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SEIDE (SIDON) (Planche LXXXVII, 77).
Porte d'architecture arabe.
On aurait droit de demander à Seide des restes de la ville des Phéniciens, de la domination grecque,
romaine sarrasine, chrétienne, à l'époque des croisades et arabe sous les Turcs; on trouve à grand
peine la trace de ces périodes, si fécondes d'ailleurs, et cette porte d'architecture arabe n'a eu la
préférence que parce qu'un crayon artiste s'en est épris. C'est sans doute quelque reste de cette élé-
gante renaissance architecturale provoquée sur la côte de Syrie par l'émir des Druses, Fakereddin, à
la fin du seizième siècle. On sait que, sous ce prince éclairé, Seide retrouva de beaux jours.
DJOUNI (Planche XXXVI, 78).
Habitation de ladj Esther Stanhope.
Un autre intérêt que celui de l'antiquité phénicienne nous a attirés à Seide. Nous désirons con-
naître lady Esther Stanhope et lui présenter nos hommages respectueux. Mon père lui écrit pour
obtenir la permission de lui rendre visite; il sait, lui dit-il, ses habitudes de retraite et ses vœux
de solitude, mais il invoque les souvenirs du grand ministre, son oncle, qu'il a connu, l'amitié de
son frère, et, ce qui doit la flatter davantage, le besoin qu'il a de prendre, près de la reine du dé-
sert, ses instructions pour le voyage du Hauran et ses recommandations près des tribus nomades.
Notre messager revient vers les deux heures avec la réponse. Grand émoi, mais la joie n'est pas sans
mélange. Lady Esther consent à recevoir mon père et moi, en excluant nos compagnons; c'est une
première bizarrerie.
Nous partons immédiatement; nous voilà sous son toit.
Ici commence la difficulté de ma tâche; ma position est délicate. Je suis l'hôte de lady Esther Stan-
hope, mais en même temps j'ai des yeux pour voir et des oreilles pour écouter. Les devoirs de l'hos-
pitalité priment-ils ceux de la vérité, et s'opposent-ils à ce que je dise ce que j'ai vu et ce que j'ai
appris de témoins dignes de foi? Essayons; le sentiment des convenances m'assignera les justes li-
mites.
La nièce du célèbre Pilt était comptée dans sa jeunesse, en Angleterre, au nombre de ces personnes
dont l'excentricité procède à la fois d'un caractère inégal, d'un esprit aventureux et d'une prétention
décidée à faire effet. Elle donna plus d'une preuve de celte tendance dans l'intérieur de son oncle,
en faisant les honneurs de sa maison. Son voyage en Orient, dont on a fait un conte des Mille et une
Nuits, fut d'abord un roman tant que le colonel Bruce l'accompagna; il n'eut plus ensuite que le carac-
tère d'une représentation à grand spectacle. Sa course à Palmyre peut servir à le prouver; elle lui coûta
beaucoup d'or, et elle sera pour les voyageurs à venir une source perpétuelle de difficultés. Lady Esther
avait porté au désert sa manie de briller, et, au lieu de prendre une escorte suffisante pour être protégée
et pas assez nombreuse pour attirer l'attention des Arabes, elle se fait suivre de vingt chameaux chargés
de provisions, et de tous les cavaliers d'une tribu de la frontière. M. Baudin, qui faisait partie de sa suite,
à titre de drogman, m'a raconté, entre autres prodigalités, qu'elle avait chargé six chameaux de sucre;
et, en effet, j'ai trouvé encore dans Palmyre le souvenir de ce temps où le sucre était aussi commun que
le sable. Malheureusement pour les voyageurs, on se souvient aussi au désert de tout l'argent qu'on lui
a extorqué. Je questionnai en outre M. Baudin et les Arabes sur le titre de reine de Palmyre qui lui
a été décerné; on en rit, et voici la traduction de ce sourire : pour obtenir de l'argent et des présents,
les Arabes sont bien capables de l'avoir saluée du titre de reine; si elle avait été plus prodigue, ils l'au-
raient appelée leur dieu.
Un seul trait de ce voyage me paraît digne d'être noté. Quand on sut, au château de Palmyre,
que celte fastueuse chrétienne approchait, toutes les jeunes filles, elles chassent de race, voulu-
rent avoir aussi leur part des présents, et elles sortirent avec des écharpes pour l'accompagner en
dansant jusqu'à Palmyre. Si on se figure ces grandes ruines animées par une somptueuse caravane,
par un brillant cortège de cavaliers, par une gracieuse escorte dansante, on aura certes un magnifique
tableau.
