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quable par son grand tact archéologique que par la calme intrépidité dont il a fait preuve dans tant
de lointaines explorations. D'après lui, ce serait à des conquêtes poussées de l'Occident vers l'Orient
qu'il faudrait attribuer ces monuments destinés à rappeler le passage d'une armée et d'un prince vic-
torieux. Alyattes avait déjà fait la guerre auxMèdes; mais il était, à ce qu'il semble, resté plutôt sur
la défensive, et ce fut Crésus qui, le premier des princes de sa race, sortit en conquérant de la Lydie
proprement dite, et étendit jusqu'à F Halys le domaine de la royauté lydienne. «Il subjugua, dit l'his-
torien, toutes les nations en-deçà du fleuve Halys, excepté les Ciliciens et les Lyciens, savoir : les
Phrygiens, les Mysiens, les Mariandyniens, les Chalybes, les Paphlagoniens, etc. » (1). Cette forte-
resse aurait pu être élevée par le monarque lydien, dans l'expédition qui lui soumit la Phrygie, et
les deux grandes figures auraient été alors sculptées par son ordre sur le rocher. L'une d'elles repré-
senterait le roi, l'autre ce fds, Atys, que le roi chérissait si tendrement, et qui, pendant toute la
première partie de son règne, l'avait accompagné ou remplacé à la tète de l'année (2). S'il faut,
comme il paraît naturel de le croire, attacher quelque importance à la direction des figures, au point
de l'horizon qu'elles regardent, on peut penser qu'arrivé au terme de sa course victorieuse, le con-
quérant se faisait représenter dans l'attitude du retour, et déjà en marche pour cette capitale dont
il reprenait le chemin avec son butin et ses captifs. C'est ainsi, à en croire M. Texier, qu'est
figuré le guerrier de Nymphi ; il est tourné non vers Smyrne et ses fertiles plages, non vers la mer
et ces îles grecques que les Lydiens convoitèrent et que les Perses conquirent, mais vers l'est, vers
l'intérieur du continent. Si l'on avait quelques autres exemples analogues, si quelque texte historique
venait confirmer ces inductions, il y aurait donc lieu de voir dans les remparts et dans les figures de
Ghiaour-kalé les monuments d'un vainqueur qui s'était avancé de l'ouest à l'est; or, Crésus étant le
seul des conquérants asiatiques que l'histoire nous montre poussant ses succès et étendant sa domi-
nation de ce côté, ce serait à Crésus qu'il conviendrait, en l'absence de toute donnée positive, d'attri-
buer la vieille citadelle de l'Haîmaneh et ses gardiens de pierre.
Ce qui rend d'ailleurs ici la conjecture plus incertaine encore, c'est que nous ne savons rien de
l'art lydien et de la manière dont il comprenait et rendait la forme humaine. Tout ce qui, sur le sol
de l'ancienne Lydie, paraît appartenir à la civilisation lydienne, ce sont des restes de murailles ou
de tombeaux, de frustes débris qui ne nous renseignent guère sur le génie de cette nation et sur
le caractère de sa plastique. L'hypothèse de l'origine lydienne de ces sculptures reste donc une pure
conjecture qui ne peut s'appuyer sur aucune comparaison, sur aucune analogie décisive. Ce qui ne
paraît pas douteux et ce qu'il importe de constater, c'est la ressemblance marquée, c'est l'air de
famille que nous avons signalé entre des sculptures situées toutes dans la péninsule, quoique les unes
soient à l'est, et les autres à l'ouest de cet Halys, qui la divisait dans l'antiquité en deux régions
habitées par des peuples de race différente. Que ces sculptures taillées dans le roc se trouvent
en Lydie, en Phrygie, ou en Cappadoce, nous y avons signalé assez de traits communs pour être
conduits à leur attribuer peut-être une même origine, ou tout au moins à les regarder comme les
produits d'un même art, que l'on pourrait appeler lydo-phrygien ou de tel autre nom que l'on
voudrait, mais qui mériterait d'être classé à part et étudié de près. Cet art, branche secondaire
de l'art assyrien, aurait été le véritable intermédiaire entre la Grèce et l'Assyrie, et c'est lui surtout
qui aurait transmis des traditions, offert des modèles dont les Grecs ont tiré le parti que l'on sait.
Nous verrons, en étudiant les monuments de Boghaz-keuï, qui nous offrent des symboles bien
plus divers, des figures bien plus nombreuses et dans des attitudes bien plus variées, si nous ne
pouvons pas faire un pas de plus ; est-ce à un même peuple que nous devons ces sculptures éparses
d'un bout à l'autre de l'Asie Mineure, et quel était ce peuple, voilà la question qui se présentera
à nous et qu'il faudra essayer de résoudre.
(1) Hérodote, I, 'j'i.
