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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Dans cette chambre ainsi meublée, Mme de Rambouillet reçoit
quotidiennement une brillante compagnie de gens d’esprit1, grands
seigneurs, grandes dames ou bourgeoises, hommes de lettres émi-
nents, empressés autour d’elle à prendre des leçons de galanterie
mondaine et à goûter le plaisir très pur de converser en une langue
claire et précise. Elle maintient son empire sur cette petite cour
par le seul ascendant que lui donnent sa courtoisie, son goût très
délicat, une haute intelligence et un cœur sensible. C’est une noble
femme, à laquelle nous devons plus qu’aux autres femmes célèbres
du siècle. Elle a été un peu méconnue, parce que nous la jugeons
involontairement sur les propos de Molière et de Somaize. Mais
quoi qu’on en puisse penser, il restera toujours que, si la société
française est devenue la plus polie de l’Europe et pendant deux
siècles a donné le ton à toutes les autres, son éducation s’est faite
d’abord dans le salon de Mme de Rambouillet.
Et 1’influence de Catherine de Vivonne et de ses disciples sur
l’affinement des mœurs a été plus étendue qu’on ne le croit généra-
lement. Par exemple ils nous ont enseigné l’art de prendre les repas
avec élégance et propreté. Les grands personnages de ce temps
avaient à table des manières qui nous dégoûteraient aujourd’hui :
ils se servaient de leurs doigts pour manger, les trempaient dans
les sauces, ce qui nécessitait un lavage des mains avant et après le
repas. Anne d’Autriche, la Grande Mademoiselle, Louis XIV lui-
même, qui ne se servit de fourchettes qu’assez tard, même Racine,
Fénelon, Roileau, mangeaient avec leurs doigts. Ce fut le duc de
ment le principal ornement. Les dames s’y tenaient souvent, fort parées, pour
recevoir leurs visiteurs des deux sexes.
Le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques,
année 1892, a publié des extraits des inventaires de M. et Mme de Rambouillet
(25 juin 1652 et 7 janvier 1666). Les détails d’ameublement que nous donnons
en sont tirés. Ces extraits ne nous apprennent rien sur les autres pièces ou
cabinets, pleins de mille raretés, au dire de Mlle de Scudéry.
1. Parmi les hôtes de la première heure, on cite Malherbe, puis Cospeau,
prédicateur éloquent,Gombauld, l’auteur d’Endymion, Chapelain, l’auteur napo-
litain Marini, Richelieu, amené par Cospeau son professeur, le cardinal La
Valette, le marquis du Vigean, Conrart et son cousin Godeau, le maréchal de
Souvré, père de la marquise de Sablé, le duc et la duchesse de La Trémoïlle,
Voiture introduit par Chaudebonne, Mlle Paulet, la « lionne » de Voiture, Charlotte
de Montmorency et ses deux enfants.
Après 1630, Corneille, Arnauld de Corbeville, Saint-Evremond, La Rochefou-
cauld, le duc d’Enghien et sa sœur, la princesse de Guéméné, la marquise de Sablé,
la comtesse de Maure, Mme Cornuel, Mmo Aubry, Neufgermain, Costar, ami de
Voiture, l’abbé Cotin, le jeune Bossuet, Scudéry, etc.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Dans cette chambre ainsi meublée, Mme de Rambouillet reçoit
quotidiennement une brillante compagnie de gens d’esprit1, grands
seigneurs, grandes dames ou bourgeoises, hommes de lettres émi-
nents, empressés autour d’elle à prendre des leçons de galanterie
mondaine et à goûter le plaisir très pur de converser en une langue
claire et précise. Elle maintient son empire sur cette petite cour
par le seul ascendant que lui donnent sa courtoisie, son goût très
délicat, une haute intelligence et un cœur sensible. C’est une noble
femme, à laquelle nous devons plus qu’aux autres femmes célèbres
du siècle. Elle a été un peu méconnue, parce que nous la jugeons
involontairement sur les propos de Molière et de Somaize. Mais
quoi qu’on en puisse penser, il restera toujours que, si la société
française est devenue la plus polie de l’Europe et pendant deux
siècles a donné le ton à toutes les autres, son éducation s’est faite
d’abord dans le salon de Mme de Rambouillet.
Et 1’influence de Catherine de Vivonne et de ses disciples sur
l’affinement des mœurs a été plus étendue qu’on ne le croit généra-
lement. Par exemple ils nous ont enseigné l’art de prendre les repas
avec élégance et propreté. Les grands personnages de ce temps
avaient à table des manières qui nous dégoûteraient aujourd’hui :
ils se servaient de leurs doigts pour manger, les trempaient dans
les sauces, ce qui nécessitait un lavage des mains avant et après le
repas. Anne d’Autriche, la Grande Mademoiselle, Louis XIV lui-
même, qui ne se servit de fourchettes qu’assez tard, même Racine,
Fénelon, Roileau, mangeaient avec leurs doigts. Ce fut le duc de
ment le principal ornement. Les dames s’y tenaient souvent, fort parées, pour
recevoir leurs visiteurs des deux sexes.
Le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques,
année 1892, a publié des extraits des inventaires de M. et Mme de Rambouillet
(25 juin 1652 et 7 janvier 1666). Les détails d’ameublement que nous donnons
en sont tirés. Ces extraits ne nous apprennent rien sur les autres pièces ou
cabinets, pleins de mille raretés, au dire de Mlle de Scudéry.
1. Parmi les hôtes de la première heure, on cite Malherbe, puis Cospeau,
prédicateur éloquent,Gombauld, l’auteur d’Endymion, Chapelain, l’auteur napo-
litain Marini, Richelieu, amené par Cospeau son professeur, le cardinal La
Valette, le marquis du Vigean, Conrart et son cousin Godeau, le maréchal de
Souvré, père de la marquise de Sablé, le duc et la duchesse de La Trémoïlle,
Voiture introduit par Chaudebonne, Mlle Paulet, la « lionne » de Voiture, Charlotte
de Montmorency et ses deux enfants.
Après 1630, Corneille, Arnauld de Corbeville, Saint-Evremond, La Rochefou-
cauld, le duc d’Enghien et sa sœur, la princesse de Guéméné, la marquise de Sablé,
la comtesse de Maure, Mme Cornuel, Mmo Aubry, Neufgermain, Costar, ami de
Voiture, l’abbé Cotin, le jeune Bossuet, Scudéry, etc.