une aussi odieuse mutilation.
Mais, que dis-je? 11 eut mieux valu peut-être que le sacrilège entier s'accomplit... Si le marbre eût été
renversé et brisé, il fut, du moins, resté chez nous, et l’on n’eût pas eu le scandale de la statue de l’Empereur
des Français allant orner à Londres le palais du duc de Wellington ! » (Bouquet de Violettes, par Malvoi-
sine (François Grille). Angers, Pavie, 1840, in-8°.)
Sur la cession de la statue à l’Angleterre, cf. Archives Nationales, '430.
Cette attitude de pleutre reçut vite sa récompense. Joachin Lebreton, secré-
taire perpétuel de la classe des Beaux-Arts, à l'Institut, ayant, dans la séance de
l'Institut du 28 octobre 181b, protesté éloquemment contre les reprises et rappelé
avec un peu trop d’enthousiasme les belles années de gloire révolutionnaire, se
vit chassé de son fauteuil et de l’Institut.
Quatremère de Quincy prit sa place.
Dans ses rapports avec Denon et Lavallée, Canova fut d’une suffisance et
d'une insolence extrêmes. Denon lui répondit avec une éloquente impertinence.
A Canova qui, mécontent de l’attitude méprisante de Denon, lui avait dit:« On
ne traite pas ainsi un ambassadeur! le directeur du Musée avait répliqué:
« Ambassadeur, allons donc ! Vous voulez dire emballeur, sans doute ! »
Malgré ces mauvais rapports, Canova, comme les aimables commissaires de
Florence, MM. Degli-Alessandri, Benvenuti et Karcher, comme M. Rosa, devait
laisser quelque chose au Musée. Au temps de la splendeur de Napoléon, il avait
exécuté sa statue colossale. L’empereur ayant passé de mode, il songea à la
racheter pour la céder à l’Angleterre qui désirait vivement de ses œuvres et paie-
rait d’autant plus cher que cette statue pourrait être considérée comme un
trophée, un témoignage de l’abaissement irrémédiable de Napoléon*. Dans ce
but, il avait même fait les premières avances et écrit à son ami Quatremère de
Quincy.
Cependant, les reprises romaines étaient déjà emballées, notamment le Nil,
que Lavallée avait fait tous ses efforts pour conserver, et rien n’était encore décidé
pour la statue de Napoléon. Une convention intervint cependant en 1816. La
statue colossale de Napoléon fut vendue à l’Angleterre pour 66.000 francs, le
16 septembre 1810, et nous conservions en échange les antiques suivants :
La statue colossale du Tibre, la Melpomene,\e Tibère en Loge, Y Auguste, List's
(marbre noir), le Tombeau des Muscs, le Tombeau des Néréides, trois candélabres,
le buste d'Homère, le Démosthène assis, le Trajan assis, une chaise rouge, deux
sphinx, un trépied, un trépied d’Apollon, un autel rond orné de bas-reliefs, deux
sièges de Bacchus et de Cérès. — Le Nil, qu’on avait eu un moment l’intention
d’échanger seul contre le Napoléon, reprit le chemin de Rome.
Ces antiques avaient été cédés à la France par le traité de Tolentino et
étaient estimés, en 1815, 652.000 francs.
Tout n’était pas encore enlevé du Louvre que déjà les alliés songeaient
aux musées de province. Une circulaire dut être envoyée, le 27 septembre 1815,
aux préfets du Bas-Rhin, de l’Isère, du Rhône, des Bouches-du-Rhône, de la
Côte-d’Or, du Calvados, d'Ille-et-Vilaine et. de la Haute-Garonne, pour les inviter I.
I. « Dans la grande salle du rez-de-chaussée (au Louvre) était la statue de l’Empereur : elle était nue.
C’était un marbre de Carrare sculpté par Canova. Un rideau de soìg vcrlc, à crépines d’or, dérobait celle
figure aux yeux du vulgaire. Mais l’ennemi voulait la mettre en pièces. J’ai vu des lances prêtes à frapper, et
le cri que nous jetâmes, quelques amis et moi, devant ces barbares, empêcha une aussi odieuse mutilation.
Mais, que dis-je? 11 eut mieux valu peut-être que le sacrilège entier s'accomplit... Si le marbre eût été
renversé et brisé, il fut, du moins, resté chez nous, et l’on n’eût pas eu le scandale de la statue de l’Empereur
des Français allant orner à Londres le palais du duc de Wellington ! » (Bouquet de Violettes, par Malvoi-
sine (François Grille). Angers, Pavie, 1840, in-8°.)
Sur la cession de la statue à l’Angleterre, cf. Archives Nationales, '430.