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SEIDE (SIDON) (Planche LXXXVII, 77).
Porte d'architecture arabe.
On aurait droit de demander à Seide des restes de la ville des Phéniciens, de la domination grecque,
romaine sarrasine, chrétienne, à l'époque des croisades et arabe sous les Turcs; on trouve à grand
peine la trace de ces périodes, si fécondes d'ailleurs, et cette porte d'architecture arabe n'a eu la
préférence que parce qu'un crayon artiste s'en est épris. C'est sans doute quelque reste de cette élé-
gante renaissance architecturale provoquée sur la côte de Syrie par l'émir des Druses, Fakereddin, à
la fin du seizième siècle. On sait que, sous ce prince éclairé, Seide retrouva de beaux jours.
DJOUNI (Planche XXXVI, 78).
Habitation de ladj Esther Stanhope.
Un autre intérêt que celui de l'antiquité phénicienne nous a attirés à Seide. Nous désirons con-
naître lady Esther Stanhope et lui présenter nos hommages respectueux. Mon père lui écrit pour
obtenir la permission de lui rendre visite; il sait, lui dit-il, ses habitudes de retraite et ses vœux
de solitude, mais il invoque les souvenirs du grand ministre, son oncle, qu'il a connu, l'amitié de
son frère, et, ce qui doit la flatter davantage, le besoin qu'il a de prendre, près de la reine du dé-
sert, ses instructions pour le voyage du Hauran et ses recommandations près des tribus nomades.
Notre messager revient vers les deux heures avec la réponse. Grand émoi, mais la joie n'est pas sans
mélange. Lady Esther consent à recevoir mon père et moi, en excluant nos compagnons; c'est une
première bizarrerie.
Nous partons immédiatement; nous voilà sous son toit.
Ici commence la difficulté de ma tâche; ma position est délicate. Je suis l'hôte de lady Esther Stan-
hope, mais en même temps j'ai des yeux pour voir et des oreilles pour écouter. Les devoirs de l'hos-
pitalité priment-ils ceux de la vérité, et s'opposent-ils à ce que je dise ce que j'ai vu et ce que j'ai
appris de témoins dignes de foi? Essayons; le sentiment des convenances m'assignera les justes li-
mites.
La nièce du célèbre Pilt était comptée dans sa jeunesse, en Angleterre, au nombre de ces personnes
dont l'excentricité procède à la fois d'un caractère inégal, d'un esprit aventureux et d'une prétention
décidée à faire effet. Elle donna plus d'une preuve de celte tendance dans l'intérieur de son oncle,
en faisant les honneurs de sa maison. Son voyage en Orient, dont on a fait un conte des Mille et une
Nuits, fut d'abord un roman tant que le colonel Bruce l'accompagna; il n'eut plus ensuite que le carac-
tère d'une représentation à grand spectacle. Sa course à Palmyre peut servir à le prouver; elle lui coûta
beaucoup d'or, et elle sera pour les voyageurs à venir une source perpétuelle de difficultés. Lady Esther
avait porté au désert sa manie de briller, et, au lieu de prendre une escorte suffisante pour être protégée
et pas assez nombreuse pour attirer l'attention des Arabes, elle se fait suivre de vingt chameaux chargés
de provisions, et de tous les cavaliers d'une tribu de la frontière. M. Baudin, qui faisait partie de sa suite,
à titre de drogman, m'a raconté, entre autres prodigalités, qu'elle avait chargé six chameaux de sucre;
et, en effet, j'ai trouvé encore dans Palmyre le souvenir de ce temps où le sucre était aussi commun que
le sable. Malheureusement pour les voyageurs, on se souvient aussi au désert de tout l'argent qu'on lui
a extorqué. Je questionnai en outre M. Baudin et les Arabes sur le titre de reine de Palmyre qui lui
a été décerné; on en rit, et voici la traduction de ce sourire : pour obtenir de l'argent et des présents,
les Arabes sont bien capables de l'avoir saluée du titre de reine; si elle avait été plus prodigue, ils l'au-
raient appelée leur dieu.
Un seul trait de ce voyage me paraît digne d'être noté. Quand on sut, au château de Palmyre,
que celte fastueuse chrétienne approchait, toutes les jeunes filles, elles chassent de race, voulu-
rent avoir aussi leur part des présents, et elles sortirent avec des écharpes pour l'accompagner en
dansant jusqu'à Palmyre. Si on se figure ces grandes ruines animées par une somptueuse caravane,
par un brillant cortège de cavaliers, par une gracieuse escorte dansante, on aura certes un magnifique
tableau.
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