(2) Hérodote, l, 27.
quable par son grand tact archéologique que par la calme intrépidité dont il a fait preuve dans tant
de lointaines explorations. D'après lui, ce serait à des conquêtes poussées de l'Occident vers l'Orient
qu'il faudrait attribuer ces monuments destinés à rappeler le passage d'une armée et d'un prince vic-
torieux. Alyattes avait déjà fait la guerre auxMèdes; mais il était, à ce qu'il semble, resté plutôt sur
la défensive, et ce fut Crésus qui, le premier des princes de sa race, sortit en conquérant de la Lydie
proprement dite, et étendit jusqu'à F Halys le domaine de la royauté lydienne. «Il subjugua, dit l'his-
torien, toutes les nations en-deçà du fleuve Halys, excepté les Ciliciens et les Lyciens, savoir : les
Phrygiens, les Mysiens, les Mariandyniens, les Chalybes, les Paphlagoniens, etc. » (1). Cette forte-
resse aurait pu être élevée par le monarque lydien, dans l'expédition qui lui soumit la Phrygie, et
les deux grandes figures auraient été alors sculptées par son ordre sur le rocher. L'une d'elles repré-
senterait le roi, l'autre ce fds, Atys, que le roi chérissait si tendrement, et qui, pendant toute la
première partie de son règne, l'avait accompagné ou remplacé à la tète de l'année (2). S'il faut,
comme il paraît naturel de le croire, attacher quelque importance à la direction des figures, au point
de l'horizon qu'elles regardent, on peut penser qu'arrivé au terme de sa course victorieuse, le con-
quérant se faisait représenter dans l'attitude du retour, et déjà en marche pour cette capitale dont
il reprenait le chemin avec son butin et ses captifs. C'est ainsi, à en croire M. Texier, qu'est
figuré le guerrier de Nymphi ; il est tourné non vers Smyrne et ses fertiles plages, non vers la mer
et ces îles grecques que les Lydiens convoitèrent et que les Perses conquirent, mais vers l'est, vers
l'intérieur du continent. Si l'on avait quelques autres exemples analogues, si quelque texte historique
venait confirmer ces inductions, il y aurait donc lieu de voir dans les remparts et dans les figures de
Ghiaour-kalé les monuments d'un vainqueur qui s'était avancé de l'ouest à l'est; or, Crésus étant le
seul des conquérants asiatiques que l'histoire nous montre poussant ses succès et étendant sa domi-
nation de ce côté, ce serait à Crésus qu'il conviendrait, en l'absence de toute donnée positive, d'attri-
buer la vieille citadelle de l'Haîmaneh et ses gardiens de pierre.
Ce qui rend d'ailleurs ici la conjecture plus incertaine encore, c'est que nous ne savons rien de
l'art lydien et de la manière dont il comprenait et rendait la forme humaine. Tout ce qui, sur le sol
de l'ancienne Lydie, paraît appartenir à la civilisation lydienne, ce sont des restes de murailles ou
de tombeaux, de frustes débris qui ne nous renseignent guère sur le génie de cette nation et sur
le caractère de sa plastique. L'hypothèse de l'origine lydienne de ces sculptures reste donc une pure
conjecture qui ne peut s'appuyer sur aucune comparaison, sur aucune analogie décisive. Ce qui ne
paraît pas douteux et ce qu'il importe de constater, c'est la ressemblance marquée, c'est l'air de
famille que nous avons signalé entre des sculptures situées toutes dans la péninsule, quoique les unes
soient à l'est, et les autres à l'ouest de cet Halys, qui la divisait dans l'antiquité en deux régions
habitées par des peuples de race différente. Que ces sculptures taillées dans le roc se trouvent
en Lydie, en Phrygie, ou en Cappadoce, nous y avons signalé assez de traits communs pour être
conduits à leur attribuer peut-être une même origine, ou tout au moins à les regarder comme les
produits d'un même art, que l'on pourrait appeler lydo-phrygien ou de tel autre nom que l'on
voudrait, mais qui mériterait d'être classé à part et étudié de près. Cet art, branche secondaire
de l'art assyrien, aurait été le véritable intermédiaire entre la Grèce et l'Assyrie, et c'est lui surtout
qui aurait transmis des traditions, offert des modèles dont les Grecs ont tiré le parti que l'on sait.
Nous verrons, en étudiant les monuments de Boghaz-keuï, qui nous offrent des symboles bien
plus divers, des figures bien plus nombreuses et dans des attitudes bien plus variées, si nous ne
pouvons pas faire un pas de plus ; est-ce à un même peuple que nous devons ces sculptures éparses
d'un bout à l'autre de l'Asie Mineure, et quel était ce peuple, voilà la question qui se présentera
à nous et qu'il faudra essayer de résoudre.
(1) Hérodote, I, 'j'i.
(2) Hérodote, l, 27.