INTRODUCTION. 3
une influence réelle, sans toutefois me rendre sourd cà la raison, qui repousse l'absurde, aveugle
aux beautés de l'art qui sont indépendantes, non pas de la religion, mais de tel ou tel symbole de
la foi. Il serait inutile de se le dissimuler, il existe en terre sainte une conspiration permanente
contre l'impression pieuse de l'homme religieux. Ce beau musée du christianisme est envahi
par les dévots patentés de toutes les sectes, qui en font une collection ridicule de bric à brac impur.
Que ne laisse-t-on le soin de ces reliques aux hommes sincèrement croyants, qui se rencontrent
parmi les Juifs comme parmi les Maronites, parmi les Druses comme parmi les Arabes? Le voyageur
s'abandonnerait en toute confiance à ses impressions naturelles, prenant la saine critique pour
guide, au lieu d'être obligé de s'en faire une arme contre la supercherie intéressée des uns, contre
l'absurde confiance des autres. J'en appelle aux souvenirs de tous les pèlerins qui ont suivi la
voie Douloureuse, douloureuse vraiment par les contradictions, les mécomptes et les offenses qui
assaillent l'âme à chaque pas.
Ce trouble jeté dans les aspirations les plus pures de la piété, celte déconsidération répandue sur
des traditions respectables, cette atteinte portée à des souvenirs sacrés, rejettent violemment le
voyageur, et suivant son tempérament, dans la controverse passionnée ou dans des éludes moins enta-
chées. Par bonheur, le champ des investigations n'est pas limité sur cette terre privilégiée qui a
été le grand carrefour des civilisations.
Pour moi, artiste par vocation, artiste nomade, plantant ma tente ici et la, au milieu des ruines,
sans loisir pour étudier des amas de décombres, sans moyens d'action pour fouiller des nécropoles
béantes, je n'ai pas élevé mes prétentions, et porté ma vue au delà des beautés de la nature
associées aux beautés de l'art, j'ai dessiné partout ce qui m'a paru pittoresque, unissant volon-
tiers le lierre à la ruine, mais disposé ou obligé, avec notre ami d'enfance, à faire plus de cas du
goujat debout que de l'empereur enterré. D'ailleurs, sans préférence pour telle époque, telle race,
tel style, je me suis attaché aux monuments que les hommes n'ont pu détruire, que le temps
ruine, mais qu'il embellit, semblable à ces bourreaux qui couronnaient aussi leurs victimes avec des
fleurs. Stèles égyptiennes et asiatiques, tombeaux phéniciens et hébreux, temples syriaques, grecs
et romains, églises byzantines et gothiques, châteaux des Sarasins et des croisés, mosquées turques
et arabes, couvents grecs, maronites et latins, j'ai reproduit toute une galerie de tableaux exposée au
soleil d'Orient dans le désert à Palmyre, à Gerasa, à Hamman, à Hébron, ou dans la décapole du
Haouran, ou sur les cours de l'Oronte, du Jourdain et du Nahar el Kelb, ou sur les bords des
lacs de Houle et de Tibérias, ou sur le rivage de la mer Morte, partout, cherchant Je pittoresque, et
m'efforçant de conserver le caractère autant que la main a pu obéir au sentiment.
De nos jours une exploration de ce genre est une promenade; en 1827, c'était un voyage aventu-
reux ; le colonel Boutin, Seetzen, Hennicker, venaient d'être assassinés, victimes de leur dévouement
à la science; Mohammed Aly n'avait pas fait plier la morgue turque et discipliné la violence
arabe; le chapeau noir ou la qualité des Français, loin d'être un porte-respect et une sauvegarde,
faisaient appel à tous les mauvais sentiments du fanatisme. Je ne me plains pas aujourd'hui de
ces difficultés, puisqu'à travers ces obstacles, j'ai vu encore l'Orient dans sa véritable originalité.
Comme dans le récit du voyage de l'Asie Mineure (1), j'ai reproduit ici mon journal de route, et le
lecteur s'apercevra sans peine, à des erreurs évidentes, à des lacunes qu'il eût été facile de rem-
plir, que je n'ai pas mis à profit les ressources de l'érudition.
