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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 11.1914

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Nr. 6
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Jamot, Paul: Les peintures et les dessins, 2: la Collection Camondo au Musée du Louvre
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https://doi.org/10.11588/diglit.24888#0502

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458

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

répertoire de la peinture est donc enrichi d’un geste jusqu’alors
dédaigné, celui de la femme qui, vêtue d’un jupon et d’une che-
mise, les bras nus et la tête baissée, appuie fortement les deux
mains sur le fer à repasser. Cette figure, d’un mouvement si juste
et si expressif, a ici pour compagne une ronde commère, qui tient
une bouteille et bâille à se décrocher une mâchoire qu’elle cale de
son autre main. Pour peindre ces faubouriennes du linge, M. Degas
a pris une toile grossière dont le grain reste apparent sous les larges
touches espacées, et la couleur a des roses un peu canailles, des
jaunes d’orange et des verts de chou.

Deux toiles de la collection Camondo sont hors de toute série, et
ce ne sont pas les moins belles. L’Absinthe est le portrait d’un ami de
l’artiste, le peintre-graveur Marcellin Desboutin, et d’une actrice qui
fut jadis notoire. Par le sujet, ce tableau n’est pas sans analogie
avec une toile célèbre de Manel. Au Café, de Manet, date de 1878.
M. P.-A. Lemoisne, suivi par MM. Leprieur et Demonts1, estime,
en se fondant sur des considérations de costume, que la toile de
M. Degas est « probablement de 1876 ou de 1877. » Ce n’est pas le
seul cas où une date exacte nous échappe : la réserve de l’artiste se
prête peu aux curiosités des historiens. On ne saurait dire avec
certitude lequel des deux peintres a eu le premier la fantaisie de
faire un tableau en représentant un coin de café vulgaire et en y
plaçant des portraits d’amis sous couleur de peindre les habitués de
ce café. Mais il n’est nullement impossible que la priorité appar-
tienne à M. Degas. D'ailleurs, que l’idée initiale vint de l’un ou de
l’autre, chacun traita le sujet à sa manière, et l’on ne relève entre
les deux ouvrages aucun indice d’imitation.

Ce qui plait chez Manet, c’est l’intuition du pittoresque contenu
dans n’importe quel fragment de n’importe quel spectacle banal et
fortuit, la faculté d’en extraire des éléments de composition inédits,
enfin le don précieux d’unifier ces éléments par le travail joyeux,
élégant, vibrant, du pinceau.

Ch ez M. De gas, on voit le travail d’un esprit réfléchi, philoso-
phique, qui ne donne rien au hasard ni au jet de l’instinct, et qui
combine autour d’une vérité observée les agencements de lignes et
les détails délibérément choisis pour donner à cette vérité centrale
un maximum de signification. Cependant la composition n’a pas
moins de naturel, ni d’imprévu. Le caractère individuel, l’expression

-i. Lemoisne, Degas, p. 67; Leprieur et Demonts, Catalogue, n° 164. Dans son
tableau, Manet a représenté le graveur Henri Guérard, le mari d’Éva Gonzales.
 
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