Ce voyage de la Syrie paraîtra moins insuffisant dans sa partie biblique si on le rapproche de
(1) J'ai expliqué dans l'introduction de cet ouvrage l'omission des inscriptions que nous avons copiées et des cartes itinéraires que j'ai
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une influence réelle, sans toutefois me rendre sourd cà la raison, qui repousse l'absurde, aveugle
aux beautés de l'art qui sont indépendantes, non pas de la religion, mais de tel ou tel symbole de
la foi. Il serait inutile de se le dissimuler, il existe en terre sainte une conspiration permanente
contre l'impression pieuse de l'homme religieux. Ce beau musée du christianisme est envahi
par les dévots patentés de toutes les sectes, qui en font une collection ridicule de bric à brac impur.
Que ne laisse-t-on le soin de ces reliques aux hommes sincèrement croyants, qui se rencontrent
parmi les Juifs comme parmi les Maronites, parmi les Druses comme parmi les Arabes? Le voyageur
s'abandonnerait en toute confiance à ses impressions naturelles, prenant la saine critique pour
guide, au lieu d'être obligé de s'en faire une arme contre la supercherie intéressée des uns, contre
l'absurde confiance des autres. J'en appelle aux souvenirs de tous les pèlerins qui ont suivi la
voie Douloureuse, douloureuse vraiment par les contradictions, les mécomptes et les offenses qui
assaillent l'âme à chaque pas.
Ce trouble jeté dans les aspirations les plus pures de la piété, celte déconsidération répandue sur
des traditions respectables, cette atteinte portée à des souvenirs sacrés, rejettent violemment le
voyageur, et suivant son tempérament, dans la controverse passionnée ou dans des éludes moins enta-
chées. Par bonheur, le champ des investigations n'est pas limité sur cette terre privilégiée qui a
été le grand carrefour des civilisations.
Pour moi, artiste par vocation, artiste nomade, plantant ma tente ici et la, au milieu des ruines,
sans loisir pour étudier des amas de décombres, sans moyens d'action pour fouiller des nécropoles
béantes, je n'ai pas élevé mes prétentions, et porté ma vue au delà des beautés de la nature
associées aux beautés de l'art, j'ai dessiné partout ce qui m'a paru pittoresque, unissant volon-
tiers le lierre à la ruine, mais disposé ou obligé, avec notre ami d'enfance, à faire plus de cas du
goujat debout que de l'empereur enterré. D'ailleurs, sans préférence pour telle époque, telle race,
tel style, je me suis attaché aux monuments que les hommes n'ont pu détruire, que le temps
ruine, mais qu'il embellit, semblable à ces bourreaux qui couronnaient aussi leurs victimes avec des
fleurs. Stèles égyptiennes et asiatiques, tombeaux phéniciens et hébreux, temples syriaques, grecs
et romains, églises byzantines et gothiques, châteaux des Sarasins et des croisés, mosquées turques
et arabes, couvents grecs, maronites et latins, j'ai reproduit toute une galerie de tableaux exposée au
soleil d'Orient dans le désert à Palmyre, à Gerasa, à Hamman, à Hébron, ou dans la décapole du
Haouran, ou sur les cours de l'Oronte, du Jourdain et du Nahar el Kelb, ou sur les bords des
lacs de Houle et de Tibérias, ou sur le rivage de la mer Morte, partout, cherchant Je pittoresque, et
m'efforçant de conserver le caractère autant que la main a pu obéir au sentiment.
De nos jours une exploration de ce genre est une promenade; en 1827, c'était un voyage aventu-
reux ; le colonel Boutin, Seetzen, Hennicker, venaient d'être assassinés, victimes de leur dévouement
à la science; Mohammed Aly n'avait pas fait plier la morgue turque et discipliné la violence
arabe; le chapeau noir ou la qualité des Français, loin d'être un porte-respect et une sauvegarde,
faisaient appel à tous les mauvais sentiments du fanatisme. Je ne me plains pas aujourd'hui de
ces difficultés, puisqu'à travers ces obstacles, j'ai vu encore l'Orient dans sa véritable originalité.
Comme dans le récit du voyage de l'Asie Mineure (1), j'ai reproduit ici mon journal de route, et le
lecteur s'apercevra sans peine, à des erreurs évidentes, à des lacunes qu'il eût été facile de rem-
plir, que je n'ai pas mis à profit les ressources de l'érudition.
Ce voyage de la Syrie paraîtra moins insuffisant dans sa partie biblique si on le rapproche de
(1) J'ai expliqué dans l'introduction de cet ouvrage l'omission des inscriptions que nous avons copiées et des cartes itinéraires que j'ai
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